Aux éditions Grasset
Comment vivre avec le poids d’Auschwitz, quand on est Allemande, qui plus est, Juive ? Pour répondre à cette question, la biographe Evelyne Bloch-Dano a entremêlé le portrait de deux femmes, sa propre mère et Romy Schneider.
En équilibre entre biographie, celle de Romy, et récit familial, celui de sa mère Edith, les deux thèmes s’entrelacent et se reflètent tour à tour, comme dans un miroir. Evelyne Bloch-Dano, une funambule de la vie ? Mais de quelle vie au juste… Celle d’Edith Hanau, sa mère ? Qui a vécu une enfance paisible à Gerolstein. Qui a fui l’Allemagne pour la France en 1936. Qui est revenue triomphante dans son pays natal, l’uniforme français endossé avec fierté. Qui est bien vivante et victorieuse après la guerre. Ou celle de Romy Schneider ? Qui a vécu une enfance idyllique à quelques centaines de mètres de Berchtesgaden, le nid d’aigle de Hitler, amant régulier de sa mère, Magda. Qui est devenue l’actrice célèbre que l’on connaît. Qui s’est prise l’histoire de son pays en pleine figure. Qui s’est tuée dans ses rôles après la guerre. Chaque film est un poison. Il vous dévore. Evelyne Bloch-Dano nous avoue aller de l’une à l’autre, tresser ces vies à première vue si différentes, les éclairer mutuellement. Ces deux femmes si différentes, mais si complémentaires. Elles vivaient la même chose. Deux destins brisés par la grande Histoire. Les sentiments de honte et d’humiliation, incommensurables, qu’elles ne purent jamais exprimer, le drame d’une vie écartelée entre soi et l’autre, le passé et le présent, la culpabilité et la dette. Et le refoulement comme ciment commun. Evelyne Bloch-Dano analyse, décortique. Toujours en douceur et en finesse. Un miroir ne doit pas être cassé…
Avec quoi fait-on une biographie sinon avec sa propre vie ?
De ce double récit en écho émerge une réflexion sur les raisons cachées d’un biographe. Quand on écrit, on est porté par ses rêves. La démarche première est toujours inconsciente. Mais la biographe s’attelle à une tâche bien plus complexe : redonner vie aux morts, en leur prêtant ses mots, son souffle – et parfois sa mémoire. Personne ne choisit son sujet par hasard. Grâce à cette construction habile, entre enquête personnelle et enquête sur une destinée, elle pose, en réalité, la question de l’identité. Une identité qui n’est pas toujours facile à accepter. « Comment se fait-il que la biographe en moi, soit saisie d’une telle pesanteur à l’idée de faire une recherche aussi simple ? […] Je suis porteuse du désir de savoir, mais la peur est encore trop forte. » Pourtant, ce livre, elle l’a écrit. Elle a réussi. Peut-être pour rendre hommage à Romy Schneider, une femme blessée mais toujours remarquable : « Elle me rappelle ces héroïnes de Dostoïevski, éprises d’absolu, toujours au bord de l’explosion, à la fois fragiles et inflexibles, d’une gaieté pleine de larmes, avançant les yeux grands ouverts vers leur perte ». Sans doute pour rendre hommage à sa mère, une femme qui a vécu et aujourd’hui oublié : « Maman ! Que me restera-t-il pour te rejoindre sinon mes souvenirs et mes propres illusions couchées sur le papier ? ». Sûrement pour elle : « Ces questions d’identités, il faut les aborder de face pour pouvoir ensuite les jeter par-dessus bord ».
Evelyne Bloch-Dano, la petite fille de la couverture, est devenue une grande dame. Une biographe, qui, en se prêtant au devoir de mémoire, a réussi celui de l’oubli.
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires
Il n'y a pas encore de commentaire sur cet article.