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Féminisme

La séductrice coupable et le séducteur incompris, un double standard criminel

Au procès du « viol du 36 », et au procès intenté en diffamation par Denis Baupin, la défense et l’accusation amènent l’argument de la séduction : à charge pour les femmes, à décharge pour les hommes. Tiens donc ?

Deux procès ont mobilisé l’actualité judiciaire récente, et tous deux permettent une observation intéressante sur l’évolution des consciences depuis la déferlante #MeToo.

L’affaire Denis Baupin

Avant l’affaire Weinstein, il y avait eu en France l’affaire Denis Baupin.

Ce cadre du parti écologiste français avait été accusé d’agression sexuelle par plusieurs femmes, dont certaines témoignaient à visage découvert.

Toutes les accusatrices avaient pris la parole dans le cadre d’une enquête menée conjointement par les équipes de Médiapart et de France Inter.

Elles n’avaient pas spontanément partagé leurs témoignages sur les réseaux sociaux, ou accusé publiquement Denis Baupin.

Non, elles ont confié le récit de leur expérience à des journalistes, qui ont vérifié les éléments factuels, recoupés les histoires racontées avec d’autres témoignages, en bref, ils et elles ont mené un véritable travail d’investigation.

Ce travail avait donné lieu, en mai 2016, à la publication sur Médiapart et France Inter des accusations portées contre Denis Baupin, pour des faits d’agression sexuelle.

Pas moins de 4 plaintes ont été déposées contre l’ex-cadre des Verts, par Isabelle Attard, Sandrine Rousseau, Ellen Debost et Véronique Haché.

Mais l’instruction de ces plaintes n’a pas permis la tenue d’un procès pour agression sexuelle : les faits qui ont pu être établis étaient alors prescrits. L’enquête préliminaire a été classée sans suite, un an plus tard.

Denis Baupin se défend par un procès en diffamation

Denis Baupin s’est retourné contre ses accusatrices, et les a attaquées en diffamation, avec les journalistes ayant réalisé les publications.

Mais ce n’est pas parce que les faits sont prescrits qu’ils n’ont pas existé.

Cette semaine s’est ouverte l’audience de ce procès en diffamation, et paradoxalement, ce fut l’opportunité pour ces femmes de faire entendre leur témoignage devant un tribunal.

En face, Denis Baupin n’était pas présent : il s’est fait représenter par son avocat — c’est son droit.

Procès Baupin : les audiences rapportées par Marie Barbier

Marie Barbier est journaliste spécialisée dans le domaine de la justice, et elle écrit notamment pour L’Humanité, selon sa bio Twitter.

Elle était présente aux audiences, et elle en a fait des reportages en live-tweets reprenant les propos des uns et des autres.

Emmanuelle Cosse, l’épouse de Denis Baupin, a pris la parole devant le tribunal, pour défendre son mari. Selon elle, il n’est pas capable d’agresser des femmes. Voici notamment ce que Marie Barbier rapporte :

« C’est un homme qui avait la réputation d’un séducteur. »

Et un peu plus tard, toujours par Emmanuelle Cosse :

« C’est un homme qui aime la séduction. »

Denis Baupin, « un homme qui aime la séduction »

On connaît la chanson, n’est-ce pas ? Un homme qui aime la séduction, c’est un Dom Juan, un Casanova, un coureur de jupons : il y a quelque chose de léger, de « bon vivant » dans cette description.

Il y a l’idée d’un jeu, d’une complicité, de quelque chose d’inoffensif. Et si le jeu tourne mal, c’est qu’il y a erreur, méprise, accident. Mais pas de faute, n’est-ce pas. Pas d’intention de faire mal, rien de méchant.

Sauf que. Pendant que ce séducteur réclamait à la justice le rétablissement de son honneur, une séductrice présumée voyait le sien attaqué…

Retour sur le procès du 36 : une séductrice présumée

C’était la semaine précédent l’audience du procès Baupin en diffamation. Une autre affaire de violences sexuelles était examinée par le tribunal : le « procès du 36. »

Emily S, une touriste canadienne, accuse deux policiers de l’avoir violée.

Elle avait rencontré les hommes dans un pub irlandais, à quelques pas du 36 quai des Orfèvres, adresse de la direction générale de la police française.

Au bar, les trois adultes boivent, font connaissance, flirtent. Peut-être même que le flirt se poursuit dans les locaux, déserts à cette heure de la nuit.

Emily S a porté plainte pour viol, et ce n’était pas parole contre parole, des éléments probants ont été versés au dossier :

Un examen médico-judiciaire effectué sur la plaignante le lendemain des faits avait révélé « une ecchymose au niveau du genou droit » et « une lésion gynécologique traumatique au niveau de la grande lèvre gauche », toutes deux « récentes et datant de moins de deux jours ».

— Extrait de la tribune de Gwendolyne Langlois pour Radio Campus Avignon

La stratégie de la défense (donc des deux hommes accusés de viol par Emily S) s’est en partie appuyée sur la démonstration du consentement de la jeune femme.

En effet, dans le pub irlandais, plus tôt dans la soirée, « elle était l’attraction » :

La séductrice coupable, ou la victime à charge

Les audiences du procès du 36 ont été une déroutante expression de la prégnance de la culture du viol, jusque dans les prétoires.

Attention, l’expression « culture du viol » ne signifie absolument pas que le viol est excusé, qu’il n’est pas pris au sérieux par la justice française !

Non, la culture du viol, ça fait référence au contexte social et culturel dans lequel cette justice est rendue.

Une relation sexuelle implique un consentement mutuel des parties. Sinon, ce n’est pas une relation sexuelle. C’est un viol.

Mais ça, ce n’est pas la définition juridique du viol. Actuellement, dans le droit français, le viol est défini ainsi aux termes de l’article 222-23 du code Pénal :

« Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol.

Le viol est puni de quinze ans de réclusion criminelle. »

Il n’y est pas fait référence au consentement. Pourtant, la défense au procès du 36 met en avant cet argument : Emily S était consentante, donc elle n’a pas été violée.

Et plus curieux encore, comme articulation logique : Emily S était consentante, vu qu’elle avait flirté et embrassé ces hommes plus tôt dans la soirée.

La mystérieuse évidence du consentement sexuel

Je n’arrive pas à comprendre comment ni pourquoi un baiser serait la preuve d’un consentement à une relation sexuelle initiée des heures plus tard.

Ce qui explique qu’un tel raisonnement puisse être présentée avec aplomb devant un tribunal, c’est justement l’héritage de la culture du viol.

C’est le schéma de pensée selon lequel les hommes ont toujours envie de sexe, ou très souvent, que l’initiative du rapport leur revient naturellement.

Les femmes seraient nécessairement passives. Si l’on attendaient qu’elles prennent l’initiative du rapport sexuel, l’humanité serait déjà éteinte !

Et bien sûr qu’on en connaît tous et toutes, des femmes qui n’ont jamais, ou presque, l’initiative du sexe. Et des hommes qui se disent « si je ne fais pas le premier pas, je peux toujours attendre ».

La culture du viol s’appuie, maintient et renforce ces stéréotypes : si une femme flirte lourdement, embrasse un homme qui plus est dans un lieu public, c’est donc qu’elle est consentante à un rapport sexuel ?

Dans ce cas, le fait que la femme assume son désir est un élément retenu à charge contre elle, lorsqu’elle porte plainte pour viol. Elle aime le jeu de la séduction, donc vous comprenez, ce qui s’ensuit ne peut pas être un viol.

Mais dans le cas de Denis Baupin, ce même élément est amené à sa décharge : c’est un séducteur, il aime le jeu de la séduction, donc vous comprenez, il ne peut pas avoir agressé des femmes.

La séductrice et le séducteur, un double standard criminel

La distinction devient évidente lorsque l’on replace les deux affaires côte à côte.

Au procès du 36, trois semaines d’audiences et des mois d’enquête en amont ont amené le tribunal à condamner les deux accusés à sept ans de prison. Ils ont été reconnus coupable du viol dont ils étaient accusés.

Le procès de Denis Baupin n’a pas eu lieu, les faits reprochés étaient prescrits, selon l’enquête préliminaire classée sans suite en conséquence.

Mais j’ai une intime conviction, sur ces affaires et sur toutes celles qui leur ressemblent : être un séducteur, une séductrice, aimer le flirt, le sexe, la séduction, ça ne peut pas être un élément à charge pour les victimes, et à décharge pour les agresseurs.

Ce double standard, c’est la culture du viol qui le permet, et c’est un manque d’esprit critique, de recul et de remise en cause de nos stéréotypes qui le fait persister.

À lire aussi : Culture du viol, consentement et « zone grise » : des concepts imaginaires ?


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Les Commentaires

8
Avatar de SoChanie
8 février 2019 à 20h02
SoChanie
@EleanorRigby
Je me disais exactement la même chose en lisant l'article ! Même si le double standard existe bel et bien, je ne trouve pas que ce procès en soit un bel exemple. (Il n'empêche que l'article était super intéressant tout de même )
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Voir les 8 commentaires

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