Lou et Lucie sont toutes deux atteintes de bipolarité de type 2. Elles ne se connaissent pas mais ont pris l’initiative de raconter leur quotidien avec cette maladie, dont elles souffrent depuis plusieurs années.
Les témoignages de deux femmes bipolaires
Pour Lucie, les symptômes se sont manifestés vers ses 10 ans.
« La cause serait un déménagement et donc une perte totale de repères. Puis j’ai subi du harcèlement scolaire. »
Lou ne se rappelle pas d’élément déclencheur en particulier. Elle se souvient que tout a débuté à son entrée dans l’adolescence, vers ses 13 ans. Elle raconte :
« Comme beaucoup d’ados, je me sentais très mal dans ma peau. À un moment donné, ce mal-être s’est transformé en ce qui allait être ma première dépression. »
Troubles bipolaires : quand les émotions font le grand écart
Selon l’Unafam (Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques) la bipolarité ou troubles bipolaires est « une maladie mentale durable et grave qui affecte l’humeur et le comportement ».
L’association française, reconnue d’utilité publique, ajoute que cela n’a rien à avoir avec une perturbation de la personnalité : c’est un réel dérèglement dans le cerveau, au même titre que le diabète est un dérèglement dans le corps.
La Haute Autorité de Santé (HAS) souligne que la bipolarité « dans sa forme la plus typique » se définit par un changement radical d’humeur et du comportement allant de l’excitation et l’euphorie à la dépression, sans transition.
Lucie, qui a été diagnostiquée par un psychiatre, la décrit ainsi :
« La bipolarité, c’est être en proie à des émotions extrêmes et parfois violentes.
Quand une personne bipolaire va bien, elle va trop bien ; je suis excitée, je parle vite, je m’agite, mon cerveau tourne très rapidement.
Je vais m’investir à fond dans un projet, je vais tout donner, et me sentir vidée une fois ce projet terminé.
Au contraire quand une personne bipolaire va mal, c’est le même principe, mais avec des sentiments négatifs…
Parfois je me sens au fond du trou. Certaines personnes font une dépression, ressentent une immense anxiété, de la panique, font des crises de paranoïa, deviennent très instables. »
Être bipolaire, à quoi ça ressemble ?
Lucie et Lou confient toutes les deux à quel point c’est épuisant de vivre avec des troubles bipolaires.
Se retrouver clouée au lit pendant deux mois, puis se lever un matin avec l’envie de conquérir le monde dans un état d’euphorie, c’était devenu un cycle habituel dans la vie de Lou :
« Le schéma se répétait chaque année, avec une sévérité croissante.
D’abord, il y avait la dépression, puis ce que j’appelais le déclic, où je basculais soudainement dans un état complètement opposé qui durait quelques semaines, avant de revenir à une humeur à peu près stable. »
Cet écart d’humeur déstabilise le corps et l’esprit mais aussi l’entourage, confie‑t‑elle :
« Pendant la période enthousiaste, j’étais méconnaissable.
Moi qui étais de nature plutôt réservée et raisonnable, je me mettais à devenir très sociable et expansive, je débordais d’idées et d’énergie.
Sur un coup de tête, je décidais de me lancer dans un tas de projets plus ou moins irréalisables : écrire un best-seller, m’installer pendant un an à l’autre bout du monde, partir en road-trip, changer complètement de voie universitaire… »
Et comme chaque individu est différent, les troubles bipolaires ne s’extériorisent pas de la même façon chez les personnes concernées.
Si les proches de Lou constatent sans doute possible son comportement instable, pour Lucie ce n’est pas pareil :
« Je suis d’un naturel extrêmement calme et taciturne. Ma bipolarité ne se voit pas, elle ne s’exprime que par des tourments intérieurs que je suis la seule à connaître. »
Cette forme de troubles bipolaires est d’autant plus compliquée à traiter puisque Lucie se sent souvent isolée et a longtemps essayé de s’en sortir seule.
Lou a mis du temps avant de se faire diagnostiquer par des spécialistes, et a passé cinq mois en hôpital psychiatrique pour apprendre à vivre avec sa maladie.
La dépression, le danger de la bipolarité
Une personne atteinte de troubles bipolaires connaît des épisodes dépressifs, voire une sérieuse dépression. Lucie est passée par là :
« Il y a des moments où l’on veut tout laisser tomber, ou plus rien ne devient attrayant. On se replie sur soi, et on se laisse couler petit à petit.
Je n’ai pas de solution miracle, ces sensations, je les ai toujours, cette absence de motivation, je la ressens encore. »
Si je reprends la définition de l’Observatoire Mondial de la Santé, la dépression est « un trouble mental courant ».
Elle traduit une tristesse intense, une perte d’intérêt et de plaisir pour tout dans sa vie et engendre une dépréciation de soi et un sentiment de culpabilité.
Une personne dépressive peut souffrir de troubles du sommeil, une perte de l’appétit, une fatigue constante et un manque de concentration.
Selon l’OMS et le HAS, la bipolarité fait partie des « pathologies les plus invalidantes » et présente un taux de mortalité deux fois plus élevé que la population générale mondiale.
Les troubles bipolaires représentent donc un vrai danger car dans les cas les plus graves et les plus avancés, la dépression peut conduire à un suicide. Lou par exemple, a eu ce qu’elle appelle une « crise suicidaire » :
« J’avais des idées noires, je me dévalorisais constamment, je me coupais de mes amis et de mes loisirs, je n’avais plus d’appétit, j’étais insomniaque et en même temps fatiguée en permanence.
Une année, ma période dépressive s’est révélée plus sévère que d’habitude et s’est accompagnée d’une succession de violentes attaques de panique, sans aucun moment de répit.
Dans un élan, de lucidité, j’ai choisi de me faire admettre en hôpital psychiatrique. »
Un traitement de la bipolarité à adapter selon les personnes
Aujourd’hui, Lou voit trois experts : une psychiatre, une psychologue et visite régulièrement le service de santé de l’école où elle étudie. Lucie, quant à elle, est suivie par un psychiatre.
Le traitement de la bipolarité peut s’avérer difficile.
Lucie et Lou ont eu recours à des médicaments pour calmer l’instabilité de leurs humeurs et de leurs émotions. Pour Lucie, il s’agit de thymorégulateurs qui l’ont aidée assez efficacement.
Mais Lou a rencontré plus de difficultés parce qu’elle n’a pas été diagnostiquée immédiatement bipolaire.
À son arrivée à l’hôpital psychiatrique, elle est mise sous anti-dépresseurs et anxiolytiques, pendant un mois elle ne quitte pas sa chambre. Puis un matin, elle sort de son lit, euphorique et pleine d’énergie.
Les médecins appellent ça « un virage de l’humeur » causé par la médication. Ses proches ne la reconnaissent pas du tout et s’inquiètent. Le personnel médical également. Dans sa tête, elle ne s’est jamais sentie aussi heureuse.
« Vue de l’extérieur, je me comportais comme une enfant irresponsable et je me mettais en danger.
Je me suis blessée plusieurs fois en me déchaînant physiquement. J’étais aussi devenue paranoïaque, persuadée que ma psychiatre me détestait et qu’elle me voulait du mal.
Mon traitement a donc été modifié, avec toujours une dose astronomique d’anxiolytiques combinée à un régulateur de l’humeur. »
Et les effets secondaires sont nombreux : difficultés de mémoire, problèmes de concentration, le besoin permanent de bouger…
Lou sort une fois que son état se stabilise mais deux semaines plus tard, elle retourne à l’hôpital.
« C’est là que l’on m’a annoncé que j’étais bipolaire, étant donné mon historique et mes antécédents familiaux (mon père et mon grand-père ont également des troubles de l’humeur).
J’ai appris que c’était cette maladie qui causait mes changements d’humeur et qu’on ne pouvait pas la guérir, seulement la stabiliser. »
Être bipolaire, l’accepter et s’entourer
C’est donc une maladie qui accompagne le patient au quotidien. À 23 ans, Lucie l’a acceptée :
« Ce n’est pas une fatalité. Il faut apprendre à vivre avec.
Je pense que j’en ai encore pour longtemps car mes crises sont assez fréquentes. Mais je ne désespère pas, et surtout, je ne me dis jamais que je deviendrai normale.
Personne n’est normal. Je suis juste moi-même, et donc, farfelue. »
Sur les conseils de sa psychiatre, Lou a abandonné les anxiolytiques et prend désormais des médicaments pour prévenir les états dépressifs et d’autres qui l’aident à dormir. Elle devra sûrement garder ce traitement à vie.
En pratique, son quotidien n’a pas changé si ce n’est qu’elle ne boit plus d’alcool. Mais prendre un nouveau départ n’a rien d’aisé :
« J’ai énormément de mal à me réadapter à la vie « réelle ». Et j’ai toujours des symptômes anxieux. J’ai également dû redoubler mon année universitaire et mettre en place un emploi du temps aménagé ».
Lucie et Lou sont unanimes : pour accepter les troubles bipolaires et vivre avec, le soutien des proches est essentiel.
« Mon entourage est au courant de ma situation et tout le monde se montre très compréhensif », reconnaît Lou.
Bipolaire et guérie, ou qui a appris à vivre avec ?
Elle rappelle aussi que le diagnostic peut prendre des années mais « une fois que l’on est stabilisé, on peut mener une vie à peu près normale et enrichissante ».
Lucie a conscience que ce ne sera pas toujours facile, mais elle appréhende un peu mieux son avenir aujourd’hui :
« Je me sentirai toujours plus ou moins isolée, mais j’ai des personnes vers qui me tourner, qui améliorent le quotidien. Il est aussi vital d’être satisfait de sa vie, d’avoir des centres d’intérêt, et d’être bien chez soi. »
Accrochez-vous à ce que vous aimez, et soyez fièr·e de ce que vous avez accompli. »
Si tu as des doutes sur ta propre santé, je te conseille de te diriger vers un·e professionnel·le de la santé qui pourra répondre à tes questions.
Il existe également des centres experts des troubles bipolaires, dont tu trouveras la liste en cliquant ici.
Tu peux aussi te renseigner sur les sites ci-dessous :
- Le site de l’Unafam.
- Le site de la Haute Autorité à la Santé.
- L’association France Dépression.
- La fondation FondaMental.
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Les Commentaires
Je répond un peu tard mais je viens de revenir après quelques semaines loin d'Internet.
Je souhaitais rebondir sur l'hérédité du TB
. Je ne sais pas encore si je voudrais des enfants plus tard (pour l'instant c'est un gros NON) mais j'ai lu quelques trucs sur le sujet de l'hérédité.
Ta psychiatre a raison, le Trouble Bipolaire peut être héréditaire. Actuellement, on estime que 60% des facteurs conduisant à l'apparition du TB sont héréditaires et les 40% restants environnementaux (c'est évidemment une moyenne).
Mais. Car il y a un mais.
Les facteurs héréditaires sont polygénétiques, c'est à dire qu'ils sont dû à plusieurs gènes différents. Certains ont été découverts, d'autres ne le sont pas encore. À l'heure actuelle, on estime que si l'un des deux géniteurs est bipolaire, le risque de transmission du TB à l'enfant est de... 15%. Dans 85% des cas, l'enfant ne sera jamais touché par un TB.
Je te laisse cette petite vidéo qui est une ébauche de là où en est actuellement la recherche génétique liée au TB. Elle est synthétique, courte et surtout neutre, présentée par un généticien spécialiste du TB.
Après, à chacun.e de faire ce qu'il veut de cette information. Il ne faut pas hésiter à en parler avec ses soignants, c'est aussi leur travail que de nous expliquer notre maladie et les risques qui en découlent.
La décision restera toujours, bien entendu, la tienne. Bon courage