C’est moins familial que les onsens, mais presque aussi connu : les bars à hôtesses sont nombreux au Japon. Des jeunes femmes apprêtées y sont payées pour faire la conversation – on peut y voir une version moderne de la geisha, la rareté en moins. Ces bars d’un genre particulier ne sont pas seulement l’apanage des quartiers chauds de Tokyo ou des grandes villes, on en rencontre aussi en province. Au Japon, on fait facilement la distinction entre sexe et amour, alors pourquoi ne pas séparer aussi réconfort et sentiments ?
Méfiez-vous des snack-bars
Les premiers jours suivants mon arrivée au Japon, j’ai passé pas mal de temps à explorer les environs avec mon compagnon, genre « voyons donc où nous mettons les pieds ». Les petites villes ici faisant la taille des capitales régionales françaises, nous avions de quoi nous occuper. Un soir, la faim nous pousse dans un snack-bar. Le mot « snack » nous fait espérer une offre de restauration sur le pouce. L’extérieur est peu engageant : impossible de voir ce qu’il se trame à l’intérieur, comme souvent au Japon, mais on a déjà fait des découvertes sympas en passant outre. Ce soir-là, on sent tout de suite qu’on fait erreur : matrone en kimono derrière le comptoir, deux serveuses en robes de soirée, déco kitsch genre vieille Europe. Les clients se font allumer leur cigarette, verser leur bière ; on les sert en bavardant, accroupie près de la table, avec sourires et yeux de biche. Notre arrivée détonne, au milieu de ce qui doit être une clientèle d’habitués. Un petit groupe se lance dans un karaoké, les trois femmes applaudissent. On écourte notre passage… bilan : 50€ la bière. Ouch.
Ces établissements fonctionnent comme des bars à entraîneuses : les femmes sont payées pour rendre l’atmosphère « cosy », mettre le client en confiance, le faire rester longtemps et l’inviter à consommer un maximum. Les tarifs ne sont affichés nulle part : on compte au temps passé, à la quantité consommée, mais aussi à la tête du client. Les hôtesses sont rémunérées à la commission, sur la vente de boissons. Pour doper leur revenu, une seule manière possible : enclencher un jeu de séduction factice qui mènera à une bonne grosse cuite et un retour en taxi, avec chauffeur supplémentaire pour reconduire sa voiture.
Et le sexe là-dedans ? Officiellement, les bars à hôtesses ne sont pas des lieux de prostitution. Ça dragouille, ça allume éventuellement, mais ça ne consomme pas. Libre à chacune de faire ce qu’elle souhaite de ses fins de soirées. Cela dit, ces bars font partie de ce qu’on appelle au Japon « le commerce de l’eau », une catégorie d’activité dont fait aussi partie la prostitution. Les hôtesses semblent aussi être obligées d’accepter, pour les meilleurs clients, des rendez-vous à l’extérieur. Difficile de ne pas songer que ces lieux sont un endroit idéal de mise en relation… Juridiquement parlant, la prostitution est interdite au Japon, mais dans les faits, l’industrie du sexe se porte plutôt bien (le secteur enregistre un chiffre d’affaires d’à peu près 1% du PIB du pays), et un sondage de 2000, un peu vieux mais tout de même significatif, indique que 13,6% des hommes japonais reconnaissent avoir déjà payé pour des prestations sexuelles.
Un peu de sollicitude (et beaucoup d’alcool)
Pour être hôtesse, quelques qualités essentielles s’imposent : être mignonne, « avoir une bonne présentation », être empathique (ou bien simuler), avoir de la conversation et l’estomac solide
. Les hôtesses accompagnent leurs clients en se faisant offrir à boire, écoutent leurs confidences sur leur vie de couple, les ennuis au boulot… Elles jouent le rôle de la femme compréhensive. Lorsque le couple n’est pas (n’est plus ?) le lieu de l’échange et de l’écoute bienveillante, le snack-bar peut le devenir. On se fait consoler, brosser dans le sens du poil, c’est pour de faux mais ça fait du bien.
Comme les hommes ne sont pas les seuls à apprécier de boire un coup de trop tout en bénéficiant de l’attention d’un partenaire de sexe opposé plutôt séduisant, la formule inverse s’est développée. Dans les hosts clubs, des hommes très lookés (bronzés, cheveux décolorés, costume impeccable) accueillent les femmes en mal d’une oreille amicale, ou voulant fantasmer une idylle avec un beau gosse. Ils leur vendent « du rêve » avec beaucoup d’alcool dedans, et ce qu’elles n’ont pas à la maison : de la sollicitude.
Ces services sont réservés aux femmes les plus fortunées : l’addition monte très vite, et il est d’usage de « parier » sur son favori pour le faire grimper dans la grille de notation propre au bar. Les hommes se font offrir des cadeaux luxueux : montres, costumes, chaussures… Certaines y laissent des sommes astronomiques, voyant cette dépense comme un investissement pour obtenir un attachement durable de leur hôte préféré ; pour d’autres, c’est le prix à mettre pour décompresser.
Dans son enquête sur les métamorphoses de la jeunesse japonaise (Japon, la crise des modèles, Picquier, 2010), Muriel Jolivet, qui a interviewé plusieurs escorts masculins, indique qu’une part de leur clientèle fait partie de la profession. Après avoir diverti des hommes le temps de leur service, les hôtesses s’offrent un peu de réconfort tarifé dans les hosts clubs. Un système qui s’auto-entretient… et qui absorbe vite l’argent gagné.
Et toi, as-tu déjà entendu parler de ces bars particuliers ? Peut-on tout commercialiser, du ronronnement d’un matou (les célèbres bars à chat) à la sollicitude d’une personne ?
Les Commentaires
Sinon, ça me fait pas peur (parce que c'est moche à dire mais ce que je pourrais redouter arrive déjà : être forcée de coucher pour conserver un boulot qui ne l'impliquait forcément), mais je trouve ça triste.
Pour les hôtesses, comme pour les gens, obligés de payer des sommes astronomiques juste pour qu'on les écoute...
Mais bon, il y a une nécessité (de l'argent d'une part, de l'"affection" de l'autre), alors bon...