Esther est partie recueillir les témoignages des jeunes femmes de plusieurs pays, à travers le monde, avec une attention particulière portée aux droits sexuels et reproductifs : liberté sexuelle, contraception, avortement.
Elle a déjà rendu compte de ses rencontres avec des sénégalaises et sa deuxième étape l’a menée au Liban ! Elle y a réalisé interviews, portraits, reportages, publiés au fil des jours sur madmoiZelle.
Pour retrouver le sommaire de tous les articles et la genèse du projet, n’hésite pas à jeter un œil au sommaire de présentation : madmoiZelle en reportage au Liban !
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Je me suis rendue au camp de réfugiés de Shatila, à Beyrouth. J’y ai été accompagnée par Sana, qui gère la communication de l’ONG Basmeh & Zeitooneh, elle m’a emmené visiter le centre communautaire implanté dans le camp.
Le camp de réfugiés de Shatila a vu le jour en 1949, pour accueillir des réfugiés palestiniens arrivant par milliers. Depuis le début de la crise syrienne, des milliers d’autres réfugiés sont arrivés de Syrie – la population exacte est difficile voire impossible à estimer tant les réponses divergent, mais ce qui est certain c’est que le camp est surpeuplé puisqu’il avait été construit à la base pour 3000 personnes.
Peut-être son nom, Shatila, t’est-il familié : il est aujourd’hui encore très associé au massacre de Sabra et Shatila, survenu en 1982.
En arrivant, ce sont les fils électriques qui ont de suite attiré mon attention. Ils pendent de mur en mur, à travers les rues, forment des nœuds avant de se répartir dans plusieurs directions… On dirait presque des guirlandes.
D’ailleurs, Sana et sa collègue responsable du Centre d’arts & culture m’expliquent qu’ils sont en effet dangereux.
« Il y a des endroits où ils sont si bas que ta tête peut toucher. Et juste à côté, à la même hauteur, il y a les canalisations. La combinaison de la mort ! Quand il pleut d’ailleurs ça devient vraiment dangereux. »
Beaucoup de personnes meurent électrocutées dans le camps à cause de ces installations. On me parle de « 4 personnes décédées en deux mois ».
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Une guerre en Syrie qui s’éternise… et demande des solutions de long terme pour les réfugiés
Au sein de cet amas de béton gris, recouvert pas endroits de vêtements étendus ou de grand tissus et dont les toits abritent quantité de citernes d’eau, s’élèvent deux immeubles occupés par l’association Basmeh & Zeitooneh.
« Basmeh & Zeitooneh a été créée en 2012, par quatre réfugié·es syrien·nes. Au départ, l’idée était de distribuer des paniers alimentaires pour venir en aide aux familles dans le besoin qui arrivaient ici suite à la guerre.
C’était une solution de court terme, ils pensaient que la guerre n’allait pas durer. Mais 7 ans plus tard, elle est toujours là, alors au bout d’un moment ils ont décidé de mettre en place d’autres programmes pour vraiment empouvoirer la communauté. »
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Le premier d’entre eux fut le women workshop. Le but est de former des femmes à la broderie. Leur travail est ensuite finalisé dans un atelier de couture, puis vendu à des partenaires – étrangers la plupart du temps.
« Grâce à ça, elles ont un petit revenu, bien sûr c’est juste un supplément pour aider, ça ne permet pas de faire vivre toute la famille »
m’explique la superviseuse du projet.
« Les femmes viennent par groupes, ça tourne toutes les heures et demi, il y a 5 sessions par jour. Elles arrivent, elles brodent un peu, elles repartent chez elles avec leur travail et reviennent le lendemain, elle peuvent vérifier si tout va bien avec leur manager direct…
Le but, c’est aussi de pouvoir leur offrir un espace où elles peuvent discuter, sortir de chez elles car comme vous avez vu, il n’y a pas d’espace pour se promener, pas vraiment de cafés où les femmes peuvent se retrouver entre elles… »
C’est d’ailleurs pourquoi l’ouverture prochaine d’un café leur étant réservé dans le camps enthousiasme tant l’équipe de Basmeh & Zeitooneh.
Empouvoirer les femmes, c’est empouvoirer toute la famille
Chacune de ces femmes bénéficie aussi de soutien psychologique, car l’ONG a une approche globale.
« On travaille sur une approche communautaire, c’est à dire qu’on n’atteint pas tout le monde, mais les familles que l’on atteint profitent d’un ensemble de services très complet pour les empouvoirer.
Les femmes, lorsqu’elles viennent, peuvent laisser leurs enfants à la garderie. À partir de 5 ou 6 ans, ils peuvent participer aux activités organisées par d’autres programmes : le Peace and Education program, le Art & Culture center, l’école.
À partir de 16 ans, il y a aussi les « vocational training », des stages pour se former à l’anglais, à l’informatique… Et les maris de ces femmes peuvent aussi en bénéficier, voire participer au programme de « small grants », des petits prêts qui leur permettent de lancer leurs propres activités. »
Il faut savoir qu’au Liban, les réfugiés ont très peu de droits. La majorité des emplois leur sont inaccessibles.
« En gros, les Syriens peuvent seulement travailler dans la bâtiment, l’agriculture, ou les sociétés de nettoyage. »
Les Palestiniens se voient eux aussi interdire quantité de professions, en particulier lorsqu’elles demandent des qualifications.
Poser des couleurs sur le camp de Shatila
Alors qu’elle m’explique tout ça, Sana me mène d’étage en étage à la rencontre des managers de ces différents projets.
On passe par le Centre d’arts et culture où les jeunes peuvent suivre des sessions de théâtre, de musique, avoir accès à une bibliothèque publique ouverte à qui le veut, avec tous types d’ouvrages : du livre pour enfants aux livres d’histoires et de philosophie en passant par des romans ou de la poésie.
La cheffe de projet me montre une grande maquette du camps réalisée par des jeunes de 18 à 30 ans avec l’aide d’un artiste.
« Tous ces lieux existent, ils ont travaillé en allant dans les rues, en prenant des photos… Et puis ils y ont appliqué leur vision ; toutes ces couleurs, elles ne sont pas vraiment là en réalité. »
Il suffit en effet de jeter un coup d’œil par la fenêtre pour s’en apercevoir, mais puisqu’elles sont sur cette maquette, elles disent quelque chose de la manière dont ces jeunes perçoivent leur lieu de vie.
Soigner les traumatismes des enfants réfugiés
On termine presque tout en haut, là où se trouve l’équipe du programme « Paix et éducation ».
Leurs buts sont multiples : sortir les enfants de leur quotidien, leur permettre de créer et de s’épanouir à travers diverses activités, et utiliser ça pour se rapprocher d’eux suffisamment afin de détecter si les enfants subissent des abus.
Le chef de projet m’explique :
« Il y a plusieurs types d’abus : émotionnel, physique, sexuel, exploitation… Les activités que nous faisons avec eux nous permettent d’identifier ces cas.
Ensuite, selon si on les estime entre bas et moyen risque ou entre moyen et haut risque, on les oriente différemment : vers l’assistant social pour les premier, ou vers un psychologue pour les seconds.
Bien sûr tout cela peut être subjectif et nous n’avons pas toujours le même avis dans l’équipe, mais globalement un enfant qui travaille à mi-temps en parallèle de l’école pour faire des chaussures est moins à risque que celui qui doit passer sa journée à mendier en plein soleil, un enfant qui se fait traiter d’idiot chaque jour par son père est plus susceptible d’aller mal qu’un enfant à qui cela arrive seulement ponctuellement…
Mais il y a des signaux, s’ils ont des bleus par exemple ou des traces de coups, qui indiquent directement qu’ils sont en danger.
Une fois les cas repérés, l’assistant social essaie de travailler avec la famille car c’est généralement la meilleure façon de prévenir les abus. Lorsque ce n’est pas possible, on travaille avec les enfants sur leur capacité de résilience. »
Bouleverser le quotidien à Shatila
Sana m’emmène ensuite assister à une session du programme, une fois l’accord des enfants participants obtenu. C’est le début du cycle, le but est donc d’apprendre à se connaître.
Assis en cercle, ils sont une quinzaine et sont âgés de 6 à 8 ans. Je ne peux pas m’empêcher de remarquer que le nombre de filles dans ce groupe est bien inférieur à celui des garçons. Toutes et tous se présentent à tour de rôle et racontent ce qu’ils ont fait de leurs vacances.
Il y a ceux qui ont eu la chance d’aller à la plage avec leur papa, ou bien à Zahle, dans la Bekka. La majorité raconte être allé jouer dans le jardin public juste à côté du camps.
« Beaucoup de gens ont peur de sortir du camp, car ceux qui n’ont pas de papiers peuvent être détenus s’ils se font contrôler.
Mais généralement, ils sont libres d’aller et venir, personne n’est enfermé, et le jardin dont ils parlent est juste à côté c’est pour ça que c’est très simple d’y aller. »
Après les présentations, c’est l’heure de la course en sac et du fou rire qui illumine ma journée, malgré le fait que je n’ai pas pu rencontrer de jeunes femmes à qui parler directement de la vie ici.
C’est une possibilité que j’ai eue lors de ma visite suivante, que je vous raconte dans l’article suivant !
Pour en savoir plus sur ce que fais l’association Basmeh & Zeitooneh au Liban, tu peux consulter leur site et si tu le souhaites leur faire un don pour les aider à poursuivre leurs activités en cliquant ici.
- À suivre : « Il y a plein de gens qui veulent reconstruire la Syrie » : Hala, Aïsha et Ayat racontent leur vie de réfugiées au Liban
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