Que tu sois plutôt branché•e BD, littérature jeunesse, fantastique, grands classiques… Voici plein de conseils pour ressortir les bouquins et passer un bon moment en mode thé, plaid et belles histoires.
— Article initialement publié le 1er juin 2014
Décembre 2001. J’ai douze ans, je suis amoureuse de Gavroche, et j’accompagne mes parents au cinéma pour voir le dernier blockbuster parce que je n’ai rien de mieux à faire.
Il s’agit du premier volet de l’adaptation cinématographique du Seigneur des Anneaux, et si je n’ai pas vu la bande-annonce parce que je m’en tape, je m’apprête à me prendre une claque monumentale.
Presque treize ans plus tard, je pense pouvoir affirmer que ma rencontre avec la fantasy a été décisive dans ma vie. J’ai passé mon adolescence à découvrir le monde des littératures de l’imaginaire.
Et, parce que tout ça est étrangement lié, à découvrir le manga et les comics. Mais j’ai également trouvé le moyen d’en faire le thème récurrent de mes six années d’études et je travaille aujourd’hui dans la culture.
Manque de bol, si j’aime d’un amour vivant tous ces genres, et si j’estime que mes lectures ont fait de moi ce que je suis aujourd’hui, une surprenante forme d’élitisme surgissant de nulle part s’entête à vouloir cracher dessus. Et c’est pas toujours agréable.
« D’accord mais après tu choisis un vrai livre »
Commençons par ce qui me paraît être aujourd’hui le genre le moins affecté par cette folie étrange : la bande dessinée.
En même temps, la BD partait avec une longueur d’avance en se voyant désignée comme le « neuvième art ». De suite, parce que des gens jouissant d’une certaine influence décident que telle ou telle chose, c’est de l’Art, on ne tient pas le même discours.
Sauf que la télévision aussi est considérée comme un art (le huitième), et que d’un point de vue littéraire, la BD, c’est quand même pas tout à fait un vrai livre, hein.
Un « vrai livre ». Je n’ai jamais compris cette expression, ni cette réflexion si connue que font certains parents à leurs enfants demandant une BD : « d’accord, mais après tu choisis un vrai livre ». Enfer et damnation pour les dessinateurs et scénaristes de bande-dessinées, ils ne produiraient donc pas un « vrai livre » !
À lire aussi : Le snobisme littéraire, une plaie qu’il est possible d’éviter
J’ignore ce qu’ils peuvent bien tirer de cette révélation, mais j’ai cru comprendre que dessinateurs, illustrateurs et graphistes n’appréciaient guère se faire dire de trouver un « vrai travail » au lieu de dessiner « des petits miquets ».
Des petits miquets.
Je suis on ne peut plus sincère lorsque je dis que je ne comprends pas cette attitude vis-à-vis de la bande-dessinée. J’ai grandi dans une famille de dévoreurs de bouquins, avec des parents lisant de tout en masse et dans plusieurs langues.
Chez nous, Proust et Jorge Luis Borges ont toujours côtoyé Marie-Aude Murail et Marion Zimmer Bradley sans qu’aucun ne saute des étagères pour se suicider.
Pire ! Au fil des années et depuis que mes parents sont étudiants, on a accumulé une collection de BD affolante. Mais vu qu’elles sont rangées en bas des étagères, je me dis que si les « vrais » livres sont encore là, c’est parce qu’ils ont peur de descendre.
« Ah non mais ces trucs japonais, là, c’est violent »
N’est-ce pas surprenant de refuser aussi catégoriquement de voir de « vrais livres » dans un genre aussi vaste que celui de la bande-dessinée ? Hé non, la BD, ce n’est pas que Spirou et Gaston Lagaffe. Ça comprend des styles graphiques, des techniques, des formats et des atmosphères très différents, selon les auteurs, les influences et les pays.
C’est pour ça que dans la bande-dessinée, on comprend le roman graphique, les comics et le manga. Si on part du principe que tout ça, c’est que des histoires pour enfants, il y a des gamins qui risquent d’avoir des surprises en ouvrant certains ouvrages…
Ce n’est pas plus malin de dire « non mais la BD, ça va, mais les mangas c’est trop débile ». Je vous en avais parlé à l’occasion d’un petit guide de démystification du manga, mais si le manga est issu d’une autre culture et répond à d’autres codes, ça reste de la bande-dessinée au sens large du terme.
Or il apparaît plus clairement avec le manga que ce « rejet » systématique d’un genre dans son ensemble provient d’une méconnaissance de celui-ci.
À lire aussi : Le manga : petit guide à la découverte du genre
À l’image du snobisme musical, il est très facile quand on aime les mangas de se prendre dans la face qu’on lit « des conneries » – même si la personne en face n’a pas pris la peine de regarder quel manga on a entre les mains.
Sing Yesterday for me, de Kei Tome
Il est réducteur, et très dommage, de définir comme médiocre un pan entier de la culture
en s’arrêtant à un seul ouvrage ou à des idées reçues…
Parce que ça ne fait pas que blesser et pourrir la vie des amateurs. Ça revient également à s’interdire de découvrir des oeuvres d’une grande profondeur qui pourraient nous toucher, de la même manière que Le seigneur des anneaux m’a touchée.
« Vous n’auriez pas plus sérieux que de la paralittérature ? »
Ah, la fantasy, parlons-en ! Quand je vous dis que j’ai consacré mes études aux littératures de l’imaginaire, je ne me fiche pas de vous. Je me suis réellement intéressée au genre de la même manière que d’autres feraient un mémoire sur la littérature baroque ou la poésie épique.
J’avais tout de l’illuminée, avec mes études de littérature comparée entre la mythologie et la fantasy contemporaine ! Mais si l’auteur de la thèse sur l’importance de la virgule dans Madame Bovary avait droit à des « ooh », et des « aaah », j’estimais avoir droit à la même crédibilité avec mes rites initiatiques dans l’heroic fantasy. Faut croire que c’est pas aussi simple.
La fantasy, voyez-vous, est rangée en France dans la catégorie des « paralittératures ». Qu’est-ce qu’on entend par « paralittérature » ?
À lire aussi : La fantasy : petit guide d’un genre méconnu
Ce qui gravite autour de la littérature classique, ou généraliste – bref, ce qui n’appartient pas à une certaine institution littéraire. Et je ne peux pas aller plus loin dans l’explication, parce que je n’ai toujours pas compris ce qu’on entend par « institution littéraire ».
Qu’est-ce que c’est, l’institution littéraire, mon préccccieux ? Qu’est-ce que c’est ?!
Quoi qu’il en soit, cela se traduisait par un regard sceptique de la part de professeurs et d’étudiants qui, quand ils n’osaient pas me faire remarquer que ce n’était pas vraiment un sujet académique, me félicitaient pour mon approche sociologique.
Concevoir que la fantasy soit de la littérature ? La bonne blague. Des nains, des elfes… Un truc un peu kitsch pour les enfants, tout au plus.
On commence doucement à se sortir de ce mépris pour la fantasy, notamment grâce à des universitaires comme Anne Besson qui contribuent à redonner ses lettres d’or au genre. Mais là où le problème devient plus gênant, c’est lorsque des lecteurs de science-fiction ou de fantasy ne considèrent pas eux-mêmes ça comme de la littérature.
Comment peut-on suffisamment apprécier un genre pour lire plusieurs ouvrages, et ne pas réaliser la diversité que le compose ? Nier la moindre prouesse littéraire à un auteur de science-fiction sous prétexte que… Que quoi ?
… Qu’il parle de choses qui n’existent pas ?
Qu’est-ce que la vraie littérature ?
Je ne vais pas faire ma ratasse et ne défendre que mon genre de prédilection. En effet, dans la « paralittérature », on comprend aussi tout ce qui est polar, thriller, roman à l’eau de rose ou « chick-lit »… Bref, je veux bien que la question existentielle « qu’est-ce que la littérature ? » se pose, mais le vrai problème n’est pas là.
Le problème, c’est cette tendance à juger de la qualité d’un ouvrage en fonction de son genre, et non pas en fonction de l’ouvrage lui-même. On peut ne pas apprécier un genre sombre comme le thriller, ou ne pas frétiller des fesses devant des histoires romantiques.
Mais je ne vois pas comment on peut décider qu’un livre ne vaut rien d’un point de vue littéraire, sans l’avoir lu, parce que ce n’est pas « de la vraie littérature ».
« Oui, c’est bien mignon ces petits romans, ça se lit facilement, mais soyons honnêtes : ce n’est pas de la littérature. »
J’aime la BD, j’aime les mangas, la fantasy continuera de me faire rêver longtemps, et je peux concevoir qu’un roman sentimental puisse être un bon roman.
Au fond, ça n’apporte pas grand-chose de rejeter des ouvrages sous le prétexte que c’est de la « sous-littérature ». Ça revient un peu à pisser face au vent : c’est pas les fourmis qu’on emmerde, c’est soi-même.
À lire aussi : Reine d’Égypte, un manga fort et inspirant sur la première femme pharaon
Vous aimez nos articles ? Vous adorerez nos newsletters ! Abonnez-vous gratuitement sur cette page.
Les Commentaires
Les œuvres de science fiction sont trés bien pour les "jeunes", elles éveillent la curiosité. Elle peuvent être des supports pédagogique intéressant.