Esther est partie recueillir les témoignages des jeunes femmes de plusieurs pays, à travers le monde, avec une attention particulière portée aux droits sexuels et reproductifs : liberté sexuelle, contraception, avortement.
Elle a déjà rendu compte de ses rencontres avec des Sénégalaises, puis avec des Libanaises, elle a aussi suivi les débats sur l’avortement en Irlande et sa quatrième étape l’a menée en Argentine !
Tu peux suivre au jour le jour ses pérégrinations sur les comptes Instagram @madmoizelledotcom et @meunieresther, avant de les retrouver ici bientôt !
En Argentine, alors que les militantes pro-choix se démènent pour faire légaliser le droit à l’IVG, des femmes doivent y avoir recours chaque jour.
Interdire l’avortement ne le fait en effet pas disparaître et tant que ce droit ne sera pas effectivement respecté, les femmes continueront d’utiliser diverses techniques pour mettre fin à des grossesses non-désirées, peu importe si c’est illégal, si ça met leur vie en danger.
Dans mon article précédent, je vous parlais de ces Argentines qui font appel à des associations spécialisées dans l’accès à l’avortement dans des conditions sanitaires sûres. Mais la proportion de celles qui peuvent effectivement s’engager dans ces démarches est faible.
Beaucoup d’autres se contentent d’avortements effectués dans des circonstances parfois plus que douteuses.
Raconter les histoires d’avortement pour lutter contre l’interdiction
J’ai échangé avec Matilda, qui a accepté de me raconter ses deux avortements. Elle y a eu recours il y a longtemps, la première fois à 18 ans et la seconde à 35. Elle en a 55 aujourd’hui, ce qui signifie que les faits remontent à il y a 20 ans et plus.
À mon sens, il demeure important de raconter ces histoires pour montrer ce qui a existé, existe toujours et ce qu’il faut s’évertuer à faire disparaître en légalisant l’IVG – d’autant plus qu’elle témoigne du fait que beaucoup de jeunes filles ont recours à l’avortement dans les mêmes conditions aujourd’hui.
« C’étaient deux situations différentes. La première fois, j’étais très jeune, j’étais avec mon premier copain. Le préservatif a craqué. La seconde, j’étais déjà maman d’une petite fille de 4 ans. On utilisait le retrait et ça n’a pas fonctionné. »
Aucune de ces grossesses n’étaient donc planifiée ou désirée.
« À 18 ans, tu imagines, avec mon premier copain : je ne comprenais rien à la vie, je ne voulais pas d’enfant. On était tous les deux des gamins, on voulait faire des études… C’était impossible.
Et la 2ème fois j’avais déjà une enfant, j’avais acheté mon appartement. Je n’avais pas tellement d’argent et je devais déjà rembourser le prêt. Ça aurait été très difficile pour moi de subvenir aux besoins d’une famille plus nombreuse, et la personne avec qui je partageais ma vie n’était pas en mesure de le faire non plus. »
Elle insiste : à chaque fois, ces décisions étaient prises « consciemment », ce n’étaient pas des choix faits à la légère.
Avorter clandestinement en Argentine il y a plus de 35 ans
La première fois, c’est son copain de l’époque qui connaissait un lieu où il était possible d’avorter.
« C’était dans la capitale. Je me souviens d’une grande maison où je me suis rendue la nuit, à 20h.
Il y avait un médecin qui le faisait, moi je ne l’ai pratiquement pas vu : c’est mon copain qui a parlé avec lui et qui a payé.
Je suis allée dans une salle avec beaucoup de femmes, on devait être une vingtaine, et on est allées dans une autre pièce, très grande, de type garage. Il y avait une quinzaine de lits. Il étaient installés un peu n’importe comment, de manière désordonnée.
Ici, ils m’ont anesthésiée. Je me suis réveillée dans une autre partie du bâtiment, de l’autre côté. »
Mathilda n’a pas de souvenir de l’acte en lui-même : elle dormait.
« Lorsque je suis sortie je me sentais comme nauséeuse, ça faisait en gros trois heures que j’étais là-bas. Il était 11h du soir. J’ai pris un taxi, je suis rentrée chez moi, je me suis couchée, j’ai dormi. C’est tout ce dont je me souviens. »
L’IVG illégale coûte très chère
Dans le 2ème cas, plus vieille, sans doute plus aguerrie, elle a fait appel à un médecin et a eu recours à un avortement dans de meilleures conditions.
« C’était tout près de la faculté de médecine dans le centre de Buenos Aires. Cette fois j’y suis allée seule, avec une amie. C’est moi qui ai parlé avec le médecin, qui ai payé, puis je suis passée dans une autre salle.
Je n’ai pas vu le visage de la personne qui allait pratiquer l’intervention, j’ai seulement vu l’anesthésiste. J’ai attendu dans le couloir, puis elle est entrée et m’a mis un cathéter. Elle s’est voulue rassurante et m’a dit que tout allait bien se passer.
Quand je me suis réveillée j’étais dans une autre pièce. Mais je me souviens que ça a été beaucoup plus rapide que la première fois. Au bout d’1h30, j’étais sortie. »
Dans les deux cas, Mathilda est incapable de se souvenir du prix exact. La première fois car c’est son copain qui l’a aidée, et la 2nde simplement car « ça date ».
« Je n’ai plus le montant exact en tête, mais je me souviens que c’était très cher. Des amies m’ont prêté de l’argent, heureusement. »
L’IVG en Argentine : un espoir naissant
C’est pour éviter à d’autres femmes de devoir suivre le même chemin, en secret, sans soutien financier, qu’elle espère que la loi légalisant l’IVG jusqu’à 14 semaines de grossesse sera votée.
« Tant que l’IVG n’est pas légal, ce genre de choses se poursuit. Ne te leurre pas : ce n’est pas parce que moi c’était il y a 20 ans que ça n’existe plus. J’ai rencontré des jeunes filles d’aujourd’hui qui ont fait pareil. Elles paient environ 30 000 pesos, l’équivalent de 1 000 dollars. »
Autant dire une fortune dans un pays où le salaire minimum s’élève à 530$.
« C’est essentiellement pour les jeunes femmes pauvres qu’il est important qu’elle soit votée. Celles qui ne sont pas éduquées, qui vivent dans des zones où les médecins sont difficilement accessibles, qui n’ont pas la possibilité comme je l’ai eue de se faire prêter de l’argent.
Ce sont elles qui meurent. »
Car oui, même si Matilda a pu avorter par deux fois sans séquelles, on meurt toujours des suites d’un avortement en Argentine. Les statistiques du Ministère de la Santé indiquent le chiffre de 43 décès dus à une « grossesse terminée par un avortement » pour la seule année 2016.
Voilà pourquoi l’adoption de la loi sur l’IVG en Argentine est cruciale, et pourquoi Marcela, avec beaucoup d’autres, va continuer de se battre face aux parlementaires conservateurs.
« Je pense que l’important c’est aussi de ne pas oublier les deux autres aspects de la campagne : l’éducation sexuelle et l’accès à la contraception, pour éviter d’avorter. »
En effet, l’éducation sexuelle est souvent décrite comme incomplète en Argentine. Quant à l’accès aux contraceptifs, il varie fortement selon le milieu social et les région, même si selon les données de la banque mondiale, 81% des femmes de 15 à 49 ans étaient sous contraceptifs en 2016.
Les militantes espèrent donc pouvoir avoir une approche plus intégrale des droits et de la santé sexuelle et reproductive dans un futur proche !
À lire aussi : Si vous êtes contre l’IVG, soyez pour l’accès à la contraception
Merci à Sophie Lopéz van Houtryve et à Marie Jacquillard pour l’aide à la traduction !
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
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