Sable Starr, Lori Lightning ou encore Bebe Buell sont devenues des stars du Los Angeles des années 70 en fréquentant intimement les musiciens les plus adulés de leur temps — de Jimmy Page (Led Zeppelin) à Mick Jagger (The Rolling Stones) en passant par Iggy Pop — alors qu’elles étaient mineures.
Le nom de baby groupies émerge, banalisant et fantasmant leurs relations avec les superstars. En réalité, ce mouvement soulève la question du consentement et des dynamiques de pouvoir entre stars et fans.
Clarinette, youtubeuse culture et médias, s’est lancée dans une série de vidéos à l’assaut de ce dossier aussi vaste que complexe : la fan culture.
Sa première vidéo porte donc sur le sujet des baby groupies, levant ainsi le voile sur un phénomène qui paraît d’un autre temps, mais qui à bien y regarder, continue — plus hypocritement — d’exister…
Les baby groupies, un phénomène des années 70
La décennie 70 se fait la digne héritière des mouvements hippies aux États-Unis, et des soixante-huitards français. La liberté sexuelle est à l’ordre du jour — si par liberté on entend abolition de tous cadres.
À Los Angeles, les bars connaissent de bien meilleurs jours que les nôtres, et on y voit traîner les icônes masculines de l’époque : David Bowie, Jimmy Page, Mick Jagger et Iggy Pop, entre autres, qui voient tous la trentaine arriver à l’horizon.
Clarinette donne un coup de projecteur sur deux jeunes filles ayant respectivement 13 et 14 ans à l’époque : Lori Mattix (dite Lightning) et Sable Starr, les plus réputées des baby groupies.
Grâce à leurs fausses cartes d’identité, elles traînent dans les mêmes bars que leurs idoles, et entament avec leurs aînés des relations que les magazines s’empressent de documenter. Mais loin d’eux l’idée de dénoncer ces pratiques ! Au contraire, Sable Starr et Lori Mattix, entre autres, deviennent les nouvelles idoles des jeunes filles : celles qui sont parvenues à accomplir le rêve de toutes les fans…
Si ces relations relevaient tout de même du détournement de mineures, leur banalisation a poussé les chanteurs à les exposer au grand jour, jusqu’à en faire des hymnes. Ainsi, Clarinette explique que Jimmy Page (28 ans) chantait pour Lori Mattix (14 ans) en 1972 dans Sick Again de Led Zeppelin :
« One day soon, you’re gonna be 16 »
(« Un jour, bientôt, tu auras 16 ans »)
Iggy Pop ira même jusqu’à clairement exprimer dans Look Away :
« I slept with Sable [Starr, NDLR] when she was 13 »
(« J’ai couché avec Sable quand elle avait 13 ans »)
En toute impunité, bien sûr.
En France, on n’est cependant pas en reste ! Johnny Hallyday dédie à la Adeline Blondieau de 15 ans la chansons Je te promets alors que lui a bien entamé sa quarantaine, Claude François vante les mérites des filles de moins de 15 ans
, tandis que de nombreux intellectuels (dont Simone de Beauvoir — pour donner une idée d’à quel point cette idée est répandue à l’époque) signent des tribunes pro-pédophilie, disant vouloir laisser une liberté totale à chaque individu, quel que soit son âge.
Comme l’expose parfaitement Clarinette : si l’amour n’a pas d’âge, alors pourquoi la raison première de la naissance de ces relations entre fans et stars est cette jeunesse qui permet à l’homme d’assoir son pouvoir sur sa compagne ?
Baby groupies et consentement : incompatibilité
Des années plus tard, quand Lori Mattix ou Sable Starr s’expriment sur leurs années de baby groupies, elles avouent ne rien regretter, car elles voient ces relations comme consenties.
La loi ne reconnaît pas forcément ce qu’elles ont vécu comme un viol, et les jeunes filles non plus… mais les enjeux de domination entre fan et star rendent difficile de combattre la pédocriminalité. C’est là qu’interviennent les limites du consentement et ses subtilités.
Concernant les relations sexuelles entre une personne adulte et une personne mineure, la loi française n’est pas toujours facile à comprendre. Le site du Crips Paris (Centre régional d’information et de prévention du sida et pour la santé des jeunes) résume bien les choses :
« Pour les mineurs de 15 ans (de moins de 15 ans):
- Toute relation sexuelle entre un adulte et un mineur de 15 ans (c’est à dire de moins de 15 ans) est interdite et passible de sanctions pénales.
- Ces peines sont aggravées si l’adulte est un ascendant ou exerce une autorité de droit, de fait ou liée à ses fonctions sur le mineur (enseignant, éducateur, etc…).
Pour les mineurs de plus de 15 ans :
- Les relations entre un mineur de plus de 15 ans et un majeur sont autorisées dans la mesure où elles sont librement consenties
- mais elles restent interdites et punies par la loi dans certains cas : si la personne majeure est un ascendant ou une personne ayant une autorité de droit ou de fait ou liée à ses fonctions sur le mineur. »
Il ne peut pas réellement exister un consentement quand le rêve de l’enfant est de satisfaire l’adulte, quand la relation repose sur la fascination, et donc le déséquilibre entre les deux personnes impliquées. Encore moins quand ces mêmes relations sont présentées par la société comme romantiques…
Ce phénomène ne prend malheureusement pas fin dans les années 70, mais continue d’exister plus insidieusement aujourd’hui. Cependant, les moeurs ont évolué et nous sommes revenus de cette revendication d’une liberté sexuelle totale et non-encadrée. Ainsi, quand le streamer TheKairi78 dévoile que sa petite amie n’est âgée que de 16 ans (alors que lui en compte 33), le tollé est immédiat. Ce n’est plus « une belle histoire d’amour ».
On note toutefois le tabou qui plane encore autour de ces problématiques, comme le démontre l’affaire Olivier Duhamel. Dans son livre La Familia Grande, Camille Kouchner accuse son beau-père d’avoir eu des relations incestueuses avec son frère jumeau, alors qu’il n’était âgé que de 15 ans. L’omerta familiale et sociétale n’a été levée que 40 ans plus tard, grâce au livre. Citons également le trop grand nombre de médias qui continuent de présenter des affaires de détournement de mineure comme des « romances interdites »…
Clarinette n’incite pas au cancel des artistes qu’elle cite dans sa vidéo, mais souligne l’importance de se tenir au courant de ces pratiques pour comprendre les enjeux sociétaux autour de la fan culture. Et peut-être de réfléchir avant de glorifier ces chanteurs, et de faire le choix — éclairé et personnel — de continuer de les écouter… ou non.
Comme elle le rappelle, le fait même d’être fan d’un artiste n’est pas innocent, puisqu’il révèle souvent des dynamiques de pouvoir existantes entre les deux parties.
La prochaine vidéo de son dossier sur la fan culture porteras sur les clichés sexistes et le mépris qui entourent la définition de « fan girl », et on a hâte de la voir débroussailler un tel sujet !
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Les Commentaires
La dernière partie m'a fait tiquée, on voit régulièrement sortir des affaires de relation entre majeurs et mineurs et je pense moi aussi que la différence d'âge dans ce contexte instaure un déséquilibre dans la relation qui peut être malsain.
Elle fait un lien avec les fanfiction qui je pense est assez révélateur de la différence de sexualité entre un adulte et un mineur. Le mineur fantasme les relation sexuelle car il n'a pas beaucoup d'expérience, tandis que l'adulte sait à quoi s'attendre. Dans ce contexte on ne peut pas dire que le consentement soit éclairé.
D'autre part le mineur n'a peut être pas encore appri à faire la différence entre le fantasme "réalisable" et le fantasme qui doit rester imaginaire.