– Attention, cet article contient des spoilers sur la saison 6 de la série !
Quand j’ai découvert The Big Bang Theory, il y a de ça quelques années (tout ça ne nous rajeunit pas), j’ai suffisamment accroché pour passer outre les rires enregistrés. Et malgré les nombreuses plaintes à ce sujet, je n’ai pas dû être la seule au vu du succès fulgurant du show, face auquel les producteurs ne se sont plus sentis faire pipi. Et c’est pourquoi nous en sommes aujourd’hui à la saison 6 – une saison 7 est déjà prévue pour l’automne prochain.
Et, ma foi, pourquoi cela n’aurait-il pas été le cas ? The Big Bang Theory, ou TBBT pour les intimes, surfait sur la vague, que dis-je, le tsunami qu’était la révolution en cours de la pop culture. Facebook et l’expansion des réseaux sociaux en général, Le Seigneur des Anneaux adapté en blockbuster qui a ouvert la vanne fantasy pour la remettre au goût du jour, j’en passe et des meilleures parce que là n’est pas exactement le sujet… En quelques mois, le 3/4 des magazines de ton tabac-presse le plus proche avaient le terme « GEEK » sur leur couverture, et « Smart is the new sexy » (« Malin est le nouveau sexy ») était devenu le slogan du siècle (ou au moins de la décennie).
[dailymotion]https://www.dailymotion.com/video/x2n3q1_the-big-bang-theory-cbs-trailer_shortfilms#.UYd6iit5wzU[/dailymotion]
BOOM les souvenirs !
C’était bizarre (pas tout à fait la même ambiance que quand j’étais au collège, par exemple), mais agréable. On peut ne pas trop apprécier qu’un domaine qui nous tient à coeur devienne mainstream du jour au lendemain (oui parce que j’aimais Tolkien avant qu’il soit populaire, tu vois), mais personnellement, j’y ai trouvé mon compte. En popularisant jeux de rôles et comics, on les rendait plus facile d’accès, on trouvait plus de personnes avec des centres d’intérêts communs. Ces centres d’intérêts qui étaient ceux des « nerds » – mais « nerds », soudain, devenait « cool ».
Leonard, Sheldon, Raj et Howard, je les vois comme les caricatures de cet univers et son évolution : ils accumulent tout, de l’univers Marvel aux vieilles références SF et fantastiques en passant par le jeu vidéo de sa création à aujourd’hui, absorbant les nouveaux produits de la vague au fur et à mesure qu’ils sortent et perdant leur temps sur des activités, certes scientifiques, mais improductives, juste « because we can ! ». Et ça me plaisait, non pas parce que je m’y reconnaissais (pas dans tout, en tout cas), mais parce que j’y trouvais des références qui me parlaient, et que le sujet entier du « nerd » VS le reste du monde était traité avec une bonne dose de second degré. TBBT jouait avec légèreté sur les clichés qui ressortent inévitablement lorsque deux mondes se rencontrent, symbolisés ici par nos quatre physiciens VS Penny.
Maintenant tu te doutes bien, lectrice, que si j’utilise l’imparfait, c’est que je considère que ce n’est plus le cas. Tu sais, quand un type raconte une blague qui fait rire, et qui, tout foufou du succès de sa blague, la répète encore et encore, en grossissant les traits sur les points qui ont le mieux marché, et qui finit par saouler tout le monde ? Alors voilà ce qui a fini par me saouler dans la blague « c’est quatre nerds et une fille… »
Si tu veux être « cool » et brancher des nanas, arrête de vivre dans un monde imaginaire
La saison 5 s’essoufflait, la saison 6 est arrivée à un point mort. Désormais tous casés ou en voie de l’être, nos quatre héros sont toujours les mêmes nerds… mais un peu moins. Tirés chacun vers le haut par une charmante jeune femme, ils passent moins de temps entre eux (exit le Klingon boggle), mais surtout, ils se flagellent en permanence au nom de « tout ceci est puéril, il y a des choses plus importantes dans la vie ».
Ce qui passait pour une grande victoire quand Leonard avait enfin démarré quelque chose avec Penny (« smart is the new sexy », ne l’oublions pas) est vite devenu un compromis : non mais je t’aime quand même, malgré tes jouets… puis une sorte de tapotement sur la tête, mi-attendri mi-lassé : ahh, ils sont graves, avec leurs costumes, leurs conventions et autres Call of Duty… ça leur passera bien un jour.
Verser dans la « nerd culture » était déjà vu comme un peu puéril au début de la série, mais, parce que c’était le thème central avant de partir dans le soap opera, ça avait encore un aspect « cool ». Tout ce qu’ils faisaient était assez excitant, les épisodes conventions/déguisements étaient tordants, et ils s’éclataient. On ressentait un léger sentiment de victoire. Depuis la saison 5, c’est peut-être juste moi, mais je perçois de plus en plus un sentiment de honte de leur part, qui culmine notamment à l’épisode 13 de la saison 6 : partis pour une convention, nos héros s’arrêtent au bord de la route pour prendre des photos en cosplay Star Trek et se font voler leur voiture, se retrouvant à devoir entreprendre la marche de la honte jusqu’à un téléphone, entre insultes et humiliations constantes. J’ai trouvé cet épisode vraiment triste. Problème : je pense que ça n’était pas le but.
Et j’ai envie de dire, quel est le problème à la fin ? Qu’est-ce que ça peut bien foutre que des mecs approchant de la trentaine s’amusent encore à pratiquer le cosplay (d’un certain niveau qui plus est), et surtout, qu’est-ce qui justifie les insultes ? Un sourire ou un rire amusé, oui. Se sentir obligé de rabaisser la personne concernée, à la limite de l’agression physique ? Tu trouves ça puéril ? Mais enfin : et alors ? Oui, la base du show, c’était qu’on se moquait, en s’y reconnaissant parfois, voire souvent, de quatre nerds et de leurs mésaventures. Mais on dirait un de ces jeux cruels des cours de récréation, quand la blague va trop loin, et que quelqu’un finit par être blessé.
La société expliquée par The Big Bang Theory a commencé à rejeter ce qu’elle qualifie de « comportement puéril » avec vigueur. À 25 ans passés, tu as un certain comportement à adopter – regarder le foot, aller boire des coups pour rencontrer des filles, te caser, etc. Et pour draguer de la donzelle, tu dois être un homme : ne mentionne pas que tu aimes Batman, sinon c’est mort. En bref, tes petits costumes, c’était bien mignon, mais maintenant sors de là et grandis, sinon tu seras misérable toute ta vie.
C’est d’autant plus triste que TBBT (aidé d’un bon timing) a contribué à faire de la perception de cette pop culture alternative ce qu’elle est finalement aujourd’hui : un mélange de cool et de puéril. C’est bête, on était à ça de considérer l’intérêt pour les mondes imaginaires chez les plus de dix ans comme « sains », et les comics et autres bandes dessinées comme des vrais livres sans limite d’âge.
Une fille dans un magasin de comics ?!
Ah, oui, parce que ce que je vais continuer d’appeler ici la « culture nerd », c’est un truc de losers, mais un truc de losers VIP.
No girls allowed (interdit aux filles). Ah ben oui, un peu d’inégalité des sexes, ça faisait longtemps, tiens (non je déconne : ce point-ci de la série m’a toujours fait tiquer… disons qu’on en est arrivés à un stade où il me fait désormais gerber).
Penchons-nous sur le running gag de l’individu lambda de sexe féminin qui entre dans le magasin de comics, faisant irrémédiablement buguer les individus déjà présents (et, faut-il le préciser, de sexe masculin). Fiiilleee, aahhh, baaveeee. Si nous passons sur l’aspect déjà traité ci-dessus du « tu lis des comics, il te manque une case ou deux », c’est mignon deux secondes. Ça m’a saoulée au bout de quelques épisodes (je suis assez patiente dans la vie). Pourquoi ? Parce que je le prends comme une attaque personnelle : rendre grotesque la présence d’une femme dans un milieu revendiqué exclusivement masculin, ça revient à m’interdire d’avoir les mêmes centres d’intérêts que ces messieurs, à me marginaliser en tant que femme pour aimer les comics comme le reste de la culture nerd, à prétendre définir la/ma féminité – et à me cracher à la gueule.
D’ailleurs, Penny prend assez tôt à coeur d’expliquer ce que fait ou ne fait pas une fille. Fut un temps, elle embrassait un mec déguisé en hobbit. Maintenant elle est tellement perpétuellement embarrassée par quelque chose que son mec ou ses « amis » auraient fait que ça en devient un peu lourd, et surtout prévisible.
« Ouh la, moi je ne comprends rien à tous ces trucs de nerds, je suis une fille ! Hihi ! »
Une fille, ça ne peut être qu’une chose. Une fille, une fille baisable en tout cas, ça ne lit pas de comics. Ça regarde des comédies mielleuses et lit les derniers gossips sur Angelina Jolie en se faisant les ongles. C’est à s’arracher le brushing, parce que même lorsqu’une nana physicienne aussi intelligente, voire même plus, que nos quatre mâles alpha, est insérée dans le show, elle n’a pas les mêmes intérêts. Amy trouve bien les comics (et à peu près tout ce qu’aime Sheldon) stupides. Les expériences de Penny en jeu vidéo et Meuporg ? Jamais renouvelées et revendiquées comme déplacées.
Penny a pourtant des capacités et un caractère plus développés, à l’occasion : elle sait se défendre, elle suit le foot, elle a rarement froid aux yeux, et elle assassine un ver de terre sur un hameçon sans y réfléchir à deux fois. Mais ce sont des capacités qui ne se manifestent, à mes yeux, que pour contraster avec nos quatre nerds, pour montrer qu’ils ne sont tellement PAS des hommes qu’elle est plus masculine qu’eux (oui, parce que tout ça, ce sont des attributs masculins, Penny se comporte juste comme un garçon, parfois, à cause de son père, toi-même tu sais).
À propos, quelqu’un sait ce qu’est devenue Leslie Winkle, personnage féminin d’envergure ? Je dis ça, je dis rien…
Le syndrome d’Asperger et l’asexualité, c’est trop délire ! (Mais maintenant arrête de jouer, et sois normal)
Passons enfin au clou du spectacle, à la véritable raison du succès de la série, je veux bien évidemment parler de ce cher grand taré adorable de Dr Sheldon Cooper, interprété avec brio par Jim Parsons. Eh oui, je vais casser l’ambiance de ce côté-là aussi. Mais si je le fais, c’est justement parce que j’aime ce personnage (au moins autant que celui de Leonard me donne envie de me balancer la tête sur tous les murs de ma chambre) (mais ça n’engage que moi).
Sheldon est irritant. Très irritant. C’est un génie narcissique au cynisme mordant, dont les répliques acerbes portent l’accent sur le fait que s’il lui manque des notions en matière de conventions sociales, c’est bien parce que son génie est bien trop préoccupé par les grands mystères de l’univers pour s’attarder sur des choses aussi triviales. Il présente aussi des symptômes du syndrome d’Asperger. Il a un super-héros préféré. Et il est asexuel. Bref : rien chez lui ne rentre dans la case.
Les scénaristes nieraient toute volonté d’introduire des troubles psychologiques quelconques au personnage de Sheldon (incluant au passage l’asexualité dans lesdits troubles, c’est toujours intelligent), comme si c’était sale. Pourquoi ? Dès le début de la série, il fait montre de son toc désormais le plus célèbre en éprouvant le besoin de frapper trois fois de façon précise à la porte de Penny. Il part en guerre contre cette dernière lorsqu’elle touche sa nourriture et menace ses précieuses habitudes. Son rapport à l’hygiène est maladif. Soyons honnête deux secondes : ce ne sont pas des caractéristiques « nerdiques », on rit des aventures et mésaventures d’un personnage présentant des symptômes autistiques. Et non, ce n’est pas sale. On rit bien de la myopie sévère de Leonard et de son intolérance aux lentilles de contact.
Messieurs les scénaristes, on aime Sheldon comme il est. Ce n’est pas qu’il ait Asperger ou qu’il soit asexuel, qui me pose problème. Ce qui me pose problème, c’est que ça pose un problème aux autres personnages du show (si vous me permettez ce lourd procédé de répétition). Comme on essaie d’élever Raj, Howard et Leonard au statut « d’hommes adultes », la suite de la série, fière du succès de la relation entre Sheldon et Penny, a voulu poursuivre en essayant de pousser Sheldon vers la normalité via Penny.
Ah, la normalité.
Ce n’est pas tant son côté difficile à vivre au quotidien que son absence de vie sexuelle qui ne finit pas d’atterrer le cercle d’amis de Sheldon. Alors l’opération « évolution » a commencé avec une petite amie. Au départ, ladite petite amie était une sorte d’alter ego, et partageait son manque d’intérêt pour les relations sociales, d’où la création d’un lien entre eux (« She is a girl, and she is my friend, but she’s not my girlfriend »).
Et puis la petite amie, en bonne femme qu’elle est, a subitement développé des besoins sexuels. Pouf, comme ça. Alors depuis, le show s’amuse à placer Sheldon dans des situations de plus en plus intimes, tenant le public en haleine, vont-ils le faire, vont-ils pas l’faire… jusqu’à ce qu’on en arrive à Sheldon admettant qu’il ne s’opposait pas à la possibilité d’une relation sexuelle avec Amy dans le futur, et Penny exultant. Yay, notre Sheldon grandit ! Ou comment présenter l’asexualité comme une passade assimilée au stade immature de l’enfance. Alerte info, The Big Bang Theory : l’asexualité est une réalité, au même titre que l’hétérosexualité ou l’homosexualité et autres trucs qui finissent en -alité.
Voilà selon moi tout le problème de TBBT : la série a changé d’humour en voulant revenir sur ce qui a bien vendu, s’adapter, au lieu de chercher à pousser la réflexion. De fait, le sujet initial, qui était déjà délicat, a raté un virage pour partir dans la mauvaise direction. L’humour est devenu bancal. Insultant. Les clichés et idées reçues sur lesquels le show prétendait jouer ont fini par être assimilés au premier degré ; les « nerds » n’ont plus rien pour eux, ils sont pathétiques, à moins qu’ils ne commencent à grandir et adoptent un mode de vie dit raisonnable. « Smart is the new sexy », certes, à condition d’être assez « smart » pour rentrer dans le moule hollywoodien.
Ajoutez Madmoizelle à vos favoris sur Google News pour ne rater aucun de nos articles !
Les Commentaires
En tant qu'Aspie, c'est vraiment ce personnage qui me dérange le plus parce que j'ai l'impression que son "autisme" sert d'excuse pour servir sa méchanceté et son ego, alors que ça n'a aucun rapport. Que le syndrome d'Asperger entraîne souvent une mauvaise compréhension des codes sociaux, oui, être un connard qui insulte et méprise les autres, non. Et ça serait cool que des séries avec un aussi grand audimat ne colporte pas ce genre de quiproquo.
Et puis je sais pas, je trouve cette série malsaine. Ça fait Zoo. "Regardez les geeks comme ce sont des cas ! Heureusement qu'on est normaux, nous !" Mais c'est peut-être parce que je ne connais que les dernières saisons. Mais comme cette série ne pas jamais fait rire (pas mon genre d'humour), je suis peut-être trop dure.
Désolé pour le coup de gueule <3