En 2011, Baya Kasmi remportait le César du meilleur scénario original pour le film Le nom des gens.
Le 30 septembre 2015 sort Je suis à vous tout de suite, son premier long-métrage en tant que réalisatrice. Le film raconte la vie d’Hanna et de sa famille. À 30 ans, la jeune femme ne sait pas dire non, tout comme son père, Omar épicier, et sa mère Simone qui a décidé de devenir psy à domicile.
Le long-métrage soulève des questions sensibles telles que l’identité, les origines, la religion ou encore la sexualité. Contrairement à son frère Donnadieu, qui avec le temps s’est tourné vers l’islam et vit dans une véritable obsession de ses racines algériennes, Hanna a une vie sexuelle débridée, sans tabou, avec des hommes auxquels elle ne refuse rien.
Je suis à vous tout de suite, c’est aussi l’histoire d’un frère et d’une soeur aux modes de vie radicalement opposés, qui s’aiment mais n’arrivent plus à s’entendre…
À l’instar du Nom des gens, ce nouveau film ose parler des sujets les plus tabous avec une légèreté attendrissante. On retrouve la poésie du Fabuleux destin d’Amélie Poulain mêlée à un portrait sincère et efficace de la société d’aujourd’hui.
Nous avons rencontré Baya Kasmi à la terrasse d’un café, entre deux autres interviews. Elle ressemble à ses films : elle est proche des gens, franche et lucide au sujet du monde qui l’entoure.
Baya Kasmi en interview
Parlez nous de votre parcours : avez-vous fait des études pour devenir réalisatrice ? Comment avez-vous débuté ?
« Ça n’est pas très évident de rentrer dans le cinéma quand on n’en vient pas. Devenir réalisatrice, c’était un désir que j’avais. Après, c’est des accidents, des rencontres qui vous font démarrer… Je viens de banlieue toulousaine. J’ai voulu faire une école de cinéma, accessible à bac +1, et je n’ai pas été prise. Le concours exigeait des connaissances techniques que je n’avais pas.
Peut-être qu’aujourd’hui les jeunes sont plus touche-à-tout, mais pour moi c’était impossible ! Du coup, je me suis proposée en tant que bénévole sur un festival de court-métrage. Ça m’a permis de participer à la sélection, de rencontrer les réalisateurs à qui j’ai fait part de mon désir d’écrire et de réaliser. Ils m’ont encouragée comme je le fais aujourd’hui avec les personnes que je rencontre. Ils m’ont dit qu’il ne fallait pas forcément de compétences particulières, mais qu’il fallait avoir un regard pour être réalisateur.
Si on a la sensation que c’est ça qu’on veut faire, on apprend en le faisant. Après, j’ai eu la chance de rencontrer une personne qui m’a encouragée. À la base j’étais standardiste, j’ai rencontré Michel [Leclerc], avec qui je vis : il travaillait dans une boîte de production. Je lui ai dit que je voulais être scénariste mais que je ne savais pas comment m’y prendre… Il m’a répondu que pour l’être, on écrit. J’ai eu la chance de rencontrer quelqu’un qui m’a dit : « faut y aller ! ». Un moment, j’ai pu faire un essai sur une série, j’ai été prise grâce à mon texte. Et après, on apprend sur le tas. »
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Qu’est ce que vous pensez des nouvelles formes de réalisations qu’on trouve maintenant sur Internet, notamment sur YouTube ?
« J’ai des enfants qui connaissent le truc [rire], et je suis curieuse, donc ça m’intéresse. Pour moi, c’est super important que le cinéma ne reste pas élitiste. C’est important que des gens qui viennent de partout aient leurs chances et racontent leurs histoires.
Ces personnes-là ne vont pas raconter les mêmes choses, pas de la même façon, mais avec leurs influences. C’est pour ça que j’essaye de faire du cinéma en me disant qu’il faut que dans la salle, il y ait tout le monde. J’ai envie de faire un cinéma un peu populaire. »
Pour ma part, je vous ai connu avec Je suis à vous tout de suite,votre premier long-métrage en tant que réalisatrice, qui sort en salle le 30 septembre. Le film mêle humour et drame, avec beaucoup de diversité : en quoi ces genres vous inspirent-ils ?
« Je n’essaie pas de raconter ma vie dans mes films mais j’aime partir de traits de caractère que je connais, d’expériences que j’ai vécues, de choses que j’ai pu remarquer chez ma mère, mon père, mon frère ou mon voisin.
Il y a mille façons de voir les choses, mille façons de vivre la religion. J’avais envie de travailler là-dessus.
Les enfants de l’immigration sont quand même tiraillés entre plein de trucs, entre plein de façons d’être français•e : il y a être français•e et ne pas y voir de problème, ou se sentir plus proche de son pays d’origine. Il y a mille façons de voir les choses, mille façons de vivre la religion. J’avais envie de travailler là-dessus. »
Vous dites que le film n’est pas autobiographique, mais vous avez quand même des points communs avec Hanna, le personnage principal ?
« Oui bien sûr ! Quand je dis que ça n’est pas autobiographique, je veux dire que tout n’est pas vrai. Il y a beaucoup de fiction dans le film. Ce qui m’intéresse n’est pas forcément ce qui est vrai, mais la sincérité de ce que j’essaye de raconter.
Par exemple, pour moi c’était une évidence d’être française, en partie via mon genre. Quand on est une fille originaire du Maghreb ou d’Afrique, on a tout intérêt de s’identifier à la culture française. Par rapport à la position de la femme, ça nous permet peut-être de nous libérer plus facilement, et peut-être que pour nous c’est plus facile que pour les garçons : il y a une espèce de virilité qui fait peur chez les hommes. […]
Les deux personnages du film, le frère et la soeur, sont autant algériens et français l’un que l’autre, mais la fille, on va d’avantage l’identifier en tant que française.
À cause de votre faciès ou de la manière dont vous vous habillez, on va vous mettre dans une case.. C’est très difficile d’exister par soi-même. Les deux personnages se débattent là-dedans avec deux chemins de vie différents. »
Je suis à vous tout de suite parle aussi de sujets extrêmement délicats comme la prostitution ou le viol. En quoi ces thèmes vous touchent-ils ?
« Ça, j’ai envie de le dire : c’est autobiographique. Je le dis parce que ça peut passer pour un truc de fiction, un élément du scénario… Les gens peuvent se dirent : « Mais pourquoi ? Qu’est ce que ça vient faire là ? C’était pas obligatoire ». Je pense qu’on ne parle pas assez de ça de façon… vivante.
Les gens qui ont été victimes d’attouchements ou de viol, durant leur enfance ou en tant qu’adulte, continuent à vivre !
Tous les gens qui ont été victimes d’attouchements ou de viol durant leur enfance ou en tant qu’adulte continuent à vivre ! Ils gardent des stigmates mais se reconstruisent. Mais je trouve qu’on a toujours une vision trop violente de ça, l’impression qu’après on ne peut plus vivre.
Moi je trouve très important de revendiquer la vitalité. Au sujet des questions sur l’identité, les origines, c’est pareil : on le traite toujours d’une façon brutale et négative. Pour moi c’était important de mêler tous ces sujets. »
Le film aborde aussi aussi la question de la pratique de la religion musulmane, en France c’est un sujet délicat. Pourquoi avez vous décidé d’en parler ?
« J’avais envie de dire des choses, sans juger… Pour donner une autre vision des musulman•e•s que le terrorisme ou le halal qui « va nous envahir ». C’est très difficile de trouver sa place quand on veut parler de ça et qu’on est issu de cette culture. Il y a mille rapports à la religion dont a besoin de parler, mais on a l’impression qu’on ne peut pas. Il y a l’islamophobie qui est bien réelle… Il y a des gens qui ont une vision totalement réductrice de la religion. J’avais envie de me moquer de certains trucs qui m’énervent ou que je trouve absurde. […]
De plus, ne pas pouvoir dire qu’on est athée quand on est issu d’une culture musulmane, ça me fait chier. J’avais aussi envie de dire qu’il y a des gens arabes qui peuvent dire qu’ils sont athées sans être des traîtres, c’est un choix.
Dans mon film j’avais envie de montrer qu’on peut rire avec la religion, on peut rire avec l’identité, tout en essayant de ne pas juger les autres. J’avais envie de prouver qu’on peut coexister dans toutes nos façons d’être et qu’il n’y a pas une bonne façon d’être un enfant d’immigré•e. »
J’ai trouvé des aspects très féministes dans vos films, notamment la manière dont les femmes sont émancipées dans leur vie, et sexuellement. C’était volontaire de votre part ?
[Sourire] « Ça me fait plaisir que vous me disiez ça ! Bien sûr que je me considère comme féministe. Pour ma part j’ai un chemin d’émancipation personnel, j’ai du dépasser mes propres peurs. Je pense que les femmes, de ce côté-là, sont très très fortes et qu’on ne le montre pas assez.
Les femmes sont très très fortes, on ne le montre pas assez
J’ai voulu ne pas avoir montrer des « victimes », voir la force de ces femmes. J’ai aussi voulu montrer leur corps en-dehors de la sexualité. Parce que dans toutes les cultures, y compris la culture française, il y a un aspect moralisateur autour du corps de la femme. Dans la vision des gens, il y a une « hypersexualisation » de la femme : soit elle couche trop, soit elle couche pas assez, soit elle est trop sexualisée, soit elle ne l’est pas assez.
La fille voilée, par exemple, dans la vision des gens, n’a pas de désir… je trouve ça insupportable. Il faut changer ce regard-là, qui fait du corps de la femme un espèce d’enjeu pour tout le monde. C’est encore plus valable dans la culture musulmane… les frères, les pères, on leur renvoie une même idée : celle que leur honneur est lié à ce que font leurs filles ou leurs soeurs. C’est pas terrible pour les femmes comme pour les hommes.
À ce sujet, je vous conseille une très belle nouvelle écrite par Magyd Cherfi, du groupe Zebda, qui s’appelle l’Autobus Impérial et parle de ce fossé qui a été crée entre les hommes et les femmes, dans les banlieues… C’est très bien écrit !»
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