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Pourquoi je veux, plus que jamais, défendre le droit à l’IVG

En cette journée mondiale du droit à l’avortement, Esther vous raconte les déclics qui lui ont donné envie de défendre, farouchement, ce droit essentiel.

En 2018, Esther Meunier, ancienne rédactrice Société, traversait le globe pour faire le point sur l’accès à l’IVG dans différents pays du monde.

En cette journée mondiale du droit à l’avortement 2020, cet article nous rappelle pourquoi il est important de continuer à se battre chaque jour pour que les personnes en capacité d’enfanter disposent de leur corps comme elles le souhaitent.

Publié le 28 septembre 2018

Ce 28 septembre, c’est la journée mondiale du droit à l’avortement. Cela me parle particulièrement, car comme tu l’as peut-être suivi, j’ai passé une partie de mon année à aller à la rencontre des femmes qui n’ont pas encore le droit d’avorter.

Le droit à l’avortement dans le monde, un enjeu majeur

J’ai souhaité leur donner la parole, après avoir appris que chaque année 25 millions d’avortements sont pratiqués dans des conditions risquées, du fait de l’illégalité de l’acte.

Sur la même période d’un an, 50 000 femmes meurent des suites de ces IVG illégales et dangereuses.

50 000 décès.

Et c’est sans compter celles qui ruinent leur santé, deviennent stériles, doivent faire face aux accusations de la justice et au stigma social…

C’est sans compter aussi toutes celles qui n’y ont pas recours, quitte à plonger dans la misère.

Ce sont elles que j’ai voulu rencontrer : celles qui y ont eu recours dans des conditions déplorables, celles qui n’ont pas pu y avoir accès, celles au dessus desquelles pend l’épée de Damoclès que constitue une grossesse non désirée.

Au Sénégal, ma prise de conscience de ce que signifie l’illégalité de l’IVG

J’ai commencé mon parcours par le Sénégal, où je suis allée en Casamance à la rencontre de jeunes femmes m’expliquant rester vierges par peur de tomber enceinte.

Certaines ne savaient pas même ce qu’était un préservatif : illustration de l’absence d’éducation sexuelle, aux conséquences cruelles.

Exemple de ces conséquences : j’ai pu recueillir la parole de l’une d’entre elle, 20 ans, déjà deux enfants, ce qui rend impossible la poursuite de ses études. Elle vivote de repas qu’elle prépare à ses anciens professeurs. 

Je parle de conséquences cruelles aussi pour celle qui tentent d’avorter, avec ou sans succès.

Je n’oublie pas le discours d’une jeune dakaroise m’expliquant comment un « médecin » lui avait fait placer un bâtonnet dans son utérus, pour provoquer une fausse couche.

Sans effets de prime abord, elle avait décidé de garder l’enfant jusqu’à ce qu’elle constate finalement que la poche des eaux était rompue.

Elle a dû conserver le fœtus dans son utérus pendant des semaines jusqu’à ce que son corps l’expulse lui-même. Pendant tout ce temps, elle savait qu’il ne survivrait pas et risquait le choc septique.

Impossible en effet pour les médecins de pratiquer l’intervention eux-mêmes.

Je parle de conséquences cruelles aussi pour les nourrissons issus de grossesses non désirées, régulièrement retrouvés abandonnés dans les décharges publiques de ce pays.

Interdiction de l’avortement : des situations variables, mais des souffrances communes

Si les conditions sont désastreuses au Sénégal, elles le sont partout où l’avortement est interdit, même si cela peut se manifester de manières variables.

Au Liban, il semble que l’avortement soit plus ou moins accessible grâce à la pilule abortive, à condition qu’on dispose du bon réseau.

Mais pour celles qui vivent dans les camps de réfugiés, au fin fond des montagnes, dans des communautés conservatrices… les conséquences peuvent être graves.

Outre leur santé, c’est notamment le stigma social qui étouffe les femmes y ayant recours.

Et si la pilule abortive sauve la vie des femmes là où on peut se la procurer, même illégalement, cela n’empêche pas des drames.

Demandez donc aux jeunes femmes irlandaises, ayant fait de Savita leur icône dans leur combat pour le droit à l’IVG.

Cette jeune femme est décédée en 2012, parce qu’une IVG n’a pas été pratiquée à temps pour sauver sa vie. Oui, en Europe. Juste à côté de chez nous.

À lire aussi : Paroles de celles qui avortent sous le 8ème amendement en Irlande, où l’IVG est interdite

Le poids de cet interdit qui leur pesait sur les épaules s’est partiellement levé en mai dernier, à l’annonce des résultats du référendum sur la question de l’IVG.

Il suffit de regarder la joie qui était celle des militantes pour comprendre ce que cela représentait pour elles. 

Mais le combat est loin d’être fini : en Irlande du Nord, l’avortement demeure illégal.

En Argentine, alors que j’avais constaté en juin dernier l’enthousiasme survolté des femmes se battant pour conquérir le droit à l’avortement, celui-ci est retombé comme un soufflé en août, après que le Sénat ait mis son véto à la légalisation.

Les femmes vont donc continuer à se rendre en Uruguay pour celles qui en ont les moyens, et à mettre leur vie en danger pour les autres. Car c’est aussi ça l’interdiction de l’IVG : des inégalités sociales accrues. 

Aux riches, l’IVG en sécurité, aux pauvres les manœuvres risquées pratiquées dans les arrières-cours et les garages.

Aux riches la possibilité de continuer leur vie, aux pauvres l’obligation d’assumer le poids d’un enfant qu’elles n’ont pas les moyens d’élever.

Aux hommes, la possibilité de disparaître dans un nuage de fumée pour poursuivre leur vie, aux femmes la contrainte d’élever des enfants non-désirés, souvent seules.

On peut se réjouir bien sûr des quelques avancées modérées obtenues ici et là, comme au Chili il y a un an : l’IVG qui y était totalement interdit, est désormais autorisé en cas de viol, de danger pour la vie de la mère, ou de malformation fœtale grave.

Mais toutes celles qui ne rentrent pas dans ces cases continuent de se conformer ou d’enfreindre une loi appliquant à la société dans son intégralité des croyances religieuses qui ne sont pas partagées par toutes et tous.

À lire aussi : Un an après la légalisation partielle de l’IVG au Chili, les femmes continuent de souffrir

La religion, dénominateur commun dans les pays où l’IVG est illégale

C’est ce que j’ai constaté à chaque voyage : dans les pays où l’IVG est interdit, c’est généralement l’argumentaire religieux qui domine le débat. 

Ce sont bien les catholiques extrémistes qui s’opposaient au droit à l’IVG en Irlande.

Ce sont bien les Églises évangélistes et catholiques qui sont parvenues à s’allier pour éviter la légalisation en Argentine.

C’est également l’Église qui pèse de tout son poids dans le texte chilien.

Au Sénégal, la morale et le prêche religieux se confondent alors même que selon certaines interprétations, l’Islam n’interdit pas expressément l’avortement avant 40, 90, voire 120 jours de grossesse.

Bien sûr, libre à celles et ceux qui croient de croire et de pratiquer comme ils l’entendent.

Le souci c’est lorsque ces croyances interfèrent avec la liberté de toutes les personnes qui souhaiteraient avoir recours à l’avortement pour des raisons variées.

Le devoir de justification face à la pratique de l’avortement

Car oui, on peut souhaiter avorter pour d’innombrables raisons. 

Il est intéressant de constater que selon les contextes, ce ne sont pas les mêmes qui sont mises en avant.

Dans les pays où l’IVG est complètement illégale, on invoque les grossesses faisant suite à des viols – cas extrêmes utilisés pour obtenir une libéralisation, même minime.

Dans d’autres, c’est l’argument du danger pour la vie qui est invoqué, comme en Irlande ou en Argentine : pourquoi maintenir l’illégalité d’un acte qui peut sauver la vie de femmes enceintes faisant une fausse couche ?

Parfois, c’est la pauvreté qui constitue l’argument principal : contraindre des femmes qui n’ont pas les moyens à avoir des enfants, c’est renforcer les inégalités.

En France, on nous parle encore parfois d’ « IVG de confort », au mépris de ce que cela représente vraiment.

Mais in fine, il s’agit bien de la liberté de disposer de son corps. Même si l’argument « je ne veux pas d’enfants » est souvent inaudible dans ces sociétés, c’est bien du contrôle du corps des femmes dont il s’agit.

La grossesse, même si elle ne devrait pas l’être, est souvent un frein à l’émancipation. Empêcher les femmes d’y mettre un terme, c’est garder la main sur elle.

C’est continuer de contrôler aussi leur sexualité : la peur de tomber enceinte prévaut parfois sur le désir.

L’interdiction de l’avortement n’est en fait qu’un instrument de plus dans les mains du patriarcat. 

La remise en cause du droit à l’avortement, signal d’alarme

Et c’est pour cela que lorsque l’on fait face à un retour de bâton du conservatisme, c’est souvent en priorité les droits sexuels et reproductifs qui sont attaqués.

Il suffit de constater ce qui se produit aux États-Unis actuellement : sous la présidence de Trump, il est possible que la Cour Suprême passe aux mains des anti-IVG.

Mais les conservateurs américains n’ont pas attendu son élection pour se faire entendre, à l’aide de lois diverses visant à restreindre l’accès à l’IVG à l’échelle de certains États.

Sans aller aussi loin, on peut aussi se regarder dans un miroir. Il y a quelques semaines, n’est-ce pas un représentant des gynécologues qui affirmait face caméra que l’avortement est un homicide, quitte à faire fi de la loi française en la matière ?

Encore une fois, ce n’est que la dernière manifestation d’un mouvement sous-jacent dans la société française qui reprend du poil de la bête depuis quelques années.

Loin de me contenter d’afficher un mépris à l’égard de ces idées que je considère rétrogrades, elles m’alarment car elles représentent un danger pour nous toutes.

C’est pourquoi je m’efforcerai de continuer de les combattre, ici et ailleurs, aux côtés des féministes du monde entier.

Tous les repartages réalisés sur madmoiZelle au sujet de l’IVG dans le monde sont disponibles ici :

Au Sénégal :

Au Liban :

En Irlande et en Irlande du Nord :

En Argentine :

Au Chili :

D’autres ressources sur les États-Unis :

Ainsi qu’en France :


Les Commentaires

4
Avatar de Nienke
28 septembre 2020 à 23h09
Nienke
Plus que "vouloir", je pense que c'est maintenant un "devoir".

Qu'on soit pro-ivg, ou pro-vie, ou au contraire anti-ivg, ça reste des choix et des convictions personnelles. C'est important de défendre le droit et la possibilité de continuer à avoir ce choix, ou d'avoir ce choix tout court. C'est important de défendre le droit de choisir ses convictions perso sans les imposer aux autres, surtout si cela met en danger la vie d'autres personnes qui sont adultes (ou ados).

Je pense de mon côté que les gens sont contres surtout pour des raisons religieuses ou parce que non-concernées et se fichant donc de retirer aux femmes la possibilité d'être maitresses de leur propre corps. Je m'en fiche en réalité de savoir si telle personne pense que l'ivg va mener en enfer ou est un péché, ou je ne sais quoi. Telle personne est libre de le penser. Pas de l'imposer. Même si on est contre tout ça, on devrait se souvenir que c'est à chaque personne de faire ses choix, de croire en ce qu'elle veut, et de ne pas risquer sa vie parce qu'on lui a imposé un mode de pensée. Donc pour moi, défendre l'ivg quelque soit notre position, ce devrait vraiment être une sorte de "devoir", parce que c'est nécessaire.
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