Mise à jour du 8 août 2018 –
En République d’Irlande, l’avortement devrait devenir légal d’ici quelques mois. Après le référendum du 25 mai dernier abrogeant le 8ème amendement qui protégeait le droit égal à la vie de la mère et de l’enfant à naître, il faudra voter un texte de loi le légalisant officiellement.
Cela devrait être fait au courant de l’automne, selon le ministre de la santé Simon Harris.
Pourquoi est-ce que j’annonce ceci ici, dans un article consacré à l’Irlande du Nord, et non à la République d’Irlande ?
Parce que ce 7 août, en même temps qu’il a indiqué la période à laquelle il espérait voir le texte de loi adopté, Simon Harris a assuré que ce texte contiendrait des dispositions pour les femmes d’Irlande du Nord.
Comme expliqué dans l’article ci-dessous, l’avortement est en effet toujours illégal en Irlande du Nord. Par cette annonce, Simon Harris voulait indiquer qu’une fois le texte de loi adopté au Sud, les Irlandaises du Nord pourront venir bénéficier de ce service de santé au Sud.
« Les femmes d’Irlande du Nord auront accès à l’avortement au sud quand celui-ci y sera légal, selon une annonce du gouvernement. »
Une démarche toujours pas optimale puisqu’elles devront toujours voyager, mais plus simple à entreprendre que de se rendre en Angleterre par exemple.
Article original publié le 4 juin 2018 –
Esther est partie recueillir les témoignages des jeunes femmes de plusieurs pays, à travers le monde, avec une attention particulière portée aux droits sexuels et reproductifs : liberté sexuelle, contraception, avortement.
Elle a déjà rendu compte de ses rencontres avec des Sénégalaises, puis avec des libanaises, et sa troisième étape l’a menée en Irlande du Nord (Royaume-Uni) et en Irlande ! Elle y a réalisé interviews, portraits, reportages, publiés sur madmoiZelle au fur et à mesure. Tu peux retrouver le sommaire ici !
Tu peux aussi suivre au jour le jour ses pérégrinations sur les comptes Instagram @madmoizelledotcom et @meunieresther, avant de les retrouver ici bientôt !
Tu te souviens du 8 mars 2017 ? De ce que tu as fait ce jour-là ? Peut-être que c’est loin pour toi…
Le 8 mars 2017, tentative d’intimidation des féministes pro‑choix nord‑irlandaises
Mais Helen Crickard, elle, se souvient. En cette journée internationale des droits des femmes, elle avait participé à l’organisation d’une conférence donnée par Angela Davis, une grande féministe américaine, à Belfast.
Et pendant qu’elle assistait à cette dite conférence, des policiers ont tenté de perquisitionner son atelier.
« Ils étaient à la recherche de mon téléphone, mon ordinateur, de pilules abortives ou d’instruments permettant de pratiquer des avortements. »
Je t’avais raconté cet épisode dans un article qui faisait le point sur la situation concernant l’avortement. Helen étant absente, le gardien ne les a pas laissés rentrer. Mais trois autres bâtiments ont été perquisitionnés.
« Il a fallu deux mois pour que chacune de ces militantes retrouve ses affaires. »
Selon elle, il s’agissait d’une pure tentative d’intimidation, même si plus d’un an plus tard, elle ignore toujours qui a pris cette décision.
« Je ne sais pas d’où est venu l’ordre. Est-ce que c’était un officier anti‑choix, qui a voulu faire du zèle, ou bien est-ce que c’est par exemple Bernie Smyth, une militante anti‑choix notoire, qui a mis la pression à un ou des officiers… je ne sais pas. »
Commander des pilules abortives en ligne en Irlande du Nord
Toujours est‑il qu’un an plus tard, j’ai décidé de revenir avec elle sur ces événements et sur son combat pour le droit à l’avortement.
« C’était dans un contexte de répression plus globale puisque l’année précédente une femme qui avait pris une pilule abortive avait été poursuivie, une autre aussi parce qu’elle en avait donné une à sa fille… »
La pilule abortive, à commander par Internet, est l’un des moyens permettant aux nord‑irlandaises d’avorter, bien que ce soit illégal.
« Sinon, il faut voyager, mais si tu n’as pas l’argent nécessaire ou la possibilité de poser des jours au travail, ou bien si ta santé t’en empêche, comment tu fais ?
Donc pour permettre aux femmes de mettre fin à une grossesse non‑désirée en Irlande du Nord, des organisations commandent des pilules en ligne – j’avais été volontaire pour en recevoir.
C’est important de les commander pour les avoir à disposition, car elles peuvent mettre deux semaines à venir, or pour un avortement médicamenteux, plus tôt c’est fait, plus c’est simple. »
Malgré la loi, les nord‑irlandaises parviennent généralement à se débrouiller sans devoir recourir à des méthodes chirurgicales pratiquées dans des environnement douteux, qui mettraient leur santé en danger.
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Une intimidation envers les militantes pro‑choix
Quand elle en parle, Helen est encore indignée.
« Leur entreprise d’intimidation aurait bien pu fonctionner, des femmes m’ont dit par la suite qu’elles étaient effrayées de commander ces pilules et d’être poursuivies.
C’est pour cela que ce jour‑là, on a décidé de rendre l’affaire publique, de dénoncer ce harcèlement.
Deux semaines après, la police s’est excusée et a fait savoir qu’elle n’investiguerait pas plus dans cette affaire, mais si nous n’avions rien dit ça aurait conduit à un environnement encore plus défavorable au droit des femmes à disposer de leur corps et au combat pour ce même droit. »
Selon Helen, il était aussi important de rendre cette affaire publique pour réclamer un usage plus sûr des pilules abortives :
« Ce sont les mêmes qu’on te donnera dans une clinique abortive, elles sont décrites comme très sûres par l’OMS, il faudrait simplement avoir accès à un médecin pour faire le suivi !
Pourquoi avoir décidé de mettre ces ressources là‑dedans, je ne sais pas. Je n’ai pourtant encore jamais vu un immeuble perquisitionné pour trafic de drogues alors même que clairement, des choses bien plus dangereuses, de la cocaïne ou autre se commandent aussi très simplement par Internet. »
Militer au Sud pour préparer le terrain au Nord
Depuis quelques mois, Helen se concentrait sur le référendum au sud de l’île (l’Irlande et l’Irlande du Nord ne sont pas les mêmes pays, l’Irlande du Nord appartient au Royaume‑Uni) :
« Ici, on n’obtiendra pas de changement politique de sitôt. D’abord l’Irlande du Nord est sans gouvernement depuis plus d’un an [ndlr : les partis censés s’accorder pour former un gouvernement ont encore échoué au début de l’année 2018]. Donc le parlement ne vote rien.
Westminster [ndlr : le parlement fédéral pour le Royaume-Uni] pourrait légiférer techniquement, mais c’est un gouvernement Tory, c’est à dire conservateur, qui s’est en plus allié avec un parti d’extrême droite irlandais, le DUP, pour pouvoir gouverner. Et le DUP bloquera toute tentative de réformer l’accès à l’avortement en Irlande du Nord.
C’est pourquoi on a aussi fait campagne dans le sud, avec l’idée que si on parvenait à changer la loi là‑bas, l’Irlande du Nord serait réellement isolée sur la question de l’avortement et cela permettrait de mettre davantage la pression sur les politiques. »
Helen m’avait d’ailleurs emmenée sur le chemin de la campagne (au sens politique et géographique du terme), le samedi 12 mai, une journée de porte à porte que je vous avais racontée.
Des actions qui ont porté leurs fruits selon elle :
« À Cavan et Monaghan, là où l’on a fait campagne, le résultat était serré, 54% pour le « Oui » ! On a fait la différence en venant leur prêter main forte ! »
En effet, le « Oui » l’a emporté et sous peu l’avortement devrait être légal en Irlande. En Irlande du Nord, on s’organise donc pour espérer obtenir le même résultat.
« Ça a été très émouvant et un tel soulagement que de remporter ce référendum grâce auquel d’ici peu, les femmes pourront enfin avoir accès à tous les soins dont elles pourraient avoir besoin pendant une grossesse.
Les nord‑irlandaises sont laissées pour compte, mais désormais on va pouvoir se concentrer sur le fait de changer la loi ici, notre situation va être sous les projecteurs.
Bien sûr on va continuer de faire campagne puisqu’il n’est pas acceptable de devoir aller en Angleterre pour recevoir un avortement. Les femmes du sud nous ont assuré de leur soutien et devraient voyager en bus jusqu’à Belfast le 10 juin prochain pour la Processions 2018, c’est un événement qui a lieu chaque année pour célébrer les droits des femmes, réclamer une mise à l’agenda des questions qui nous préoccupent et donc notamment le droit à l’avortement ici, qu’on réclamera avec nos sœurs du sud. »
Le bon côté des choses, c’est qu’elle a le sentiment que ça bouge, sur le terrain :
« On rencontre beaucoup de réactions positives lorsqu’on milite, dans la rue ou pendant des événements. On a réussi aussi à rallier à notre cause les syndicats.
Des gens nous disent même parfois « je ne suis pas pour l’avortement personnellement mais je pense qu’on devrait avoir le choix ». Il arrive aussi que tu rencontres des gens qui ne sont pas d’accord, mais quand tu discutes avec eux, ils changent d’avis.
Donc il y a une évolution et l’opinion publique tend vers le droit à l’avortement, bien qu’il faille encore que les pouvoirs publics suivent. »
Un combat pas gagné d’avance dans la mesure où Theresa May a déjà réagi, estimant qu’il s’agissait d’une question qui était l’apanage du gouvernement décentralisé d’Irlande du Nord (celui‑là même qui est inexistant depuis plus d’un an, oui).
Mais le combat continue et les militantes ne baissent pas les bras, comme celles qui ont clamé avoir pris des pilules abortives en public, durant une manifestation, ce 1er juin 2018.
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