Banlieusarde : se dit d’un individu habitant en périphérie d’une ville qui se la pète. Ne s’applique pas aux habitants des villes qui se la jouent façon bimbo décolorée comme Neuilly-sur-Seine. Ne s’applique également pas aux bleds. Parce qu’on n’est pas non plus des paysans, faut pas déconner. (NDFab : y aura-t-il le moindre commentaire outré à propos de cette phrase dans les commentaires ?… je me demande…)
Je suis banlieusarde. J’habite à Sarcelles. 16 petits kilomètres me séparent de Paris. 6 stations de RER du centre de Paris. 30 minutes à tout casser. Si tu ne connais pas ma ville, et si tu es adepte des journaux télévisés à l’heure du déjeuner, tu me vois déjà me promener avec une bombe lacrymogène dans mon sac cadenassé, enfermée derrière ma porte blindée, habillée en baggy, une casquette à l’envers et un dentier en or. J’exagère ? À peine en fait. A chaque fois que je fais de nouvelles rencontres et qu’on me demande où j’habite, je m’amuse de l’air horrifié de mes interlocuteurs quand j’annonce la couleur.
« Ah bon ? Mais ca craint pas trop ? tu t’es jamais faite agresser ? »
« mais tu mets combien de temps pour venir à Paris ? 2h ? »
« ah c’est marrant t’as pas du tout une tête à habiter à Sarcelles ! »
« t’as du courage hein ! moi je supporterais pas de vivre si loin de PAAAARIIIIIS »
Le plus drôle c’est que la population des 20-30 ans à Paris est majoritairement constituée d’étudiants et de jeunes professionnels fraîchement débarqués de province et grisés par ‘’la capitale’’ comme des Rastignac en caramel mou, tous fiers d’emménager dans leur studio de 10m2 à 800 euros et de leur pass Vélib tout neuf. Ils refusent de passer le périphérique, comme si perdre la Tour Eiffel de vue pouvait les condamner à la mort violente par colique de harissa, et se gaussent chaudement des pauvres ploucs condamnés à l’enfer des transports en communs bondés, tout ragaillardis par leur nouveau statut social de parisien.
Ils ne connaissent généralement de Paris que trois quartiers bien distincts : celui où ils habitent (le 15ème, le 11ème, le 18ème), celui où ils bossent (le 8ème, le 6ème, le 7ème), et celui où ils sortent (ils sont ivres), mais ça leur suffit. Leur adresse leur permet de se moquer des autres, pas leur culture ou leur connaissance des rues ou des meilleurs plans.
Mais si seulement ils savaient, comme on profite, nous les banlieusards, les galériens, dans nos villes grises et tristes :
– Quand on voit les annonces désespérées des petits salariés passer sur les réseaux sociaux « SOS JE CHERCHE UN APPART N’IMPORTE QUOI N’IMPORTE OU A PARIS 1000 EUROS GARANTIES +++ ». Mais mec, passe la petite ceinture, viens vers la lumière, pour ce prix-là, chez moi t’as 5 pièces et 100m2 refait à neuf avec des voisins qui te gardent le chat.
– Quand on regarde les bobos aller déguster des fruits exotiques et des plats d’ailleurs dans les marchés de Barbès ou de Belleville le dimanche matin et nous pondre des billets de blogs en nous racontant à quel point c’est décalé et dépaysant, chez moi le marché c’est trois fois par semaine, deux kilomètres de long de bonheur par continent, les plantains et les feuilles de bananiers ici c’est la base, pas l’extraordinaire, et je te parle même pas des fruits du dragon, des sacs de riz, du bissap, du gingembre confit, du traiteur camerounais, du pâtissier tunisien. Sors de chez toi mec.
– L’entraide. Je sais, ça peut paraître une vue de l’esprit, et c’est sans doute contestable, mais j’ai habité 25 ans à Paris, et jamais on ne m’a aidé comme à Sarcelles. Ici, quand tu claques ta porte avec la clé à l’intérieur, pas besoin d’appeler un serrurier et de lui faire un chèque de 150 euros. Tu trouves toujours un voisin qui connaît un voisin qui a un frère qui connaît quelqu’un qui va venir t’arranger. Quand ca m’est arrivé à Paris, j’ai poireauté 3h dans mon hall, ca m’a coûté un bras, et personne ne m’a même offert un verre d’eau. Quand je rentre chargée, les mômes de mon immeuble arrêtent de jouer quand ils me voient arriver et PORTENT MES COURSES. Ca mérite des majuscules.
– La culture. C’est vrai, l’accès à la culture est plus difficile en grande banlieue. Il n’y a pas de cinéma dans ma ville, pas de musée, et seulement une librairie pour 80 000 habitants. La bibliothèque fonctionne certes à plein régime, et on a tous accès à Internet en fibre optique, mais ce qui compte vraiment ici, c’est la culture des gens, leur histoire. Ma ville est une ville typique des années 1960, quand il a fallu construire sans réfléchir pour rapatrier et accueillir l’immigration. Son patrimoine, c’est donc l’histoire des gens qui ont tout laissé ailleurs pour tout reconstruire ici. Il s’exprime dans des associations, dans des lieux de culte, dans des restaurants, dans des fêtes, dans des rassemblements, mais aussi simplement en te baladant et en regardant les gens, en observant que les femmes turques ne se voilent pas de la même manière que les femmes marocaines, que la ‘halla des boulangers casher ressemble à la brioche de son cousin hallal. Si tu es un peu curieux, mec, c’est vraiment le paradis.
– L’argent. Sérieusement, à chaque fois que je travaille à Paris et que je vais acheter un truc chez Monop’ ou équivalent, je fais une syncope devant les prix. Ils vous prennent sérieusement tous pour des abrutis, prêts à déverser votre bourse pour 1 kilo de courgette et une baguette. En 16 kilomètres, les produits de base sont attaqués par un mal mystérieux : l’inflation parisienne. Le kilo de pâtes de marque X coûte plus cher à Paris. Pourquoi ? Parce que vous le voulez bien. Parce que vous adorez les mini-markets et autres supérettes liliputiennes aux couleurs si tendances et aux salades hors de prix. Vous aimez vous faire entuber, je ne vois pas d’autres solutions. Vous n’êtes pas plus riches que nous pourtant. Mais vous êtes plus orgueilleux, et les distributeurs l’ont bien compris, le hard-discount alimentaire fait grimacer le parisien trop fier.
– L’étiquette. Parisien, c’est facile. Il suffit d’une adresse. Tu deviens parisien même en vivant à quatre dans une cave, il suffit d’une boîte aux lettres et d’un matelas. Tu cesses d’être parisien aussi vite que tu l’es devenu. Malgré mes 25 années de bons et loyaux services, dès que j’ai annoncé mon départ, mes amis m’avaient déjà rangé dans la case des grandes malades has been. Banlieusard, c’est un peu plus compliqué. La banlieue ne se donne pas facilement, et puis je ne connais pas une banlieue qui ressemble à une autre. Je ne connais même pas une rue de ma ville qui ressemble à la rue d’à côté. Y’a pas de manuel pour la banlieue, pas de blog de « Chic Minette, Pompadour et Macaron in Grigny 93 », y’a juste toi, tes horaires de RER, ton grand appartement, ta vue sur le bois si t’as de la chance, et un sourire un peu narquois quand t’entends tes potes te demander si tu tiens le coup si loin de tout. Hamdoulah moi ca va.
http://www.youtube.com/watch?v=XKPDRaIQS5U
— Daria Marx s’exprime également sur son blog très régulièrement.
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
Moi perso, j'adore Paris, je trouve que c'est une très belle ville, très riche culturellement etc... Par contre ouais c'est clair que jamais je ne serai allée faire mes études là bas, ça coûte trop cher.
Moi ça me paraît évident que cet article est plein d'humour, et je n'ai pas eu l'impression qu'il "démontait Paris" et les parisiens, mais bien certains aspects de Paris. Je suis désolée mais on ne peut pas nier que les loyers sont scandaleux (d'ailleurs comme je l'ai dit, c'est pour ça que moi c'était niet, pas les moyens), et que oui y a des gens (pas tous hein) qui n'y sont pas par obligation, mais bien par "orgueil"
Et non tous les parisiens ne sont pas condescendants, mais je vous assure que quand on est provincial et qu'on discute avec des parisiens purs et durs, on peut avoir l'impression de pas venir de la même planète (surtout que je viens d'Auvergne!^^), donc à partir du moment où vous ne vous sentez pas visées directement par l'article, je comprends pas pourquoi tant de haine...
Par contre, autant comme je l'ai dit j'aime beaucoup Paris, autant l'argument "Nan mais Paris y a tout, à portée de main, y a la culture etc..." Oui ok c'est vrai, mais.... c'est pas la seule ville.
Moi j'habite à Lyon depuis 5 ans et j'adore : nous aussi on a des restos de nuit, un paquet d'épiceries de nuit aussi, au niveau de la culture on est plus que bien, on a aussi des cinés en VO et à 5€ la place, on a un bon festival de cinéma, on accueille le plus gros festival de musiques électroniques de France, on alterne tous les ans entre biennale de la danse/biennale d'art contemporain et surtout, la ville est plus "à taille humaine".
Du coup moi quand j'entends "Ah mais tu bosses dans la culture? Dans le théâtre? Va falloir que tu montes à Paris alors!" Ben non, c'est pas obligatoire non.