La foudre peut-elle frapper plusieurs fois au même endroit ? Ça fait justement un an qu’Elvire Duvelle-Charles l’invoque au Majestic Bastille, un cinéma indépendant à Paris, où le coup de foudre cinématographique est quasi-assuré.
Entre les vagues d’Anaïs Volpé, Saint-Omer d’Alice Diop, Annie Colère de Blandine Lenoir… Depuis septembre 2022, le ciné-club Tonnerre organise une séance de cinéma par mois suivi par une conversation entre la réalisatrice de l’œuvre projetée et une personne experte du sujet représentée, afin d’apporter un éclairage féministe au milieu de la salle obscure. « Ces discussions sont la raison d’être principale de Tonnerre. Le film est avant tout un prétexte pour se rassembler, discuter et repenser le monde », nous explique la fondatrice de l’initiative, Elvire Duvelle-Charles, que vous connaissez peut-être en tant que journaliste, ancienne Femen, co-fondatrice du mouvement Clit Revolution (communauté Instagram d’éducation sexuelle et intime, devenue série-documentaire France TV Slash), autrice, et co-animatrice du podcast sexo Hot Line.
Pour Madmoizelle, Elvire Duvelle-Charles revient sur la genèse de Tonnerre, confirme une saison 2 de ciné-club féministe à succès, et élude son passage à la réalisation de fiction…
Interview d’Elvire Duvelle-Charles, fondatrice du ciné-club féministe Tonnerre
Madmoizelle. Comment vous présentez-vous aujourd’hui ?
Elvire Duvelle-Charles. Je suis journaliste, réalisatrice, activiste féministe et en ce moment, j’organise la révolution dans des salles de cinéma avec mon ciné-club féministe Tonnerre. Il a lieu chaque mois au Majestic Bastille et réunit des réalisatrices, des autrices, des sociologues, des historiennes, des sages-femmes pour ouvrir des discussions féministes après chaque projection.
Quel était votre rapport au cinéma avant de lancer votre ciné-club ?
J’ai toujours eu beaucoup d’amour pour le cinéma. J’ai la chance d’avoir eu des parents qui m’ont montré très tôt de beaux films qui m’ont marquée et qui m’ont forgée. J’ai toujours eu aussi beaucoup aimé « faire des films ». Quand on était gamines, ma meilleure amie chez qui j’étais toujours fourrée avait un caméscope. On a passé des week-ends entiers à faire des films avec nos potes. On avait la chance d’avoir une école qui avait une option cinéma dans laquelle cette amie s’était inscrite.
Moi, j’étais en option théâtre. Mais un jour mon amie qui était à la bourre pour son rendu de film de fin d’année, m’avait demandé de finir son montage à sa place, j’ai tellement adoré que j’ai changé d’option l’année suivante. Je pense que c’est à ce moment que j’ai su que je voulais devenir réalisatrice. À cette époque, j’étais plutôt tentée par des métiers sociaux : assistante sociale, avocate, psychologue. En découvrant certains films, je me suis rendu compte que l’on pouvait aussi changer le monde comme ça, et c’est ce que j’ai eu envie de tenter.
Comment vous est venue l’idée de lancer votre propre ciné-club ?
Après la publication de mon essai Féminisme et réseaux sociaux, une histoire d’amour et de haine dans lequel j’arrive au constat un peu amer que les féministes (moi comprise) se sont un peu hâtivement lancées corps et âmes sur les réseaux sociaux où elles se sont retrouvées prises au piège du capitalisme, j’ai eu envie de trouver un moyen de réunir la communauté de Clit Révolution hors ligne. J’ai lancé un Patreon dans lequel j’organise un Book Club et où je raconte un peu les coulisses de mon travail.
On est en petit comité, donc j’ai commencé à proposer des sorties cinés entre nous. En parlant avec les filles qui venaient, je me suis rendu compte qu’elles allaient très peu au cinéma, pourtant elles aimaient toujours beaucoup les films que l’on allait voir, et ça donnait lieu à des discussions passionnantes à chaque fois. C’est comme ça que je me suis dit : hé, on pourrait faire ça, mais à 250. C’est grâce à elles que Tonnerre est né.
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Était-ce compliqué pour vous de convaincre une salle de cinéma, le Majestic Bastille, de vous suivre dans cette aventure ?
Je m’attendais à ce que ça prenne du temps de trouver un cinéma qui soit partant, finalement, ça a été très rapide : l’équipe de Dulac (à qui appartient le Majestic Bastille) a tout de suite été très enthousiaste !
Aviez-vous un rapport particulier avec cette salle de cinéma ?
Pas du tout. J’ai grandi en banlieue, donc le cinéma auquel je dois tout c’est mon ciné de quartier (c’est d’ailleurs pour ça que ça me tenait à cœur de faire des reprises de Tonnerre dans des cinés comme le Cin’Hoche à Bagnolet). J’ai choisi le Majestic Bastille parce qu’il était central et bien desservi, que c’était important pour moi de faire ça dans une salle de cinéma indépendante (qui plus est dirigée par une femme).
Pourquoi est-ce important pour vous de proposer des talks après les projections qui prolongent les réflexions portées par les films ?
À vrai dire, ces discussions sont la raison d’être principale de Tonnerre. Le film est avant tout un prétexte pour se rassembler, discuter et repenser le monde. Évidemment, se rassembler autour d’un film n’est pas anodin. Je disais à Claire Simon [cinéaste française, autrice de plusieurs films documentaires, Les Patients, Récréations, et Coûte que coûte récompensés dans de nombreux festivals] l’autre jour que Tonnerre ça n’était pas juste pour parler de cinéma, que ça dépassait le cinéma. Elle m’a répondu : « Il n’y a pas plus grand que le cinéma », et je comprends ce qu’elle veut dire.
Quelque chose d’immense se passe quand on rencontre un grand film, un bouleversement que j’aurais du mal à expliquer. Traverser ces émotions ensemble, c’est, je trouve, un formidable point de départ à des discussions de fond.
Un film, quand il est bien fait, fait émerger tant de questions. J’avais envie que les séances de Tonnerre permettent aussi d’apporter de premiers éléments de réponses. C’est pour cela que j’ai fait le choix de faire discuter les réalisatrices avec des intervenantes qui ont une approche différente du terrain (parce qu’elles l’ont étudié ou pratiqué).
C’est aussi pour ça que j’ai monté un partenariat avec la librairie féministe Un livre une tasse de thé qui propose toujours une sélection d’ouvrages à la sortie de la salle (que l’on prépare avec les intervenantes et les libraires) et c’est aussi pour cela que j’envoie quelques jours après la séance une newsletter avec une liste de recommandations culturelles (podcasts, films, livres, articles) en lien avec la discussion que l’on a eue.
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Est-il difficile de convaincre les cinéastes et les intellectuelles de participer aux talks post-projections ?
Il m’est arrivé une seule fois de me retrouver face à une réalisatrice qui n’appréciait pas le concept de discuter avec une sociologue parce qu’elle considérait que « le film se suffit à lui-même ». Toutes les autres réalisatrices sont très enthousiastes de ce format, parce qu’elles sont habituées à porter leur film seule (et donc à beaucoup se répéter) et que là, la présence d’une troisième personne leur permet d’avoir des échanges avec une approche nouvelle.
Ça a donné lieu à de très belles rencontres, car souvent la réalisatrice ne connaît pas forcément le travail de l’intervenante (et vice-versa) donc elles sont enthousiastes de découvrir leurs travaux respectifs et d’échanger dessus, ça fait parfois naître des amitiés même. Je ne veux pas spoiler, mais je pense même qu’une réalisatrice que j’ai reçue a eu un tel coup de cœur pour l’intervenante qui accompagnait la séance que nous ne sommes pas à l’abri qu’elle lui propose un rôle dans son prochain film.
Maintenant que les cinémas français ont retrouvé les ¾ de leur fréquentation d’avant Covid, qu’est-ce qui pourrait donner envie aux Françaises et Français d’aller davantage en salles ?
De regarder des films qui ne racontent pas toujours la même chose, avec toujours le même regard et toujours le même casting, ça serait déjà un bon début. Quand j’étais petite, je regardais beaucoup Chantons sous la pluie qui faisait partie de mes films préférés. Dedans, Kathy Selden explique qu’elle ne va pas beaucoup au cinéma parce que « quand on a vu un film, on les a tous vus ».
C’est vrai que les films qui bénéficient d’une grosse visibilité et d’une grosse promotion sont toujours un peu redondants : dans leur propos, leur regard, leur thématique, leurs schémas narratifs, leurs personnages. Bref, c’est lassant. Par contre, il y a beaucoup de très beaux films dont on entend moins parler, notamment parce qu’ils ont été faits avec un budget restreint et qu’ils n’ont pas les moyens d’avoir des campagnes d’affichages massives. Notre travail, c’est de faire découvrir ces films aux Kathy Seldens d’aujourd’hui, mais c’est aussi de montrer aux diffuseurs qu’il y a un public pour ces nouveaux regards, et qu’il est important de les financer.
Le dernier festival de Cannes (du 16 au 27 mai 2023) comptait 6 femmes en lice pour la Palme d’or, finalement remportée par Justine Triet avec Anatomie d’une chute, et jamais autant de réalisatrices ont figuré en compétition. Est-ce indicateur d’un début de changement (encore trop lent) vers la parité derrière les caméras ?
Je n’arrive pas vraiment à me réjouir de cette mini avancée, car il ne s’agit pas d’une donnée solide. On sait très bien que l’année prochaine, on pourrait facilement ne retrouver aucune femme dans la sélection officielle. Par ailleurs, je pense que le choix de ces réalisatrices particulières n’est absolument pas anodin. Bon nombre d’entre elles sont connues dans le milieu pour avoir des comportements violents et irrespectueux.
C’est une manière pour Thierry Frémeaux de s’amuser des féministes : « Vous voulez plus de femmes à Cannes ? Très bien, on va vous mettre une femme qui a mis Johnny Depp à l’affiche, une autre qui est accusée d’avoir harcelé ses actrices et dissimulé l’existence d’une scène de sexe impliquant une mineure (qui aurait été agressé sexuellement pendant le tournage), et une femme qui a défendu Harvey Weinstein et qui a comparé le mouvement #MeToo à la Shoah (sauf que là, les victimes d’après elle, ce sont les hommes). Vous reprendrez bien un peu de parité ? »
Comptez-vous poursuivre Tonnerre l’année prochaine, voire l’étendre à d’autres salles de cinéma dans le futur ?
Bien sûr ! La saison 2 est déjà en cours de préparation. Pour l’instant, je peux déjà dire que Tonnerre ira faire une séance hors les murs du côté de Toulouse, pour le reste, c’est encore en construction. C’est un ciné-club qui nécessite beaucoup de travail et qui bénéficie de très peu de moyens financiers, donc on travaille aussi à trouver des subventions et des sources de financement pour pouvoir monter en puissance !
Après avoir réalisé la série documentaire Clit Révolution pour France TV Slash, et maintenant avec Tonnerre, n’est-ce qu’une question de temps avant que vous ne réalisiez vous-même d’autres films, et peut-être même de la fiction ?
[Rires] Je ne spoilerai rien.
Pour terminer la saison en beauté, le ciné-club Tonnerre s’associe au Champs-Élysées Film Festival pour une séance autour du nouveau film documentaire de Claire Simon : Notre Corps. L’avant-première sera suivie d’une discussion avec la réalisatrice Claire Simon et la sociologue Aurore Koechlin, animée par Elvire Duvelle-Charles.
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
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