Céline Sciamma est sur une sacrée tournée : le temps que je passe de la maison familiale à la ville où je fais mes études, j’ai eu deux occasions de voir une avant-première de Bande de filles agrémentée d’une rencontre avec la réalisatrice. J’ai loupé la première, bondi sur la seconde et j’ai été soufflée.
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Alors Bande de filles, je le recommande indubitablement ! Mais pourquoi donc ? Bah je vais vous le dire.
Céline Sciamma et la violence salutaire
Au cours de la rencontre avec la réalisatrice Céline Sciamma après la séance, j’ai entendu quelques clés de lecture qui m’ont aidé à percevoir ses autres films sous un nouveau jour ou de confirmer certaines idées que j’avais sur son travail.
Ainsi, quand on lui a fait remarquer que les hommes n’étaient pas vus sous leur meilleur jour dans ses films, elle a confirmé qu’il était voulu que leurs rôles soient caricaturaux. Je ne suis pas d’accord là-dessus, d’ailleurs, puisque les deux rôles masculins sont sous certains aspects beaucoup plus ambigus que les deux rôles comiques de la Bande de filles, même s’ils ont moins de temps à l’écran. Céline Sciamma a également ajouté que si on regardait le cinéma en général, ce traitement de rôle secondaire/potiche est généralement réservé aux femmes.
Eh oui : elle n’a centré ses films que sur des adolescentes (préado dans Tomboy, ados pur jus dans La Naissance des Pieuvres et presque des jeunes adultes dans Bande de filles), et voilà qu’on lui reprocherait presque d’être inégalitaire ! Et la question a dû revenir d’innombrables fois : « pourquoi ce thème de la féminité ? »… Comme si on posait la question du masculin aux réalisateurs adeptes des héros virils.
La réalisatrice a également abordé le thème très intéressant d’une violence ludique et même salutaire, à travers des combats vécus comme des jeux. On trouvait déjà cela dans le film Tomboy
où les bagarres entre gamins semblaient bien moins atroces que la violence suggérée d’un retour imposé aux normes du genre.
En l’occurrence, en faisant des recherches liées au phénomène des « bandes de filles » Céline Sciamma a constaté que statistiquement, il y avait toujours une violence féminine, minoritaire mais bien là. « On redécouvre sans cesse l’historicité de la violence des femmes », a-t-elle déclaré. Et moi qui ne jure que par les chevaleresses, amazones et guerrières travesties qui sont une vérité historique dévalorisée, j’ai eu envie d’applaudir des oreilles !
Progressiste… mais pas seulement
Si les États-Unis ont eu leur Blaxploitation mais aussi les Gangsta Movies des années 90, en France, on n’a pas vraiment eu de cinéma lié aux minorités aussi médiatisé. Peut-être est-ce une question de politique… Nous avons des façons très différentes de traiter la question et quand il existe un terme « Afro-Américain » (popularisé par Malcolm X), nous rechignons, nous autres Français, à mettre des étiquettes, parfois quitte à sauter des deux pieds dans l’hypocrisie.
Dans la pub, nous avait dit Pénélope Bagieu, il n’y a ni « Noirs » ni « blacks », juste des « métis-ses ». Il ne s’agit pas là de dire que c’est mieux aux États-Unis ou que c’est mieux en France, je fais juste un constat.
De fait, dans le cinéma en général, voir un casting principal de femmes, c’est rare, voir un casting principal de Noirs, c’est rare ; les deux additionnés, et qui plus est en France, donne tout de suite au film des allures de brûlot. Et pourtant, Céline Sciamma, si elle a fait un choix audacieux et même politique, ne dirige absolument pas son casting dans cette direction !
Tout comme la question du genre n’était pas dans Tomboy un moyen de faire le buzz, le casting de Bande de filles n’est pas là pour le quota bonne conscience ! La réalisatrice donne à ses personnages des profils universels et fait même de sa protagoniste principale une héroïne à l’ampleur quasi mythologique. Alternant entre les plans iconiques et stylisés, des scènes comiques au burlesque rythmé et un réalisme sobre et efficace allant du chaleureux au glaçant, Céline Sciamma suit les pas d’une anti-héroïne incroyablement rafraîchissante.
De Marieme à Vic
Le film suit donc les pas d’un véritable personnage de cinéma. Marieme est une jeune fille ordinaire qu’on voit abandonner le lycée parce qu’on lui refuse la filière générale. Racisme ou pas ? Céline Sciamma ne donne pas la réponse, mais dès cet instant on peut deviner la soif d’absolu de l’héroïne. Silencieuse et contemplative, elle cultive une philosophie « tout ou rien », ce qui ne l’empêche pas d’être pétrie de contradictions.
Durant le film, elle évolue constamment en se heurtant aux limites de ses divers états. Au cours des différents chapitres qu’une musique de Para One découpe comme un roman, elle se métamorphose pour survivre. Rebaptisée Vic, comme Victoire, elle découvre sa féminité avec une robe volée, pour finir par bander sa poitrine en se cachant dans des sweats informes…
Tour à tour féminine et masculine, elle envoie bouler le garçon qui assène à ses copines, comme une insulte, « bande de filles », mais finit par adopter les codes des dominants. Ramenée brusquement à son état de femme, elle refuse de « faire la pute » et frappe pour se défendre. Contradictoire mais loyale, intègre et en quête d’absolu, telle est Vic, et on suit avec passion son parcours semé d’embûches qui s’achève sur une fin ouverte, une fin libre.
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Les Commentaires
Ah oui en effet je ne l'avais pas du tout reconnu, faut dire qu'il fait un peu toujours la gueule dans la série