Précédemment dans #62jours : Les habitudes qui tuent vs les habitudes qui sauvent
De toutes les injonctions qu’on insuffle aux petites filles dès leur plus jeune âge, « sois gentille » est sans doute celle qui m’aura fait le plus de mal. Tu fais pas plus manichéen et abstrait que cette formule : « sois gentille. »
Sans jamais bien sûr définir ce que cette gentillesse recouvre.
C’est pour être gentille que je laissais les membres de la famille, les amis, les connaissances me réclamer des bisous, parce que c’est pas gentil de refuser…
Va apprendre ensuite la notion de consentement en amour. C’est pas gentil de dire non. Tu vas le froisser, le vexer, le blesser. Faire du mal à l’autre, de quelque façon que ce soit, c’est pas gentil.
Donc je suis devenue gentille avec tout le monde, sauf envers moi-même, par conséquent. C’est vraiment la pire leçon, cette connerie.
« T’es méchante » n’est pas le contraire de « sois gentille »
Faire respecter ses propres limites n’est pas une méchanceté. Je n’ai pas besoin de gueuler « tu m’approches pas connard ! » quand un oncle éloigné insiste pour que je lui fasse un bisous, à 7 ans.
Je n’ai pas besoin de beugler « TU DÉGAGES ! » à 19 ans quand un mec me drague un peu trop lourdement. Mais je ne vais pas non plus accepter un verre, puis un resto, puis de coucher avec lui pour lui faire plaisir.
On peut refuser poliment, c’est possible. J’y arrive très bien dans plein de situations de la vie quotidienne.
La gentillesse n’est pas un dû
« Sois gentille », c’était aussi une manière de policer le langage. Il ne faut surtout pas blesser l’autre. Donc attention à ce que tu dis.
Conséquence ? Vingt ans plus tard, j’ose pas être franche avec les gens qui m’entourent. Quand on me demande mon avis… J’en ai pas. Ou je l’enrobe. Je l’édulcore. Parce que je ne veux pas leur faire du mal, tu comprends.
Cette bienveillance mal placée est la pire des conneries, pour deux raisons.
La première raison, c’est que je me trahis moi-même. Au nom de quoi est-ce que je ferais passer mes ressentis, mes avis, mes besoins au second plan ? Je ne dis pas qu’il faille m’imposer en toutes circonstances, mais en quoi m’effacer systématiquement me rend service ?
Quand on me demande « ça te dérange si je fume ? » et que la réponse est oui, pourquoi je réponds « non » ? Quand ça me saoule que quelqu’un se pointe en retard ou me décale un rendez-vous à la dernière minute, pourquoi je ne le dis pas ?
C’est pas hyper frustrant de sentir qu’on marche sur les limites de ma zone de confort ? J’allais même écrire, de ma zone de respect
?
Alors pourquoi je me laisse marcher dessus comme ça ? Quelle connerie.
Être lâche par empathie, ce fléau
Deuxième raison, pourquoi cette bienveillance mal placée est un véritable fléau, c’est l’effet qu’elle provoque sur les autres.
Pour résumer : une amie me pose une question, me demande mon avis sur un sujet, et moi, pour ne pas risquer de la blesser… je lui mens.
Quelle est cette logique ? Je fais donc passer la confiance qu’elle m’accorde au second plan par rapport à la perception que j’ai de ses sentiments à elle.
Car bien sûr, j’ai une boule de cristal qui me permet de savoir avec certitude qu’elle préfère que je lui mente, oui, absolument… MAIS NON !
J’appelle ça la lâcheté empathique : je me persuade que je suis en train de faire quelque chose de bien — d’être gentille — en préservant l’ego de mon amie. Ce faisant, je lui mens, je trahis sa confiance, MAIS je ne prends pas le risque de la blesser !
C’est totalement lâche. Je détesterais qu’elle fasse la même chose avec moi. Si je lui demande un avis sur un sujet qui me tient à coeur, je détesterais qu’elle me serve ce que je veux entendre. Je voudrais qu’elle prenne son courage à deux mains pour me dire la vérité, aussi dure à entendre soit-elle.
S’il y a des vérités que je suis prête à entendre, ce sont bien celles que les personnes qui me sont chères hésitent à me dire. Pourquoi est-ce que je ne leur rends pas ce courage lorsque c’est à moi de dire des choses (potentiellement) difficiles à entendre ?
On peut être honnête sans être blessant. Je trouve d’ailleurs qu’il n’y a rien de plus blessant qu’un mensonge, même bienveillant.
La bienveillance mal placée ne passera plus par moi
J’ai toujours essayé de vivre selon cette maxime :
« Ne fais pas aux autres ce que tu n’aimerais pas qu’ils te fassent ».
Alors je m’étonne d’avoir eu si longtemps recours à cette forme de bienveillance lâche, tant il est évident que je déteste qu’on me la serve en tartines.
« C’est vraiment gentil de ta part de me demander, effectivement oui ça me dérange si tu fumes, mais ça ne me dérange pas de garder tes affaires pendant que tu vas fumer dehors ! »
C’est vraiment pas compliqué, au fond.
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