J’ai découvert la Biocoop un soir d’hiver, alors que je rentrais chez moi après une virée à la piscine. Je traversais une petite rue déserte et j’ai été happée par l’arrière-boutique lumineuse du magasin qui contenait de grands bocaux de céréales et de fruits secs en libre-service. À cette époque, je ne connaissais la Biocoop qu’au travers des préjugés que je me plaisais à entretenir sur le milieu du bio et du commerce équitable.
Comme beaucoup, j’ai pour coutume d’accueillir la nouveauté par une forte dose de défiance et de scepticisme, ainsi lorsque la mode est venue au « tout biologique », j’ai freiné des deux fers et me suis empressée de critiquer cette hypocrisie morale au sein de la grande distribution. Car ce que je déteste encore plus que le sourire compassé de Michel Edouard Leclerc, ce sont les publicités de Michel Edouard Leclerc qui cherchent à m’enseigner des leçons d’éthiques.
Ainsi j’ai tout mélangé dans le même panier : Michel Edouard Leclerc, les Biocoop, l’inquisition qui avait lieu dans mon caddie à chaque fois que j’entrais dans un supermarché, et j’ai décidé de tout renier en bloc : jamais le bio ne passera par moi, plutôt manger trois boîtes de maïs aux OGM que de vendre mon âme en achetant du café labellisé bio et/ou équitable.
Je ne crois pas en la sollicitude du capitalisme et une insupportable nausée m’envahit lorsque je suis confrontée à cette image bienveillante et hypocrite des multinationales qui se targuent d’oeuvrer pour le bien de l’humanité alors que leur existence même repose sur un système de profit et d’exploitation entièrement assumé. J’ai donc toujours soigneusement évité les fruits et les légumes biologiques importés par avion que je pouvais trouver dans mon supermarché. Je suis partie en lutte contre l’utopique promesse d’un monde sain et juste car il serait étiqueté « biologique ».
C’est pour cela que j’ai fini par franchir la porte d’une Biocoop : pour savoir ce qu’elle avait dans le ventre et voir s’il existait une alternative au commerce de masse pratiqué dans les hypermarchés. Pour l’occasion j’avais revêtu mon imperméable beige et mon plus beau chapeau melon afin de garantir mon anonymat de bio-sceptique.
Les clichés de la Biocoop
- Les consommateurs de produits biologiques sont tous végétariens.
- En plus de ça, ce sont forcément des hippies amateurs du Peuple de l’Herbe.
- Conséquemment ils portent tous des pulls en laine qui grattent et ils ne se lavent pas.
- Ils sont opposés au progrès et ce sont des altermondialistes fan de Besancenot.
- Ils préfèrent les légumes à la viande, leur anti-épicurisme est détestable.
- Y a même pas de Coca dans les Biocoop, ça sert vraiment à rien.
Il va s’en dire que ces préjugés sont rigoureusement infondés (bien que je soupçonne quelques clients d’être encartés au NPA). Ma Biocoop est située en plein coeur du centre-ville, la clientèle est donc constituée de quidams tout à fait ordinaires qui apprécient autant les sous-pull en lycra que le coton recyclé et équitable.
Nous festoyons dans l’allégresse des müeslis en libre service et des raisins secs par milliers en échangeant des conseils sur la durée de cuisson des macaronis à la farine semi-complète. Parfois une vieille dame me suggère le choix d’une pâte à tartiner sans huile de palme que ses petits-enfants adorent (« plus que cette merde de Nutella ! »)
Car ici, nous ne sommes plus des consommateurs aveuglés par la démesure des rayons, non. Nous sommes devenus, selon les dires du magazine des Biocoop, des « consom’acteurs »
. J’ai remarqué que les aficionados de l’alimentation alternative aiment également pratiquer une orthographe alternative et réinventer des concepts au sein d’une novlangue édifiante.
Pour les plus acharnés de la cause équitable, le choix d’un mode particulier de consommation est devenu un acte politique : ils pratiquent une consommation consciente et éclairée. Il leur est d’ailleurs tout à fait naturel de se promener avec un cabas en toile à l’effigie d’une fleur souriante (personnellement ce genre de fantaisies me met encore mal à l’aise, je crois que je n’assume pas totalement mon côté bio).
Ce que j’ai compris à la Biocoop
Le « bio » n’est pas une fin en soi : consommer bio ne signifie pas systématiquement « consommer sain, équilibré, responsable et équitable », il existe évidemment des produits bio importés par avion, des fruits et des légumes bio qui ne sont pas des produits de saisons, des produits bio emballés dans trois tonnes de cellophane et de carton. Il y a des produits bio au goût abominable, au prix prohibitif, saturés de matières grasses, à l’intérêt douteux ou produits en quantités indécentes.
Se diriger vers une alimentation biologique est une composante d’une démarche globale. On ne se contente pas de fréquenter une Biocoop deux fois par mois : dans un souci de logique on vise à privilégier des producteurs locaux et des circuits courts composés du moins d’intermédiaires possibles.
Il va s’en dire que ce n’est pas exactement mon cas, je ne suis pas exemplaire sur le sujet car je ne me suis pas rendue dans les magasins bio pour révolutionner ma façon de consommer. Si je fréquente ce genre d’endroits, c’est dans un souci de cohérence personnelle, parce que mon mode de vie et mes moyens me le permettent et que je peux faire le choix de dire « Je ne fais pas confiance au bio de Michel Edouard Leclerc et ça me met mal à l’aise de participer à cette escroquerie dans ses supermarchés, je n’y achèterai rien d’estampillé équitable ».
Mais ce qui me plaît plus que tout, dans les Biocoops, c’est la diversité des produits proposés et la possibilité de découvertes quasi-infinies à chaque virée. Ce sont les céréales millénaires que je n’ai pourtant jamais consommées de ma vie, les légumes racines moches que j’ai pourtant envie de goûter, ce sont les alternatives aux produits du quotidien qu’on utilise par réflexe plus que par besoin ou par envie (Nutella, Coca, beurre, viandes, pâté végétal…).
Je fréquente donc une Biocoop et je ne suis pas végétarienne. J’ai abandonné mon imper et mon chapeau melon pour me rendre dans ce supermarché alternatif, je n’ai pas laissé pousser ma moustache en hommage à José Bové. Maintenant c’est parfois moi qui conseille des gâteaux aux petites vieilles que je croise dans les rayons. Je remplis mon cabas en ayant l’impression de faire le bien autour de moi, et lorsque je lis le nom du producteur de viande à qui j’achète un steak je me sens plus responsable que si j’achetais un produit Charal.
Je ne revendique rien, d’ailleurs je n’emmerde personne avec mes convictions alimentaires car je suis certaine qu’il n’y a rien de pire que les curés qui viennent prêcher pour leur paroisse. J’en ai soupé des végétariens agressifs et culpabilisants, des omnivores tellement butés qu’ils sont incapables de concevoir un repas sans viande.
Je laisse à chacun l’entière liberté de faire sa petite popote dans son coin, mais gare à celui qui viendra me causer du bio « le moins cher » de Michel Edouard Leclerc avec des étoiles dans les yeux ; celui-là je vais le recevoir bien comme il faut, on verra par la suite ce qui est vraiment « équitable » et ce qui ne l’est pas.
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Les Commentaires
@Licorne joyeuse Cela reste des "petites courses" donc