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Balenciaga, son vrai « faux » Gucci, et son survêt rentré dans les chaussettes résument l’ironie de la mode
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Balenciaga et son survêt rentré dans les chaussettes résument toute l’ironie de la mode

Le défilé Balenciaga printemps-été 2022 fait beaucoup réagir, notamment pour sa réinterprétation d’une allure — commune dans certains quartiers populaires — de jogging rentré dans des chaussettes et sacs de luxe contrefaits.

Suffit-il qu’un survêtement soit griffé par une grande maison de luxe pour qu’il devienne une tenue socialement valorisée ? C’est la question qu’on peut se poser devant le vingtième passage du (faux) défilé Balenciaga printemps-été 2022.

L’attaque des Clones selon Balenciaga printemps-été 2022

Baptisée Clones, cette nouvelle collection a été présentée le 6 juin 2021 par une seule et même mannequin, l’artiste Eliza Douglas, grande favorite du directeur artistique Demna Gvasalia, marchant lors d’un défilé fictif qui n’a donc pas vraiment eu lieu (covid oblige).

Dans cette réflexion par les vêtements sur l’identité et la réalité du faux, Demna Gvasalia a donné le change à Alessandro Michele, son confrère de chez Gucci (marque qui appartient, comme Balenciaga, au groupe de luxe Kering), en revisitant à son tour certaines de ses créations signatures. Et forcément, des sacs signés Balenciaga s’inspirant de Gucci ressemblent (volontairement) à des contrefaçons.

Dans ce jeu de vrais faux-semblants que Demna Gvasalia affectionne tant, plusieurs silhouettes se voulaient archétypales, selon son procédé créatif qui s’inspire du concept du ready-made de l’artiste contemporain Marcel Duchamps.

Parmi ces looks « décalqués », une dégaine de survêtement rentré dans des chaussettes et baskets, accessoirisée d’une casquette, d’une sacoche et d’une pochette qui semblent contrefaites peut faire grincer des dents.

https://twitter.com/SameOldShiit/status/1401691219391090694?s=20

L’ironie du survêt’ rentré dans des chaussettes et baskets selon Balenciaga

Car c’est avec une ironie mordante que cette maison illustre une forme de double standard de la gentrification du vestiaire. Un même look suscitera des réactions et préjugés différents en fonction de qui le porte, dans quel quartier, et à quelle classe sociale présumée l’individu en question semble appartenir. Cette dégaine dans de beaux quartiers versus

la même allure dans des quartiers populaires, a fortiori si la personne est racisée (c’est-à-dire assignée à une race sociale), ne suscitera pas les mêmes préjugés, voire formes de répression…

Sur ce podium Balenciaga, cette dégaine semble davantage être un déguisement pur luxe pour singer une classe populaire, souvent racisée, en contexte français. Par métonymie, cette allure de jogging rentré dans des baskets-chaussettes est devenue un tel synonyme de « jeunes de quartiers populaires » qu’elle peut aider certains rappeurs d’ascendance un peu trop bourgeoise à donner l’impression de s’encanailler et augmenter leur street-cred, par exemple…

Notons tout de même que Demna Gvasalia est d’origine géorgienne, et que la question raciale se configure différemment en Georgie. Cette dégaine ressemble à ce qu’on appelle dans une partie de l’Europe de l’Est un « gopnik » (lascar) pour désigner des jeunes des quartiers populaires. L’ironie classiste de voir ce jogging sur un podium de luxe reste valide même dans ce contexte là.

Un jogging traité comme un déguisement, sans les stigmates sociaux qui vont avec

Ce look se voit également fétichisé par certaines personnes qui fantasment sur ce genre de profils sociaux. Dans le milieu gay par exemple, les fétichistes de cette dégaine s’appellent les kiffeurs ; je ne compte plus les fois où une potentielle rencontre chinée sur une appli gay m’a demandé si je pouvais venir en baskets-jogging à un date (alors que je suis plutôt du genre bottines à talons, pantalon taille haute et crop top de créateur belge, mais qu’importe)…

Que je puisse porter un jogging semble évident et excitant pour ces possibles partenaires, car je suis un jeune homme noir, et qu’ils veulent se taper un cliché, un stéréotype de « jeunes des quartiers » (clairement en train de devenir une tournure euphémisante pour dire « homme perçu comme noir ou arabe », si vous voulez mon avis). Car la question raciale affleure forcément dans le traitement esthétique, social, et politique du survêtement.

En 2017, une enquête menée avec impartialité par le Défenseur des droits de l’époque, Jacques Toubon, pointait que les jeunes hommes perçus comme noirs et arabes encourent 20 fois plus de risques d’être contrôlés par la police que le reste de la population :

« Si l’on combine ces deux critères, 80% des personnes correspondant au profil de “jeune homme perçu comme noir ou arabe” déclarent avoir été contrôlées dans les cinq dernières années (contre 16% pour le reste des enquêté.e.s). Par rapport à l’ensemble de la population, et toutes choses égales par ailleurs, ces profils ont ainsi une probabilité 20 fois plus élevée que les autres d’être contrôlés. »

Évidemment que Balenciaga a bien le droit de créer des déguisements « caricature de banlieusard » pour une jeunesse dorée insouciante. Mais je doute que ce choix ait une quelconque incidence positive. Au contraire, ça ne fait que rendre la réalité plus amère et carnassière.

Pendant que ce vrai faux jogging griffé par une maison de luxe défile, des personnes racisées qui en portent avec sincérité, voire passion, se voient marginalisées socialement, fétichisées sexuellement, et traitées de « racaille » et réprimées comme telle par la police. Sur certains corps comme le mien, le survêtement n’a jamais rien d’innocent.

À lire aussi : Madmoizelle lance « Matières Premières », son podcast sur la mode éthique et contre le greenwashing


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Les Commentaires

4
Avatar de Endless
15 juin 2021 à 16h06
Endless
Super article encore une fois !
1
Voir les 4 commentaires

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