"Here, at last, was a man who was not afraid of emotion". Car qui mieux que Bukowski qui le considérait comme son maître peut présenter John Fante ? Tels sont les mots qu’il emploie à propos de l’auteur de Bandini dans la préface de Demande à la poussière.
Cet écrivain américain d’origine italienne n’a, parait-il, écrit de romans que sur lui-même, ressassant sans cesse les mêmes faits à propos de sa vie, de son enfance notamment, comme tel est le cas autant dans Bandini que dans Le vin de la jeunesse. Le cadre en effet est semblable dans ces deux romans, et on ne doute pourtant pas que le caractère fictionnel de ces récits ait son importance. Il y a la mère, grenouille de bénitier folle de son mari, ouvrier orgueilleux et bien sûr, dur avec ses enfants. Ses enfants, des fils, pour lesquels il subit l’humiliation de vivre dans une maison qu’il n’a pas encore totalement payée, d’avoir des crédits chez tous les commerçants du quartier.
La force de Bandini n’est pas dans la complaisance, pas dans le malheur. Car le narrateur est partout. John Fante se sert dans ce récit de la troisième personne pour naviguer plus qu’habilement du père au fils (à Arturo, le petit héros qu’on rapproche sans doute de John Fante, sans pour autant les identifier complètement l’un à l’autre). La focalisation alterne entre les deux personnages, tant et si bien que la dédicace de l’auteur à son père ("avec admiration") semble prendre son sens dans ce croisement.
Pourtant on ne peut aller jusqu’à l’identification entre Arturo Bandini et John Fante, et ce n’est après tout pas là l’intérêt de ce roman parfaitement maîtrisé. Il réside, outre dans l’habileté de ces variations de focalisation, dans de sublimes sursauts à la première personne dans lesquels l’émotion dont parle Charles Bukowski atteint son apogée. Pourtant ces passages sont courts : mais ils donnent vie et mouvement au récit déjà agité par la force de l’écriture de John Fante.
D’autre part, l’écrivain joue avec humour d’anecdotes en tout genre : des angoisses du garçon face à la religion à l’humiliation infligée par une camarade de classe, le narrateur semble toujours jeter un regard amusé sur ces épisodes de l’enfance du personnage ; sans pour autant que l’émotion disparaisse.
C’est là la qualité de Bandini. L’ambivalence entre force et émotion, entre humour et sentiment. Pas de niaiserie, pas de cynisme glacial. Car la vraie émotion, n’est-ce pas voir un personnage qui joue les durs autant qu’un auteur à l’écriture forte voire violente s’émerveiller face à un flocon de neige ? Cette poésie-là n’est-elle pas particulièrement plaisante ? On la retrouve dans Bandini.
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