Demna Gvasalia a l’habitude de choquer. En 2015, avec son label Vêtements, il présentait sa collection automne-hiver 2015-2016 au Dépôt, un sex-club gay de la capitale, s’attirant moult retombées médiatiques mi-offusquées, mi-excitées. Peu de personnes se souviennent des vêtements du défilé, mais tout le monde se souvient de son nom et de sa marque, si bien que François-Henri Pinault (PDG du groupe de luxe Kering) le nomme à la tête de l’illustre maison Balenciaga, reine des constructions architecturées.
De là, Demna Gvasalia enchaîne les pièces à scandale, qui rendent ces créations hyper-commentées, visibles, ce qui se traduit presque mécaniquement par des succès commerciaux. Après les Crocs à talons aiguille, les chaussures minimalistes à cinq orteils, les grands cabas Tati, et les joggings rentrés dans les chaussettes, Balenciaga glamourise à nouveau un autre détail vestimentaire des classes sociales les plus populaires : les baskets vraiment usées.
Les nouvelles baskets pré-détruites de Balenciaga, de 395€ à 1450€
En effet, la maison française de luxe vient de sortir de nouvelles paires de sneakers, baptisées Paris. Elles ressemblent à des Converse, et se déclinent en différentes formes : en version mules ouvertes sur les talons à 395€, ou en montantes, à 495€. Dans les deux cas, elles présentent quelques signes d’usure, comme si elles avaient été grossièrement coupées à coups de ciseaux pour les modèles bas, ou frottées à l’arrière contre des murs pour les hauts.
Mais c’est une autre version qui agite les réseaux sociaux depuis la sortie officielle le 9 mai 2022 des sneakers Paris de Balenciaga par Demna Gvasalia. Car la campagne publicitaire présente des déclinaisons beaucoup plus usées, pleines de trous et de saletés. Officiellement, la marque explique que cette pub vise à montrer que ces nouvelles baskets sont faites pour être portées à vie, même usées jusqu’à la corde.
Et pour mieux marquer les esprits (le but d’une campagne de pub réussie), la maison va même jusqu’à vendre 100 exemplaires extrêmement usées, à 1450€ la paire de baskets pré-salies, pré-trouées, pré-déchiquetées, et donc prêtes à être importables (mais Demna Gvasalia vous répondrait sûrement qu’il s’agit d’un hommage aux ready-made de Marcel Duchamp, qu’il faut les voir comme un geste artistique questionnant notre société, et non comme de vulgaires baskets prêtes-à-porter).
Une campagne de pub provocante, déjà virale grâce à l’indignation des réseaux
Il n’en fallait donc pas plus pour que des internautes s’en insurgent et repartagent à foison le visuel des sneakers les plus détruites et sales, se scandalisant de leur prix. Certains messages ressemblent à une forme de vertu ostentatoire (également appelé virtue signaling). D’autres s’en amusent, lisant dans le geste de Demna Gvasalia chez Balenciaga une forme d’expérimentation sociale pour voir jusqu’où les clients de luxe sont prêts à payer pour se déguiser en personnes pauvres.
Se déguiser en personne pauvre en achetant plusieurs centaines d’euros des vêtements et des baskets pré-usés, c’est justement ce qui insurge la fondation Abbé Pierre qui a également réagi sur Twitter :
Un bad buzz reste un buzz, certes, mais à quel prix ?
Chercher à provoquer l’indignation et les repartages faisait-il partie de la stratégie marketing de Balenciaga avec cette nouvelle campagne pour ces baskets Paris pré-usées ? On peut se poser la question quand on voit la viralité de ces images massivement repartagées sur Twitter, Instagram, et de nombreux médias pour s’en étonner ou s’en offusquer.
En trending topic pendant quelques heures sur le réseau social à l’oiseau bleu fraîchement racheté par Elon Musk, la maison de luxe française ne serait pas la première à instrumentaliser l’indignation qui favorise la viralité sur les réseaux sociaux. Car susciter de l’engagement et des conversations fait littéralement partie des indicateurs clés de performance (ce qu’on appelle des KPI, en anglais : Key Performance Indicator) d’une campagne de pub.
Qu’autant de personnes et de médias parlent, même en mal, des dernières baskets de Balenciaga améliore mécaniquement le référencement de l’eshop de la marque – déjà la plus mentionnée et recherchée en ligne au dernier trimestre 2021 –, en plus de rappeler aux gens qui l’apprécient qu’elle existe et qu’elle propose des nouveautés. C’est une technique possible de growth hacking, comme disent les marketeux, soit du piratage de croissance. Peut-être qu’un jour, Internet comprendra que repartager la dernière pub d’une marque pour s’en indigner la sert plus qu’elle ne la dessert. Mais pas maintenant, on veut des likes et des RT.
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Crédit photo de Une : Balenciaga.
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