Bad Ass, c’est le genre de titre qui pourrait sembler casse-gueule. C’est du comics français, ce qui pourrait suffire à faire grimacer les puristes. Le problème du comics version française c’est qu’il peut vite virer cliché, et avouons que ça serait dommage de lire une espèce de pâle photocopie de ce qui se fait de bien outre-Atlantique (surtout qu’il n’y a pas grand intérêt). Il existe déjà des titres inspirés des super-héros et de la culture du comics américain réussis, mais je dois dire que cette BD m’a vraiment bluffée. Si j’avais lu le titre sans savoir qui sont les auteurs, je n’y aurai vu que du feu. Bad Ass, c’est comme un vrai « comics américain » – simplement, ce sont des Français qui l’ont fait. Ici il n’est pas question de bêtement recopier les codes du comics, les auteurs se les sont appropriés et ont imaginé une histoire jubilatoire, avec un héros si détestable qu’il en devient forcément génial.
Dead End, Jack Parks de son vrai nom, est le genre de salopard qu’on n’aimerait pas avoir pour ennemi. Les rires des enfants lui filent la nausée. Tout ce qui ressemble de près ou de loin à un moment de bonheur simple le dégoûte, en fait. Il n’a pas d’état d’âme, ne prend son pied qu’avec un peu de violence gratuite, et traîne son flegme et son humour bien à lui dans les pires recoins de la ville. Mais derrière le masque, y a-t-il un petit garçon abîmé par la vie ?
Les dialogues sont hilarants, le dessin très beau, les scènes d’actions aussi nombreuses qu’explosives et les couleurs terminent de nous en mettre plein les mirettes. Dead End rentre directement dans la catégorie des super vilains, et avouons-le, on adore le détester.
Herik Hanna, Bruno Bessadi et Gaëtan Georges étaient présents à Angoulême : l’occasion de leur poser quelques questions sur cette nouvelle série des plus cools, qui inaugure (plutôt très bien) toute une collection de comics made in France chez l’éditeur Delcourt.
Herik Hanna (photo Chloé Vollmer-Lo) et Bruno Bessadi
Pouvez-vous vous présenter et nous raconter un peu votre parcours ?
Herik Hanna – Herik Hanna, scénariste de Bad Ass, j’ai commencé chez Delcourt grâce à David Chauvel qui m’a mis le pied à l’étrier. J’ai commencé avec L’Héritage du Kaiser qui appartenait à la collection du Casse, puis 7 Détectives pour la collection des 7, et Void 01 dans la série la Grande Evasion.
Bruno Bessadi – Je suis Bruno Bessadi, dessinateur de Bad Ass et avant ça j’ai dessiné la série Zorn et Dirna chez Soleil.
Gaëtan Georges – Moi je suis Gaëtan George, coloriste sur la série Bad Ass, j’ai commencé à travailler sur les 7 Naufragés, puis David Chauvel, le directeur de la collection, m’a donné la possibilité de faire Bad Ass.
Comment est née l’idée de cette série ?
Herik Hanna – C’est David Chauvel, qui connaissait mon amour du comics depuis de longues années, qui m’a dit que si un jour je voulais faire un truc de super-héros, et si c’était bon, Delcourt le publierait. Je lui ai dit que si je faisais quelque chose ça ne serait pas du super-héros mais du super-vilain parce que déjà j’avais envie de voir le côté obscur de la force ; on a appelé le truc Bad Ass et le titre est resté. Je n’avais pas de contrainte, liberté totale, donc j’ai juste ouvert les vannes du conditionnement du comics que j’avais eu dans mon enfance, adolescence et même aujourd’hui puisque je suis toujours lecteur de comics. Pas de restriction, pas de barrière, juste se faire plaisir.
Comment vous êtes-vous rencontrés, tous les trois ?
Bruno Bessadi – Au commencement il y avait David Chauvel et Herik Hanna, qui ont fait ce qu’ils avaient à faire entre eux. C’est à dire que le scénario a été validé par les éditions Delcourt, et il leur manquait un dessinateur. Et, hasard bienveillant, j’ai eu la chance d’être choisi. J’ai été contacté par mail. Et toujours par mail nous avons contacté le talentueux Gaëtan Georges.
Gaëtan Georges – Moi c’est un de mes premiers projets. J’ai participé à une annonce pour réaliser les couleurs de 7 Naufragés, et David Chauvel m’a proposé de travailler sur Bad Ass. Au début Bruno était un peu réticent parce que j’étais jeune.
Bruno Bessadi – Pas parce que tu étais jeune, mais inexpérimenté.
Gaëtan Georges – Oui voilà, et finalement ça s’est bien passé, ça a été accepté et ensuite tout s’est enchaîné.
Justement, comment est-ce que vous avez travaillé ensemble sur la série ?
Herik Hanna – D’une manière très classique. À partir du scénario, Bruno fait un storyboard. Il est commenté par nous trois (Herik Hanna, Bruno Bessadi et David Chauvel), ensuite Bruno le retouche éventuellement puis passe au crayonné. Puis le crayonné est validé, et on passe à l’encrage. Et enfin, c’est transféré à Gaëtan qui apporte son talent ineffable à la chose.
Comment s’est passé le travail sur les couleurs : vous avez travaillé tous ensemble sur le choix des teintes, etc. ?
Gaëtan Georges – Au début je n’avais pas trop d’indications, puis ça s’est compliqué.
Herik Hanna – On voulait une patine flashy, vraiment américaine.
Gaëtan Georges – Mes influences ne sont pas très américaines. J’aime beaucoup le travail sur Ken Games, ça m’a guidé au niveau des couleurs. Sinon pour revenir à notre façon de travailler c’était surtout beaucoup de liberté au départ et puis après on s’échangeait des mails et c’est là que chacun venait pinailler sur les derniers détails.
Bruno Bessadi– Je me rappelle : il avait fait les semelles des Converses grises alors qu’elles sont marron, et je ne pouvais pas laisser passer ça. Voilà le niveau de pinaillage.
Quand on lit Bad Ass, et qu’on ne sait pas que c’est un comics français, l’illusion est parfaite. Est-ce que ça a été difficile de sortir des codes du franco-belge, que ce soit dans la narration ou dans le dessin ?
Herik Hanna – Non, parce que Bruno comme moi, on a été biberonné au comics depuis notre plus jeune âge, donc c’est presque génétiquement en nous. C’est un boulot de rêve en fait de pouvoir faire du comics, c’était inespéré. Donc David n’a pas eu besoin d’ouvrir beaucoup la porte pour que je me jette dedans et j’ai écrit les quatre d’affilée. C’était au contraire un plaisir d’expérimenter ce format.
Et dans le sens inverse, est-ce que ça n’a pas été difficile de s’affranchir de vos influences comics pour donner à la série un ton à part ?
Herik Hanna
– C’est con à dire mais on évite de se poser la question quand on bosse, on a juste un personnage principal qui nous entraîne dans son univers et on essaie de faire ça le mieux possible, de ne pas avoir d’appréhension, de ne pas se mettre de barrières, de limites.
En parlant des influences toujours, quels sont les comics qui vous ont le plus influencés, et au-delà du comics, quelles sont vos influences pour cette série ?
Bruno Bessadi – Spontanément je répondrais Killing Joke, un comics de Batman dessiné par Brian Bolland et scénarisé par Alan Moore. Et le travail que j’étudie vraiment et que je feuillette régulièrement, c’est celui d’un Français qui s’appelle Olivier Coipel, qui est maintenant une super star des éditions Marvel. Au début je m’intéressais à son travail parce que j’étais tout simplement jaloux qu’il travaille chez Marvel et pas moi. Mais maintenant je ne le suis plus vraiment puisque j’ai la chance de faire Bad Ass, et que j’ai plus de liberté que lui je pense. Par exemple, si je veux faire du sang je peux. Il y a sûrement d’autres influences mais ce sont celles auxquelles je pense. Brian Bolland et Alan Moore, et au niveau du graphisme et du découpage, Olivier Coipel. Et je parle tellement de lui que j’espère qu’un jour je vais le rencontrer.
Herik Hanna – En fait tout peut être une influence, donc je ne peux pas dire ce qui l’a été pour Bad Ass. Au niveau des lectures ce n’est pas très original, c’est Watchmen de Moore, Dark Knight de Miller, le Long Halloween de Tim Sale et Jeph Loeb et bien d’autres. Mais il n’y a pas que le comics qui a influencé Bad Ass, y’a aussi pleins de films, de musiques…
Georges Gaëtan – Je l’ai déjà dit sur Ken Games. Niveau comics, c’est très récent, le Batman de Greg Capullo et Sniders m’a beaucoup marqué.
Bad Ass a un univers avec plusieurs super-héros, qui n’existent nulle part ailleurs. Comment s’est passé le travail sur les personnages ?
Herik Hanna – On les a travaillés ensemble à partir de la définition que j’en faisais dans le scénario. Jack est apparu très spontanément, son univers aussi, sa nemesis et les personnages secondaires… Et toujours cette volonté d’avoir des personnages originaux même si ce sont de gros clins d’oeil à des figures du genre. Dans la création de leurs pouvoirs, on a joué avec les pouvoirs habituels pour s’en amuser.
Bruno Bessadi – Au niveau des modifications on a quand même enlevé la cape de Black Snake par exemple.
Herik Hanna – Par exemple Amadeus Kitty, c’est le surnom d’une copine, et quand j’ai appris ça, j’ai vu le chaton, j’ai vu Mozart, et je voyais une héroïne habillée en chaton et qui fait du Mozart, et je me suis dit c’est trop débile faut vraiment le faire. Et c’est un peu comme ça pour tout. Ils sont venus tous rapidement, spontanément.
Et Bruno Bessadi, ça a été facile de se les approprier ?
Bruno Bessadi – Oui, de toute façon c’est le genre d’univers que j’affectionne, un peu décalé. Je me sens dans mon élément.
Dans ce premier tome, on ne sait pas vraiment si le héros a des pouvoirs. Est-ce que c’était quelque chose qui était en amont de l’histoire, ou est-ce que ça s’est fait dans l’écrire ?
Herik Hanna – C’était dans l’écriture. Comme on peut le constater à la dernière page. Généralement les super-héros et super-vilains sont présentés avec leurs caractéristiques. Nous on voulait justement mettre le super-pouvoir, ou le non-super pouvoir du héros au centre de l’intrigue, et jouer avec ça.
On entend souvent des acteurs dire qu’ils aiment jouer des rôles de méchants. Est-ce que de la même façon il y a un plaisir particulier à faire évoluer un personnage de méchant ?
Herik Hanna – Oui carrément, c’est pour ça que j’aime les psychopathes. On aime autant les super vilains, si ce n’est plus, que les super-héros. Je pense notamment à Fatalis. Ils sont attachants pour pleins de raisons, c’est intéressant de jouer avec l’autre côté.
Bruno Bessadi – En fait le plaisir est plus en le dessinant dans ses attitudes. Par exemple au début de la BD il fait un croche-patte à un gamin et dessiner cette scène m’a vraiment fait rire. Dessiner des scènes un peu dégueulasses comme ça, ça m’amuse bien entendu. Mais là où est surtout mon plaisir c’est en imaginant la personne qui va voir ça. Si la personne qui voit ça trouve cette scène dégueulasse, ça me fait plaisir.
La BD est prévue en 4 tomes, est-ce que vous pouvez nous en dire un peu plus ?
Herik Hanna – Dans le deuxième tome on présente un personnage féminin, ancienne collègue de Jack. Son histoire, pourquoi et comment. Ce sont les deux personnages principaux. Et comme dans la tragédie greque ou comme Georges Lucas l’a fait aussi au sein de Star Wars, il y aura l’acte 1 – présentation des personnages, chez nous qui sera en deux tomes, l’acte 2 – complication, l’acte 3 – libération ou… super complication (le deuxième tome sortira en septembre).
Et quel est votre comics préféré ?
Herik Hanna – Sans hésitation, Watchmen.
Bruno Bessadi – J’en ai parlé, c’est Batman Killing Joke. Quand j’étais gamin j’étais vraiment bluffé par Superman contre Spiderman, par Ross Andrew je crois. Quand ils se battaient c’était génial.
Gaëtan Georges – Le Batman de Greg Capullo dont j’ai déjà parlé, la Cour des Hiboux aussi, et j’ai beaucoup aimé les Seigneurs de Bagdad également.
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Merci à Herik Hanna, Bruno Bessadi et Gaëtan Georges, mais aussi à Emmanuelle et Maud de chez Delcourt.
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