Au cinéma, rares sont les bonheurs plus grands que celui de découvrir une nouvelle réalisatrice pleine de talent. Cette semaine, c’est arrivé avec Carla Simón.
Nos soleils, de quoi ça parle ?
Depuis des générations, les Solé passent leurs étés à cueillir des pêches dans leur exploitation à Alcarràs, un petit village de Catalogne. Mais la récolte de cette année pourrait bien être la dernière car ils sont menacés d’expulsion à la fin de l’été.
Le propriétaire du terrain a de nouveaux projets : couper les pêchers et installer des panneaux solaires. Confrontée à un avenir incertain, la grande famille, habituellement si unie, se déchire et risque de perdre tout ce qui faisait sa force…
Le portrait de quatre générations (rien que ça !) par une réalisatrice prodigieuse
Il existe certains cinéastes capables de nous faire oublier que l’on est devant un film. Carla Simón en fait partie.
Nos soleils s’ouvre sur une scène dans laquelle trois jeunes enfants jouent. À bord d’une carcasse de voiture, ils conduisent un vaisseau spatial, évitent les tirs des vaisseaux ennemis et se cachent pour ne pas être repérés par des aliens. Ils vivent cette aventure simplement grâce au pouvoir de leur imagination, en mimant des pistolets avec leurs mains et en soufflant pour imiter le bruit des lasers.
Il suffit à la réalisatrice de quelques secondes pour nous immerger dans le monde de ces enfants, comme s’il était réel. Il lui suffit de quelques mouvements de caméra et d’acteurs prodiges pour nous faire embrasser leur point de vue. Nous ne nous contentons pas de regarder les personnages, avec distance : nous sommes avec eux.
Quelques minutes plus tard, on se retrouve cette fois avec le père, un homme d’une cinquantaine d’années, assez bourru, mais au visage plutôt sympathique. À l’instar des enfants absorbés par leur jeu, le père est plongé dans le travail. Il conduit un tracteur, cueille des pêches à toute vitesse, donne des directives aux autres travailleurs dans un grand verger.
Cette capacité à nous faire éprouver le point de vue, les sentiments et les pensées d’un personnage, c’est tout le talent de cette réalisatrice espagnole. Mais là où Carla Simón n’est pas seulement talentueuse, mais a aussi un puissant regard de cinéaste, c’est que, plutôt que de se cantonner à un seul personnage principal, comme c’est le cas dans la majorité des films de fiction, elle dresse le portrait de pas moins de quatre générations. Des enfants et des ados aux grands-parents âgés, en passant par les parents d’une quarantaine d’années.
La paysannerie, au croisement de l’intime et du politique
Les acteurs de cette grande fresque familiale sont si brillants qu’on oublie constamment qu’on se trouve devant une fiction. De plus, on a l’impression de regarder une série tant chaque personnage est soigneusement écrit et intéressant. Or, les enjeux qu’une série mettrait en place en plusieurs épisodes ou plusieurs saisons, Carla Simón le fait en deux heures, aussi sobres qu’intenses. Aucun des protagonistes n’est délaissé au profit d’un autre, aucun n’a plus d’espace à l’image par rapport à un autre.
Le point de vue des enfants est tout aussi légitime que celui des parents, tout comme celui des adolescents est tout aussi passionnant que celui des grands-parents, etc.
Or, ce point n’est pas anodin. Il y a une dimension politique dans le fait de donner la même attention, la même importance à un personnage qu’il soit un homme, une femme, un petit enfant, une dame âgée. Ce choix d’écriture et de mise en scène est à l’image d’un film est fondamentalement politique. La réalisatrice prend le temps de regarder et d’écouter le monde paysan : celles et ceux que l’on ne voit et qu’on n’entend jamais.
Dans ce film solaire et passionnant, Carla Simón filme des vies habituellement doublement oubliées. À quand remonte la dernière fois que vous avez vu à l’écran l’histoire d’un enfant, d’une femme ou d’une grand-mère issue d’une famille paysanne ? Peut-être jamais !
Ainsi, à travers ces quatre générations de personnages aussi simples que passionnants, Carla Simón nous parle d’une bascule dans les rapports entre l’Homme et la terre. C’en est fini de l’époque des fruits poussant du travail collectif, de l’attention aux écosystèmes, au soleil, à l’eau et aux êtres vivants.
Quelles seront les conséquences de cette bascule, positives ou négatives sur chaque personnage, symbole d’une génération ? Pour le découvrir, rendez-vous en salles dès ce mercredi 18 janvier !
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Crédit de l’image à la une : © Pyramide Distribution
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