Si tu n’es pas familière des organisations religieuses et en particulier catholiques, peut-être es-tu passée à côté de la polémique qui a secoué ce milieu durant les dix derniers jours.
Pourtant, elle concerne l’IVG, un sujet par lequel tu te sens sans doute concernée.
Cette actualité laisse en effet apparaître un autre visage des jeunes catholiques – potentiellement plus ouvert et tolérant.
Car pour l’heure, selon ton histoire, tu peux en avoir la vision qui est majoritairement relayée dans les médias (y compris sur madmoiZelle) : celle de jeunes conservateurs défendant des idées anti-choix.
En même temps, ces derniers mois, ce sont effectivement ceux qui ont fait le plus de bruit. Ils n’ont eu de cesse de faire entendre leur opposition au droit à l’avortement.
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La dernière action en date a eu lieu le 21 janvier dernier : c’était la « Marche pour la Vie ». C’est en réaction à cette manifestation que le Mouvement Rural de la Jeunesse Chrétienne (MRJC) a souhaité faire entendre une voix dissonante au sein de l’Église.
Le Mouvement Rural de la Jeunesse Chrétienne, de quoi parle-t-on ?
Pour bien comprendre, il faut pouvoir situer le MRJC. Son président, Brieuc Guinard m’explique que c’est un « mouvement d’Église, reconnu par les évêques comme porteur des orientations de celle-ci dans la société ».
Mais il précise également que c’est un « mouvement de jeunes, qui agit en milieu rural ». Son but principal est de « réunir des jeunes », et ça passe autant par l’organisation de services religieux, que par des activités variées allant des échanges internationaux à la fête de village, aux formations BAFA.
Globalement, c’est un mouvement qui réunit 5 000 adhérents et est présent sur tout le territoire, qui fait aussi du lobbyisme pour les droits des jeunes auprès du gouvernement, entre autre à travers le Forum français de la Jeunesse.
En particulier, ce mouvement se définit comme « chrétien laïque ».
J’ai demandé à Brieuc Guinard de clarifier ce qui était sous-entendu par cette expression :
« On a une histoire liée à l’Église et on défend donc des valeurs chrétiennes, mais le mouvement est aussi laïc.
Ce qui est assez clair, c’est que la laïcité c’est reconnaître à toutes et tous la liberté de conscience, d’ailleurs le MRJC regroupe une diversité de spiritualité, il y a aussi des non-croyants.
Et la laïcité, c’est aussi la séparation de l’Église et de l’État. »
Le MRJC, une organisation chrétienne en faveur du droit à l’avortement ?
Maintenant qu’on a fait le point sur ce qu’est cette organisation, pourquoi est-elle au centre de l’attention ces derniers jours ?
C’est à cause d’un communiqué de presse que le MRJC a publié deux jours avant la fameuse « Marche pour la Vie », communiqué qui visait à prendre ses distances avec ce positionnement.
« Nous défendons le droit fondamental pour les femmes et les couples d’avoir recours à l’IVG. »
Suite à cette démarche, le MRJC s’est attiré les foudres de la Conférence des Évêques de France, l’instance rassemblant comme son nom l’indique… les évêques de France.
Elle est composée de différentes commissions, et pour faire simple, c’est elle qui représente l’autorité de l’Église.
L’organisation s’est notamment vue menacée de ne plus être reconnue comme un mouvement d’Église, et de perdre les subventions dont elle bénéficie dans certains évêchés – bien qu’elle a aussi un peu plus tard trouvé des voix pour la défendre.
Pour donner une idée du niveau de polémique, voilà le type de commentaires qu’on trouve sur la page Facebook du mouvement :
Ambiance.
Le MRJC veut « faire exister une autre voix » au sein de l’Église
Ce brouhaha médiatique s’est apaisé ce 29 janvier, après une réunion prévue de longue date avec le Conseil pour les Mouvements et Associations de Fidèles (CMAF), l’une des commissions de la fameuse CEF (Conférence des Évêques de France).
Le communiqué du CMAF donnait l’impression d’avoir « remis dans le droit chemin » une organisation quelque peu dissidente…
« Une rencontre suscitée ce jour avec les responsables du MRJC et leur aumônier a permis de clarifier ce sur quoi il y avait eu interpellation, et de nous remettre d’accord sur le pacte de confiance qui oblige un mouvement d’Église. »
Mais Brieuc Guinard me précise le contenu de ces échanges :
« Pour nous, l’enjeu était de rester reconnu comme un mouvement d’Église.
Dès le départ, on n’a pas voulu se positionner en opposition complète mais simplement faire exister une voix que l’on entend peu, ouvrir le débat au sein de l’Église, et c’est pour ça qu’on souhaite garder cette légitimité. »
Mais surtout, on pourrait estimer qu’il s’agit de mauvaise interprétation, de malentendu, lorsqu’on arrive sur le fond des conclusions :
« Ils ont été très clair sur le fait qu’on pouvait se désolidariser en tant qu’action de la Marche pour la Vie.
En réalité, ce qui a posé problème était la formulation « droit fondamental », qui a été perçue comme étant en opposition avec la position de l’Église que l’on pourrait résumer à « l’avortement ne doit pas exister ».
Mais le fait est qu’on reste dans cette logique : l’avortement ne devrait pas exister, mais heureusement que la loi Veil existe, pour que dans les cas où il est jugé nécessaire par les personnes concernées, on puisse y accéder dignement.
C’est pour cela que cette formule a été enlevée du second communiqué de précisions. »
Le MRJC, la voix de jeunes ruraux progressistes ?
Finalement, le MJRC reste donc un mouvement d’Église, mais un mouvement qui ne laisse plus exister la seule la position de jeunes chrétiens opposés à l’avortement.
« On est très clairs depuis le début, dès les années 70 on s’est positionnés pour éviter au maximum les avortements, tout en défendant l’idée que si cet acte existe il faut que ça se fasse dans les conditions les plus dignes possibles.
Parce que la défense de la vie s’inscrit aussi là-dedans : quand l’avortement est pratiqué dans l’illégalité, ce sont les femmes qui en meurent. »
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De la même manière, lorsque j’aborde le sujet de l’éducation sexuelle qui permet de prévenir les grossesses non désirées, et donc les avortements, Brieuc Guinard me confirme sa position :
« Au sujet de l’éducation sexuelle, c’est là aussi où en tant que mouvement rural, on avait une parole source : de nombreux services disparaissent dans les territoires, ce qui fait que les personnes qui se retrouvent en questionnement face à l’IVG sont souvent seules.
C’est aussi de là que découle l’envie de faire exister une autre parole au sein de l’Église : ça peut être important de pouvoir aborder ce sujet avec d’autres chrétiens sans immédiatement se sentir exclus. »
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En 2018, plus de 40 ans après la loi Veil, un mouvement de jeunesse chrétien commence donc enfin à légitimer une position religieuse, et pro-choix. On est encore loin d’une évolution d’ampleur lorsqu’on constate les réactions provoquées, mais c’est un premier pas ! Il était temps ?
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Les Commentaires
Je fais partie du MRJC depuis de nombreuses années, je ne pouvais pas ne pas commenter !
Pour resituer, le MRJC, c'est un mouvement géré et animé par des jeunes de 13 à 30 ans, tous les membres des Conseils d'Administration et les salariés ont moins de 30 ans (il y a des accompagnateurs plus vieux, mais qui n'ont pas de pouvoir de décision), c'est assez rare pour être souligné !
Grâce à ce mouvement, j'ai énormément grandi, j'ai appris plein de choses, et entre autres à réfléchir par moi-même.
C'est aussi grâce au MRJC que je me suis réconciliée avec ma foi, dont je m'étais éloignée au moment du lycée justement à cause de certaines positions de l’Église avec lesquelles j'étais en désaccord. En rencontrant des catholiques ouverts, bienveillants, en discutant avec d'autres jeunes qui se posent des questions sur la religion, en participant à des messes et des célébrations plus participatives où on peut échanger sur les textes de la Bible pour mieux les comprendre, j'ai avancé dans ma réflexion sur ma foi et j'ai compris que pour moi, être chrétienne, c'est d'abord vivre et partager le message d'Amour de Jésus : « aimez-vous les uns les autres » ! Je pense que c'est normal de ne pas forcément être d'accord sur tout par rapport à l'institution de l’Église, et là, ça fait du bien de voir dans les médias une autre image des catholiques que la Manif pour tous et compagnie. C'est avec ce genre de polémique qu'on peut amène du débat et qu'on peut peut-être faire évoluer les mentalités !
Quand je vois la violence de certains commentaires sur les réseaux sociaux suite à ce communiqué du MRJC, je me dis qu'il y a des personnes qui se disent catholiques mais qui ne sont pas tellement dans l'amour de leur prochain...