« Y a pas de bad taste, y a que des choix. Ça n’a rien de complexe, ça va de soi. Que tu portes des flats ou des high heels, c’est pas les autres qui payent tes bills. Be proud », chante Bilal Hassani sur le morceau « Basic », issu de son premier album. Cinq ans plus tard, cette icône queer de la musique en France continue de tracer sa route en musique, et toujours avec beaucoup de style, malgré les nombreuses attaques médiatiques, vagues de cyberharcèlement, et autres tentatives d’intimidation comme autant de preuves que son existence en dehors des normes de genre binaires dérange. L’auteur-compositeur-interprète de 24 ans, commence en plus une carrière d’acteur, dans Les Reines du drame d’Alexis Langlois (bientôt en salle), ainsi que Nino dans la nuit de Laurent Micheli (bientôt en salle également). Après ses trois albums (Kingdom en 2019, Contre soirée en 2020, et Théorème en 2022), il vient de sortir sa compilation Héritage fin 2023 et s’apprête à sortir un nouveau projet musical.
C’est donc en tant qu’artiste multifacette et hyper connecté (plus de 530 000 personnes le suivent sur Instagram, et 1 million sur YouTube) que Bilal Hassani a été choisi comme égérie de la nouvelle campagne Zalando, sortie le 19 février 2024. L’e-shop multimarques fondée à Berlin en 2008 et qui propose de la mode et de la beauté en ligne à plus de 50 millions de client·e·s à travers 25 pays a trouvé en Bilal Hassani un ambassadeur de choix pour montrer comment le vêtement peut servir la créativité et l’expression de soi, nourrir la confiance et l’affirmation. « Chaque scène est une grande scène » clame ainsi le chanteur dans la vidéo de campagne. Alors Madmoizelle en a profité pour poser quelques questions au petit prince de la pop française pour savoir comment il donne de la voix à son style.
Interview de Bilal Hassani, égérie de la nouvelle campagne Zalando
Quel est ton premier souvenir de mode ?
J’ai une tante qui avait une boutique de vêtements à Casablanca. Quand j’étais petit et que j’allais en vacances au Maroc, pendant que mes cousins allaient jouer au foot, je me rendais à sa boutique dès l’ouverture pour y rester toute la journée. J’adorais participer à l’inventaire, à la caisse, au conseil client. Beaucoup de femmes y venaient et j’adorais jouer au petit conseiller de vente de cinq ans.
En quoi est-ce que cette expérience a peut-être participé à façonner ta vision de la mode actuelle ?
Depuis ce moment, la seule chose qui est restée inchangée, c’est combien j’ai compris combien on a peu d’impact sur notre enveloppe charnelle, mais qu’on peut davantage décider de son apparence grâce aux vêtements. La tenue peut être un marqueur fort d’identité. J’adore l’idée de métamorphose, qu’on puisse décider à quoi on va ressembler, comment on va se présenter au monde. Quand certaines femmes rentraient dans cette boutique avec un petit moral, elles en ressortaient souvent avec une nouvelle pièce à la façon d’une page blanche supplémentaire pour enrichir leur histoire. La mode peut avoir un grand impact sur l’estime de soi.
En quoi la mode te permet à la fois de t’affirmer davantage comme toi même et d’incarner d’autres vies que la tienne ?
Je pense qu’on peut trouver beaucoup de force dans l’alter ego, dans la mise en lumière de soi sous d’autres angles que celui habituel. La mode aide à se raconter diffèremment. Je ne pense pas qu’on devient quelqu’un d’autre quand on s’habille d’une autre manière, mais je pense qu’on appuie surtout sur d’autres parties de soi.
Dans quelle mesure le style sert ton projet musical en tant que chanteur et vice-versa ?
Travailler avec des artisans et des amoureux de la mode nourrit énormément ma créativié. Je sais que mon styliste, Nikita Vlassenko, quand il écoute une nouvelle chanson, il ne va pas l’appréhender de la même manière que moi. Je fais attention aux fréquences et aux notes, à comment la dynamiser ou la dramatiser, etc. Lui, il va plutôt voir des lignes et il va commencer à dessiner des choses et à m’envoyer des looks via Tagwalk [NDLR : moteur de recherche de la mode], fourmiller d’idées pour interpréter une chanson en looks. En cela, la mode est un art.
Comment le vêtement peut aider à gagner confiance en soi ?
Personnellement, je sais que je peux compter sur un total look rose que j’adore pour me remonter le moral et me redonner confiance. Il m’aide à shine bright toute la journée, et dès que je croise mon reflet, il me redonne le sourire. Ça fait même cet effet aux gens qui me croisent, puisqu’on complimente souvent quand je le porte, car ça fait du bien à tout le monde de voir un peu plus de couleurs dans sa vie.
T’habilles-tu très différemment dans ta vie quotidienne que sur scène ?
Je porte des silhouettes plutôt simples : j’adore les vêtements très amples, comme des pantalons baggy et des hauts oversize, sous lesquels je mets des tops plus près du corps, pour créer du contraste de volume. Je crois que je suis très inspiré par des personnages de jeux vidéos de Playstation 2, comme Sonic, en fait (rires).
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Est-ce qu’il y a des choses que le Bilal sur scène a apprises au Bilal du quotidien ?
Avant de commencer ma carrière musicale, je ne prenais pas trop la mode au sérieux, ou plutôt je ne me souciais pas de comment je m’habillais. Je me couvrais, sans réfléchir. Aujourd’hui, je fais plus attention aux coupes des choses, comment les épaules tombent, comment ça peut réhausser mon port de tête, tout en restant à l’aise, et donc mettre en valeur mon allure, etc. C’est des détails que j’ai appris pour la scène et qui me servent pour le quotidien, car être à l’aise dans ses vêtements aide à se sentir bien socialement.
Qui sont tes designers favoris du moment ?
J’aime beaucoup, beaucoup, beaucoup de designers ! Le dernier défilé Maison Margiela Artisanal 2024 m’a impressionné. J’adore aussi du côté de la jeune création Jeanne Friot, Victor Weisanto, Vincent Pressiat, Charles de Vilmorin. Je regarde aussi dans le passé, des archives d’Hussein Chalayan.
Tu cites du luxe contemporain, de la jeune création et du vintage : c’est important pour toi de mélanger tout ça quand tu t’habilles ?
Oui, tout communique et s’alimente. Aujourd’hui, on assiste à une renaissance artistique où des artistes travaillent aussi bien avec de grandes maisons patrimoniales que des marques plus pointues. Arielle Dombasles a récemment clôturé un défilé d’Alphonse Maitrepierre par exemple. J’aime bien cette circualtion. Quand je compose une tenue, j’évite de faire un total look d’une seule marque. Je préfère mélanger les univers : jeune créateur, grande maison, et vintage.
Depuis ton troisième album, Théorème, tu as pris un virage mode plus pointu. Pourais-tu nous résumer chacune de tes ères musicales par un look ?
J’adore l’idée d’avoir à chaque étape de ma vie, surtout artistique, une enveloppe charnelle nouvelle et spécifique. On revient à cette idée de métamorphose : la mode est un très bon outil pour ça.
Pour l’ère de mon premier album, Kingdom, je résumerais ça par mes looks à grande traîne : j’en ai porté une blanche pour l’Eurovision comme un symbole de pureté et d’innocence, une rouge pour mon premier concert à l’Olympia en hommage aux fameux rideaux de salles de spectacle, et une bleu ciel pour la montée des marches des NRJ Music Awards pour me sentir comme Cendrillon. À cette époque, j’avais un carré court très graphique. C’est un album où j’étais encore un enfant, beaucoup des textes avaient été écrits quand j’avais 13-14 ans.
Pour le deuxième, Contre soirée, je pense évidemment au look Mugler par Casey Cadwallader que je porte sur la couverture de l’album. J’en ai porté plein de variations dans différentes couleurs tout au long de cette era. Et puis j’avais des cheveux très longs ! C’est un album de fin de l’adolescence.
Pour le troisième, Théorème, je pense à un look d’archive façon Stockman de Maison Martin Margiela de la collection Semi-Couture datant de 1997. Je l’ai porté pour une montée des marches du festival de Cannes. Porter ce buste de couture, c’était pour moi une façon d’incarner une toile vierge, une page blanche pour ma nouvelle histoire, comme si on réinvenait ma silhouette. Car c’est un album de passage à l’âge adulte compliqué par la pandémie.
Pour ma compilation des trois premiers albums, Heritage, cela se résume à un costume oversize, dont les épaules peuvent sembler trop grande, mais c’est parce qu’elles sont remplies d’audace.
Pour mon premier album, je crois que je cherchais encore à avoir l’air sage, digeste, aux yeux du grand public. Puis j’ai affiné mon son, mes goûts, et mon style avec le deuxième, avant de prendre un virage plus pointu pour le troisième. À partir de maintenant, ça va être très fun. On peut commencer à aller chercher l’autre en soi qu’une fois qu’on a compris qui on est. Et je n’avais pas encore complètement compris qui j’étais. Là, je pense que j’ai suffisamment compris pour pouvoir foutre le bordel, maintenant.
Tu fais tes premiers pas en tant que comédien, dans Les Reines du drame d’Alexis Langlois et Nino dans la nuit de Laurent Micheli. Vas-tu habiller l’acteur comme le chanteur ?
Ça dépend. J’ai des gros fantasmes avec le cinéma qui n’ont rien à voir avec des accomplissements de carrière. Mais j’aimerais bien. J’aime bien l’idée de pouvoir jouer des rôles et rentrer dans la peau de personnages qui sont diamétralement opposés à moi. Donc oui, je compte bien m’amuser autrement encore. Peut-être pour taper dans l’œil de quelqu’un qui est en train d’écrire un rôle sans avoir en tête Bilal Hassani. Pour aider les directeurs de casting à penser à moi, je m’esssayerais à d’autres silhouettes.
Penses-tu que ta présence dans l’espace médiatique, culturel, et artistique, aide aussi les jeunes à s’affirmer en dehors des normes de genre si binaires ?
J’espère et pense que oui. Je pense que je suis surtout de moins en moins seul à participer à ça. Aujourd’hui, sur les réseaux et en dehors, on voit de plus en plus de personnalités s’affirmer en dehors des lignes binaires. Drag Race France occupe par exemple une place très importante dans le paysage médiatique et aide beaucoup de jeunes.
En fait, la chose qui me fait le plus plaisir aujourd’hui, c’est que là où j’ai eu l’impression de contribuer à ouvrir certaines portes à un moment donné, aujourd’hui, je vois vraiment plein de gens qui me suivent et les jeunes que j’observe poursuivent ce chemin-là indépendamment de moi. Même iels m’apprennent des choses sur moi, et sont déjà à l’étape d’après dans leur déconstruction. C’est super amusant et inspirant.
En as-tu marre qu’on parle davantage de ton apparence que de ta musique ?
Je n’y pense pas comme un problème. Je sais à quel point j’ai été visible comme marqueur de temps politiques au moment de mon arrivée. Mais je sais aussi que j’ai les outils et la force pour pouvoir construire un vrai héritage artistique.Même si la chronologie de consommation aujourd’hui est beaucoup plus resserrée, resteront visibles les artistes qui sauront s’inscrire dans la durée. Et donc je me laisse du temps et je continuerai de créer encore longtemps. Je pense que ça peut être un atout d’avoir une problématique comme la mienne, même si c’est à double-tranchant. J’ai comme challenge de créer un art qui parlera plus fort que moi, que ma personne et que le contexte politique dans lequel je me situe. Ça me demande de travailler très dur. Quand je rentre dans un studio ou quand je commence à écrire une chanson, je ne le fais pas avec frivolité. Je suis en train de me dire si tu veux que ça soit reçu, il faut que ça soit plus fort que que le contexte actuel. Ça me pousse chaque jour.
Tu travailles donc sur de la nouvelle musique. Comment va-t-elle sonner, à quoi va ressembler ta nouvelle ère ?
Je ne veux pas trop m’avancer sur comment ça va sonner, mais je peux dire que ça arrive dans pas très longtemps… En tout cas, ma volonté artistique, surtout après Héritage, c’est d’être moins conceptuel, même si j’adore ça, et m’autoriser à être plus instinctif. Je me rappelle d’une conversation que j’avais eue avec Loïc Prigent en 2021. J’avais fini un disque qui a fini par ne pas sortir, qui s’appelait Visage. J’avais croisé Loïc en mars, et il m’avait demandé quand sortirait mon nouvel album : je l’avais prévu pour octobre. Il m’a dit que c’était beaucoup trop tard par rapport au moment de sa création, que je ne devrais pas attendre autant. Il m’a raconté que certain·e·s designers, une fois leur collection terminée, ont interdiction de la revoir en atelier jusqu’au moment du défilé ou de la présentation, sinon iels risquent de vouloir la reprendre. Iels risquent d’empoisonner leurs créations. Il faut croire que Loïc avait raison, car je n’ai finalement pas sorti ce projet : en le réécoutant en septembre, je le trouvais encore très bon, c’était encore mois, mais ce n’était déjà plus ce que je voulais faire. Alors je suis passé à Théorème, sans sortir Visage. Et c’est pour ça que maintenant, je veux créer de manière plus instinctive.
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Que retiens-tu de cette campagne avec Zalando qui affirme que « chaque scène est une grande scène » ?
Je trouve tellement pertinente l’idée d’aborder la vie comme une scène qu’incarne cette nouvelle campagne Zalando, pour laquelle j’ai également fait une sélection de pièces. Le monde d’aujourd’hui s’avère si complexe. Et le vêtement peut vraiment être un outil de survie. Grâce à ce qu’on porte, on peut s’affirmer, et se reconnaître entre pairs, se retrouver au milieu d’une masse de gens et former une tribu. C’est beau et génial. Je le vis avec mes fans : iles se reconnaissent et se retrouvent grâce à des signes distinctifs sur leurs tenues notamment. C’est valable pour d’autres sphères, petites et grandes, d’autres scènes. Le vêtement peut avoir ce pouvoir de nous rassurer et de nous armer de confiance, être un doudou et une armure.
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
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