Venise, ses canaux, ses ruelles bondées, ses glaciers et ses trattorias : la Cité des Doges est connue pour ses allures de musée figé dans le temps. Mais ne vous laissez pas trop vite amadouer par son apparente immobilité. Chaque année, la ville la plus romantique du monde (après ou avant Paris, c’est selon) accueille la Biennale de Venise, un des événements culturels les plus prestigieux de notre vieille Europe.
Stricto sensu, la Biennale de Venise est la fondation italienne organisatrice de manifestations de danse, de musique, d’architecture, de cinéma et d’art contemporain. Dans le langage courant pourtant, la Biennale de Venise désigne surtout l’Exposition internationale d’art contemporain. Je m’y suis rendue cet été pour voir ce que l’avant-garde avait dans le bide. Report.
Avant-propos : la Biennale de Venise, au sens où elle met en scène toute la communauté internationale de l’art contemporain, est un événement très dense. Dans un souci de clarté de sa présentation, je choisis ici de ne pas avoir un traitement exhaustif de la manifestation culturelle.
Cette année, la commissaire d’exposition s’appelle Bice Curiger, critique et historienne d’art. Il est bien connu qu’être désigné par Paolo Baratta (le président de la Biennale) comme commissaire revient à recevoir le prix Nobel, version art contemporain. Ainsi, celle qui occupe le poste de rédactrice en chef du magazine d’art Parkett, femme connue, mais seulement des professionnels du milieu, se voit projetée sur le devant de la scène.
Pour cette 54e édition de la Biennale de Venise, Bice Curiger a choisi les thèmes de la lumière et de la diversité des nations comme fil conducteur dans son choix des oeuvres exposées. Dans une interview consacrée à ArtInfo, elle explique :
J’ai apprécié le fait de pouvoir définir un concept en un seul mot. « ILLUMInations » porte sur le thème de la lumière, un thème classique en art, parce que je veux me concentrer sur l’art plutôt que sur une quelconque théorisation du monde, d’après laquelle je sélectionnerais des œuvres. Le titre met également en lumière les idées de perception et de pensées, ainsi que le concept des nations, qui fait tellement partie de cette biennale, constituée de pavillons nationaux.
Les pavillons nationaux d’ailleurs, parlons-en. Cette année, 89 pays sont représentés. Ils se trouvent majoritairement dans les Giardini (les pays n’en disposant pas exposent dans le reste de la ville : Arsenal, galeries, musées, etc). Avec l’Arsenal, les Giardini constituent le coeur de la Biennale.
Du côté des Giardini
Grand poumon vert abritant les pavillons nationaux, les Giardini résume toute la charge symbolique d’une rencontre internationale de cette ampleur : la Biennale est à la fois lieu d’échange (les pays représentés rendent compte d’une citoyenneté mondiale de l’art contemporain, sans limite dans sa pratique et sans frontière pour son public) mais aussi terrain de jeu et de compétition (au sens où les pavillons se font face, se comparent, se menacent les uns les autres). En un sens, c’est presque l’état d’esprit de la Biennale est presque celui des rencontres sportives : fair-play, convivial mais concurrentiel.
Chaque pavillon est l’oeuvre d’un architecte différente. Les façades et les intérieurs sont donc à chaque fois différents. La seule vraie caractéristique commune est le caractère modulable des lieux : d’une année à l’autre, un pavillon peut abriter une installation ludique et imposante comme une série de photos sagement accrochés à des pans de mur ajoutés. Devant chaque pavillon flotte le drapeau du pays qu’il représente. Ici, le pavillon russe.
Inauguré en 1914, le pavillon russe s'inspire de l'architecture du XVIIe siècle.
Christian Boltanski au Pavillon français
Le pavillon français accueille cette année Christian Boltanski et son oeuvre intitulée « Chance ». Le plasticien français, peintre aujourd’hui surtout connu pour ses installations, n’a pas manqué d’honorer sa réputation d’artiste fasciné par l’enfance et la mort. Après Personnes (Monumenta 2010 dans la nef du Grand Palais), Boltanski présente une installation encore une fois très tournée vers la condition humaine. « Chance » est une immense armature de fer au sein de laquelle le spectateur peut voir défiler des portraits de nouveaux nés et de personnes âgées aujourd’hui décédées. La vieillesse et la fin croisent la jeunesse et les nouveaux espoirs. Boltanski compare ici le grand Créateur à un ordinateur : naître et mourir ne sont plus que des manipulations que Dieu choisit aléatoirement d’enclencher.
Au fond du pavillon se trouve une salle où le spectateur peut prendre part à l’installation. Sur le mur qui lui fait face, un visage découpé en plusieurs parties qui défilent et créent de nouveaux visages au fur et à mesure que les parties se succèdent. Juste devant le spectateur, un pupitre où se trouve un bouton qu’il peut choisir d’actionner quand il le souhaite, et essayer de reconstituer le visage d’origine en entier. Les chances d’y arriver, sur toutes les combinaisons possibles, sont très minces. Mais celui qui y arrivera gagnera l’oeuvre.
David Goldblatt au Pavillon central
Le photographe sud-africain s’interroge depuis longtemps sur sa ville, Johannesburg, cité constamment en proie à la violence. Ici, il expose une série de portraits d’anciens criminels réalisée depuis 2009. Les ex-délinquants sont pris en photo sur les lieux de leurs crimes.
Chaque cliché est accompagné d’un texte racontant leurs méfaits passés. Des photos en noir et blanc d’une rare intensité.
Ahmed Basiony au Pavillon égyptien
Malgré des difficultés organisationnelles et financières suite à la révolution politique que le pays a traversé en début d’année, le Pavillon égyptien a ouvert avec 30 Days of Running in the Place, qui mêle les vidéos de performances de l’artiste Ahmed Basiony et son reportage à chaud des manifestations de la place Tahrir, au Caire.
Un hommage posthume poignant, quand on sait que l’artiste est décédé affrontements de la nuit du 28 janvier, à l’âge de 33 ans.Du côté de l’Arsenal
Second grand point d’ancrage de la Biennale, l’Arsenal est une ancienne partie du domaine militaire que la marine italienne a cédé au Ministère de la Culture. Au total, plus de 50 000 m² dont 25 000 m² en intérieur).
Christian Marclay et son film de 24h, The Clock
C’est le Lyon d’Or du meilleur artiste de cette édition. Le californien Christian Marclay a réalisé un fastidieux montage de milliers d’extraits puisés dans toute l’histoire du cinéma et rendant compte à chaque fois d’une information sur l’heure qu’il est.
James Turrell et sa pièce à la profondeur inconnue
Artiste américain que tous les enfants adorent, James Turrell joue avec la lumière – naturelle ou artificielle, il l’utilise pour troubler les sens des visiteurs. Ses installations sont qualifiées d’ « environnements perceptuels ». Ici, après près d’1h de file d’attente, on entre dans une salle dont la profondeur du fond est imperceptible. Les photos ne rendant pas compte de l’effet visuel, regardez plutôt cette vidéo :
http://www.youtube.com/watch?v=qX8guLmF7bM
J’ai trouvé l’effet efficace, bien que moins réussi qu’au Palazzo Fortuny où l’artiste expose une oeuvre plus modeste en taille mais mieux gérée (les fondations de la supercherie visuelle étant beaucoup mieux cachées).
Sturtevant et sa montagne de vidéos
Elastic Tango est une pièce de théâtre vidéo en trois actes sur neuf moniteurs. Elaine Sturtevant, considérée comme l’inspiratrice du mouvement appropriationniste. Elle a gagné un Lyon d’Or cette année.
Vous avez encore jusqu’au 27 novembre pour vous rendre à la Biennale d’art contemporain de Venise. 12 euros le double-billet pour entrer aux Giardini et à l’Arsenale, tarif étudiant. Le site de la Biennale de Venise
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires
C'était formidable. Le pavillon qui m'a le plus marqué était le Japon, avec l'installation vidéo de Tabaimo et la maison abandonnée du pavillon Grande-Bretagne. Elles reflétaient bien l'état d'esprit du monde d'aujourd'hui. C'était d'une poésie et d'une obscurité impressionnantes!
Hors Biennale, il y avait aussi l'exposition de la Fondation Pinault alla Punta della Dogana, "l'éloge du doute". Des classiques parmi les contemporains, (Cattelan, Koons, Kienholz, Nauman...), de plus, la scéno était parfaite!
Bref, c'est un plaisir de voir que Madmoizelle était aussi là où tous les plus grands artistes de ce jour se retrouvent !