Ah, la bière ! The beer. La cerveza. Das bier. La birra. Pivo. Et j’en passe, dans toutes les langues de la planète. S’il y a une boisson qui bat le Coca-cola en terme de succès interplanétaire, c’est elle, et de loin ! La bière, non seulement il est fort probable que son règne ait commencé vers l’an 10 000 et des poussières avant J.C., mais en plus, elle a inspiré des mythes beaucoup plus intéressants que la couleur du manteau rouge du Père Noël.
Et puis, dans les civilisations antiques, des Sumériens aux Romains en passant par les Chinois, on était toujours les premiers sur la picole. Les Scandinaves comptaient dans leur bestiaire mythologique une chèvre qui donnait de l’hydromel à la place du lait, pour vous donner une idée (elle s’appelait Heidrun, et c’était la mascotte des Dieux). Alors la bière…
La bière, breuvage salvateur, a réchauffé les soirées les plus froides de l’humanité, lui a apporté la lumière, la joie et le vomi et la paix, l’amour, la vie, l’amitié – que dis-je, la CIVILISATION ! Du moins, si l’on en croit certains textes
« Au commencement fut la Bière » : le Kalevala finlandais
Les Finlandais ont pour preuve de leur amour ancestral de la bière le Kalevala, un énorme recueil de récits mythologiques monté par un certain Elias Lönnrot en 1849. Et quand je dis recueil, c’est vraiment recueil : on y trouve des collections de poèmes épiques datant de 1000 avant J.C. au 17ème siècle, donnant une fabuleuse fresque de la mythologie finlandaise des origines du monde aux prouesses des héros.
L’alcool. (Gallen Kallela, 1896)
Bref, une oeuvre majeure dans la culture finlandaise. C’est épique, c’est intense, c’est des siècles de tradition orale retranscrite pour toujours sur papier. Seul couac dans le potage : le poème sur les origines de la bière est beaucoup plus conséquent (400 lignes) que le poème sur les origines du Monde, de la Terre et de l’Humanité, plié en 200 lignes. Sens des priorités, tout ça.
Le poème s’intitule Le Brassage de la Bière, avec des majuscules, oui madame, et raconte comment une brasseuse de bière a galéré pour brasser la toute première bière au monde. Oui, elle était déjà brasseuse de bière avant d’inventer la bière. Elle s’est levé un beau matin, elle s’est dit « Tiens, puisque je suis brasseuse de bière, et si j’inventais la bière ? Voilà qui sera du plus bel effet pour le mariage de Roberta ».
Ni une, ni deux, notre amie, telle Peau d’Âne, mélange de l’orge et du houblon, qu’ils soient du ma, qu’ils soient du matin fermentés. Hélas ! La mixture ainsi obtenue ne donne point la binouze attendue, et Osmotar (c’est son nom) sombre dans le désespoir à défaut de pouvoir se noyer dans la mousse.
« Hé bé, ça mousse pas didonc, je me demande s’il faut que je pète dedans. »
Heureusement, il y a ses petits amis de la forêt. Elle envoie d’abord un écureuil blanc lui cueillir des pommes de pin, pour les plonger dans le mélange. Mais de bulles dans la boisson, point, car c’est bien des pommes de pin et non pas des pommes de pet. Alors elle envoie la belette jolie recueillir de la bave d’ours en colère. Mais la bière ne mousse toujours pas. Enfin, notre petite chimiste envoie une abeille traverser les océans à la recherche du pollen le plus doux… et là, victoire ! Telle l’éjaculation précoce, sitôt le pollen plongé, la bière à mousser partout se met.
Et ainsi fut inventée la bière en Finlande.
« Recette de bière à la sumérienne » : l’Hymne à Ninkasi
Chez les Sumériens, on est plus relax. Ils se contentent d’avoir une déesse de la bière, Ninkasi, déesse parmi les déesses que les dieux honorent régulièrement. Parce qu’on l’aime, Ninkasi, chez les Sumériens, oh oui, on l’adore. C’est beau comme on l’aime. C’est fou comme on l’aime. (Tu l’as ?)
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À tel point qu’un petit poème, croisement entre la lettre d’amour et la recette, a fini par être écrit vers 1800 avant J.C., et fut intitulé sobrement Hymne à Ninkasi. Il faut dire que « Ninkasi », c’est « celle qui satisfait les désirs », « celle qui remplit la bouche ». Niveau érotisme, même Aphrodite ne fait pas mieux (et pourtant elle se promène à poil la majeure partie de son temps) !
Et ce poème, d’un point de vue sumérien, représente probablement le comble de l’érotisme, puisqu’il rend hommage à la déesse tout en donnant l’air de rien la recette d’une bonne bière bien de chez eux. Composé de deux chansons, il s’attarde dans un premier temps sur le processus de brassage de la bière par la déesse elle-même, avant de consacrer beaucoup trop de strophes à la description des récipients utilisés pour la préparation, puis le service. À ce stade-là, c’est carrément du fétichisme.
Du coup, pour une bonne bière digne des dieux, vous prenez du pain à l’orge et au miel bien cuit, limite cramé. Vous rajoutez des dattes, de la levure, des épices et des céréales, vous écrasez bien le tout ensemble, vous laissez fermenter dans de l’eau, et voilà ! Votre bière est prête. Servez avec des cuillères et dégustez bien frais.
Et ainsi fut inventé le gruau.
« Vite, des pots de bière ! » : Sekhmet, déesse égyptienne de la guerre
Dans une toute autre ambiance, nous plongeons dans les tréfonds de l’Égypte, que Sekhmet la déesse à tête de lion est occupée à mettre à feu et à sang. Enfin, surtout à sang, puisqu’elle boulotte tous les mortels qu’elle trouve.
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Qu’est-ce qui lui prend ? Alors, il faut savoir que c’était pas prévu du tout. À l’origine, Râ, le dieu Soleil, l’avait seulement lâchée sur Terre après l’avoir nourrie au yaourt et à la salade pendant trois mois uniquement pour qu’elle bouffe une poignée d’imbéciles qui lui avaient cherché des noises. Ce n’est quand même pas sa faute, à Râ, si Sekhmet a eu encore faim après ça.
Mais qu’on ne dise pas que le dieu Soleil n’assume pas ses responsabilités jusqu’au bout. Tandis que la déesse lionne arrive tranquillement à la destruction de l’humanité, il a soudain une idée : il ordonne à des prêtres de remplir 7000 pots de bière mélangée avec de l’ocre pour lui donner une couleur rouge comme du sang.
Ivre virgule Sekhmet au musée national de Copenhague
« C’est ridicule », allez-vous me dire. « Entre un corps humain au sang giclant bien chaud et de la bière rousse tiède, Sekhmet saura faire la différence ». Certes, mais je vous rappelle que le but de la mythologie, c’est de montrer que le monde a été créé par des couillons.
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Sekhmet, la féroce, la fière Sekhmet, s’enfile les 7000 pots de bière en pensant siroter du sang chaud… et finit ivre morte. Docile à nouveau, et surtout incapable de marcher droit jusqu’à sa proie, Sekhmet rentre à la maison.
Et ainsi la bière sauva le monde.
Voilà, vous en savez désormais assez pour vous la péter au comptoir ce soir. Un seul conseil : attendez peut-être que tout le monde en soit à sa deuxième pinte. Les histoires d’écureuils qui font de la bière avec des pommes de pin ou de bière rousse qui sauve le monde, ça passe mieux avec un certain taux d’alcoolémie… à l’image des auteurs de ces mythes !
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