Si j’étais bonne cuisinière, que j’avais le goût de l’abnégation et si l’homme aimait avaler son repas derrière son écran de PC, je préparerais, à l’instar de bien des épouses japonaises, un bento chaque matin. Mais comme ma plus belle réussite culinaire, c’est le ragoût (on plonge des légumes dans de l’eau bouillante, avec un Kub Or, c’est déjà de la cuisine !), et que la patience n’est pas ma vertu première, ce jour n’est pas prêt d’arriver.
Le bento, une obligation féminine
On entend le mot partout depuis cinq ans, mais je vous fais tout de même un point rapide. Le bento, au Japon, c’est un repas préparé à l’avance, et consommé à l’extérieur de la maison : à l’école ou au travail. Les différentes préparations sont agencées dans une boîte comprenant généralement deux niveaux et des compartiments créés par des accessoires. En vrai d’ailleurs on dit « o-bento » : le préfixe marque le respect – comme vous le savez déjà, là-bas, on ne déconne pas avec ce qui se mange !
Un grand nombre de salariés et ouvriers japonais déjeunent le midi sur le pouce, emportant avec eux une boîte-repas à manger telle quelle ou à passer au micro-ondes. Vu la répartition des tâches ménagères au sein des foyers nippons (peut-on encore employer le mot répartition lorsque c’est la même qui fait tout ?), il est illusoire d’imaginer que les hommes se le préparent eux-mêmes (pour plus de détails sur la condition féminine au pays du Soleil Levant, vous pouvez (re)lire l’article Le Japon, est-ce le pays des Bisounours ?).
Donc, réaliser un repas à emporter pour son mari, tous les jours de la semaine, c’est le lot de beaucoup de femmes japonaises. Les mères de famille doivent aussi fournir en bentos leur marmaille fréquentant la maternelle : pas de cantine pour les loulous ! De quoi passer son petit-déj à sortir les légumes de la marinade, lancer le rice-cooker, préparer du poisson avec amour (et dévouement).
Livres de cuisine, sites d’import japonais, matériel spécialisé ont tous fait leur apparition en France ces dernières années. La tendance bento est vantée pour ses petites quantités, l’équilibre de ses menus, sa praticité au bureau. Et son esthétique difficile à reproduire – comment rendre appétissante une ratatouille au fond d’une boîte ? (je sais faire la ratatouille aussi, c’est comme le ragoût, avec moins d’eau et plus de légumes du soleil). Bien sûr, ce n’est pas parce que la boîte est japonaise que le contenu doit l’être aussi.
Le bento, une habitude séculaire
Ce qui n’est encore qu’une tendance en France est une tradition ancienne au Japon. Les travailleurs de l’époque Edo amenaient déjà leur casse-croûte avec eux ; ensuite, ce sont les classes aisées qui ont pris l’habitude de pique-niquer avec des boîtes raffinées, à la présentation soignée. Au début du 20e siècle, le bento est roi : tous les écoliers en ont besoin, et les autres sont séduit par la praticité de la lunch box. Jusqu’à l’après-guerre où le gouvernement décide qu’il vaut mieux lisser la différence entre les classes sociales et uniformiser tout ça en instaurant des cantines. Il faudra attendre les années 80 et l’avènement… du micro-ondes pour que le bento retrouve sa popularité !
En France comme au Japon, certain-e-s se lancent dans des réalisations ambitieuses, avec personnages en boulette de riz et détails découpés dans des feuilles de nori (cette algue sombre qui enroule les makis), ronds de carottes pour faire les joues, visage en jambon blanc. Kawaii bien sûr !
On appelle ça le charaben, comme character–bento (bento-personnage). Mais, sans arriver à de telles extrémités, un bento digne de ce nom doit être un peu joli. D’autant que c’est une question d’image… Eh oui, les maîtresses examinent les boîte déjeuners des enfants, et les collègues louchent sur celles des autres. Qui voudrait être l’auteure de moins beaux bentos de l’école ? Certainement pas une Japonaise, que la société pousse à montrer tous les signes extérieurs de la bonne mère et de la bonne épouse, entièrement dévouée à sa famille.
Emporte-pièces et moule à œuf dur
Donc les saucisses se métamorphosent en mini-poulpe et les carottes deviennent des fleurs. Heureusement, tout le matériel se trouve facilement au Japon, dans n’importe quelle grande surface, entre les bols à miso et les couteaux en céramique. Moules pour transformer l’œuf dur en voiture ou en tête de lapin, petites coupelles souples pour placer 3 tomates cerises, séparateurs décorés ou imitant les herbes folles pour ne pas mélanger le brocolis et les haricots, emporte-pièces en forme de fleur de cerisier, piques avec pandas gymnastes ou façades de locomotives, mini contenants à sauce, bandeau élastique pour maintenir la boîte fermée, coussin isotherme pour garder le froid, baguettes assorties, mandolines et autres instruments de découpe… tout un programme !
Quant à la boîte elle-même, qui dit grand nombre d’utilisateurs dit grand nombre de modèles : métalliques, colorées, à motif de kimono, en bois, laquée, rectangulaire, grande ou petite selon l’appétit, en forme de poisson, avec Rilakkuma (ce petit ours si kawaii)… Il y en a pour tous les goûts, tous les budgets : d’un euro et quelques en plastique douteux, à la centaine d’euros pour des boîtes en bambou ou en cèdre.
Un bento totalement genré : menu peu calorique, donc rose, car régime = filles, avec un petit dessert en bonus (la boulette rose en bas à gauche) car filles = gourmandise !
À l’intérieur, la portion de riz avec prune salée (un rond rouge sur fond blanc, ça vous rappelle quelque chose ?), l’omelette roulée (légèrement sucrée), les légumes marinés sont très populaires. Du poisson grillé, un tempura ou du poulet frit par là-dessus, et hop ! C’est ce qu’on trouve le plus souvent dans les bentos tout prêts. Plus qu’à ajouter une mikan, la mandarine locale. Car il est aussi possible d’acheter son bento tout fait, dans un combini, un supermarché, une chaîne spécialisée comme Hotto Motto ou bien dans une gare. Pratique pour ceux qui n’ont pas la patience (ou la femme patiente) de confectionner sa boîte-repas avant de partir travailler !
Au fait, la bento-mania est-elle passée par toi ? Le casse-croûte le midi derrière l’ordinateur, c’est quelque chose que tu pratiques ?
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Les Commentaires
Des fois parce que ça fait peur
Ou parce que ça te brise le coeur de les manger.
Enfin moi le problème principal que j'ai avec cette bouffe c'est que c'est trop souvent du gachis. Pour chaque fleur de légume on jette un cinquième du légume, tout ça pour faire joli. Je vois pas trop l'intérêt pour moi le but de la bouffe c'est qu'il y en ait assez pour que je soit rassasiée et que ce soit bon. L'esthétique ça vient en troisième position. Mais bon comme l'a dit l'auteur les japonais sont obsédés par le paraître, donc chacun ses priorités.