Doula. Derrière ce curieux mot (venu du grec) se cache un métier fort répandu aux États-Unis, qui s’implante de plus en plus en France…. Et peut représenter un soutien précieux pour les parents et futurs parents appartenant aux communautés LGBT+.
Doula, une profession en voie de reconnaissance ?
Les doulas ont pour rôle d’accompagner et de soutenir les parents en devenir dans la conception de leur projet de parentalité, lors de la grossesse, de l’accouchement et du post-partum.
Les doulas ne sont pas des professionnelles de santé ; par conséquent, elles ne peuvent pas remplacer un suivi médical de grossesse avec une sage-femme, dans une clinique où un hôpital, explique l’Association des Doulas de France sur son site Web.
Leurs missions n’en sont pas moins variées : accompagnement émotionnel, explication autour du processus de grossesse, soutien et présence lors de l’accouchement et du post-partum, conseil sur la lactation…
En France, il n’existe pas de reconnaissance des doulas en tant que professionnelles de la naissance, ni par l’État ni par les formations médicales. Des institutions préviennent même du danger face aux pratiques de certaines doulas ; dans un rapport établi en 2006 par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES), l’organisme prévient de risques de « dérives sectaires » à cause de l’opposition aux médecines conventionnelles remarquées chez quelques praticiennes.
Même si les doulas ont — pour le moment — moins la cote en France que dans les pays anglo-saxons, elles arrivent tout de même à s’attirer les faveurs de nouveaux publics.
En France, le phénomène des doulas est émergent ; il n’existe pas encore de chiffres officiels recensant leur nombre. Sur Facebook, le groupe « doulas, accompagnantes à la naissance de France » compte près de 2 000 personnes.
Certaines doulas se spécialisent pour les familles LGBT+
Face à la diversité des modèles familiaux contemporains, certaines doulas proposent des accompagnements spécifiques. Ainsi, aux États-Unis, l’entreprise Rainbow Doula met en relation des familles LGBT+ avec des doulas formées aux enjeux que peuvent traverser les personnes concernées dans leur parcours de parentalité.
En France, il n’existe pas de chiffres officiels, mais une offre commence timidement à se développer. Pascale, cofondatrice de l’association Doulas de France et directrice de l’institut de formation doulas de France, explique :
« Nous sentons que les étudiantes sont de plus en plus intéressées par l’accompagnement des familles de la communauté LGBT+. »
Marion Calmel, doula du site DoulaYaga axé sur la prise en charge des personnes LGBT+, estime que les membres de la communauté LGBT+ représentent désormais 75% de sa clientèle. Car s’il existe autant de parcours pour devenir parents que de familles, les discriminations et enjeux spécifiques que connaissent ces personnes peuvent compliquer leur chemin vers la parentalité…
Les parcours de Procréation médicalement assisté (PMA) excluent encore certaines membres des communautés LGBT+, à l’instar des hommes et des femmes transgenres. Margaux, doula de Naissances Inclusives, explique :
« Les PMA sont difficiles émotionnellement et physiquement et les familles LGBT+ y sont d’autant plus confrontées. »
Pour ces futurs parents, l’appel à une doula peut tenter de faciliter un parcours vers la parentalité semé d’embûches.
La doula, médiatrice et transmetteuse d’informations
Pour Margaux, restauratrice parisienne de 35 ans et maman de deux enfants conçus par PMA, la sensibilité de sa doula pour les questions de genre l’a confortée dans son choix :
« Son côté inclusif assumé m’a beaucoup parlé. »
Margaux est lesbienne et célibataire. Sa doula, Barbara, lui a fourni un soutien physique et moral précieux, par exemple lors de rendez-vous médicaux. La jeune maman explique également que la professionnelle jouait un rôle de tampon, notamment face aux risques d’homophobie et de lesbophobie à l’hôpital :
« Même sans mauvaises intentions ou jugements, certains soignants peuvent être maladroits dans leurs mots et on n’a pas toujours envie de se justifier. Barbara a pu jouer un rôle d’intermédiaire avec les équipes. »
Barbara, doula praticienne entre la France et le Québec, explique :
« Lorsque je vais à l’hôpital, j’y vais en mode guerrière car je sais que je vais devoir me battre pour que ma cliente soit respectée. »
La doula n’hésite pas à s’interposer entre sa cliente ou son client et les équipes médicales pour éviter toutes discriminations liées à l’orientation sexuelle et au genre. Elle précise :
« Souvent, les gens ne veulent pas être méchants mais ils disent “comment va la maman ?” ou alors “le petit loulou” pour parler de l’enfant — et c’est gênant car tu viens d’expliquer que le terme maman n’était pas à employer et qu’il ne fallait pas genrer le bébé. »
Un rôle d’intermédiaire que confirme également Mathilde, doula du site La Saugeraie, revendiquant une approche féministe et queer :
« Je dirais qu’il m’arrive de faire des ponts, d’aller moi me jeter dans la gueule du loup plutôt que les familles, par exemple, expliquer que la personne est non-binaire et que ça risque d’être maladroit de la genrer au féminin.
J’ai ce rôle de tampon, de médiatrice et d’éducatrice. »
Véritables passeuses d’informations, les doulas dirigent également les familles LGBT+ vers des professionnels de santé respectueux de leurs identités. Marion l’affirme :
« La plus grande difficulté, c’est de savoir vers quels professionnels on peut se tourner pour se sentir en sécurité. Par exemple, les personnes transgenres : pour trouver des personnes pour les aider à concrétiser leur désir de parentalité, elles ont intérêt à s’accrocher, c’est hyper compliqué. »
Afin d’éviter à leurs clients de mauvaises aventures, Marion et Barbara les dirigent vers des gynécologues et personnels de santé connus dans la communauté LGBT+ pour leur bienveillance.
Dépathologiser la conception d’enfant pour les familles LGBT+
Chez certaines doulas spécialisées dans l’accompagnement de familles LGBT+, la prise en charge permet également d’inscrire la conception de l’enfant en dehors de parcours médicaux parfois douloureux. Eva-Luna, doula derrière le compte Instagram La doula queer, explique :
« Je propose des ateliers sur l’insémination artisanale, pratique qui est historique dans nos communautés.
Cela répond aussi à un réel besoin de dépathologiser nos parcours. Les couples hétéros pour faire des bébés, ils ont juste à avoir des rapports sexuels. Nous, on doit aller dans un CECOS [Centre d’études et de conservation des œufs et du sperme humain, NDLR]. Nos parcours sont directement médicalisés. »
Marion fournit les mêmes types d’ateliers en période de conception. Plus encore, elle propose également — aux couples de femmes notamment — son témoignage pour la reconnaissance de leur familles devant la loi :
« Je vais systématiquement proposer mon témoignage pour le dossier d’adoption [depuis l’adoption de la loi bioéthique qui étend la PMA aux couples lesbiens, les futures bénéficiaires n’auront plus à en passer par une demande d’adoption mais par une reconnaissance chez un notaire, NDLR].
C’est une démarche très compliquée émotionnellement d’avoir besoin de quelqu’un pour asseoir la légitimité du parent adoptant, alors avoir quelqu’un qui le propose spontanément, ça change tout. »
Dégenrer la maternité
Les affiches roses pour les filles et bleues pour les garçons, la présomption d’hétérosexualité des futurs parents où la focalisation sur le rôle de la mère… il suffit de rentrer dans une maternité — mot déjà très marqué — pour constater que l’univers autour de la natalité est envahi par la binarité et par une vision hétérocentrée de la famille.
Une identité très genrée qui ne permet pas une inclusion d’autres schémas familiaux. Selon Marion :
« Dans toutes les productions culturelles, on parle du papa et de la maman ; il faut qu’on fasse tout un travail pour arriver à se réapproprier les mots et à s’identifier aux parents dont il est question dans chaque livre, dans chaque film, et dans chaque podcast. C’est usant et violent. »
L’un des rôles des doulas qui accompagnent les personnes LGBT+ est donc de permettre de créer un monde de la parentalité moins genré et hétérocentré.
Pour Morane et Laura, en couple et mamans de deux jumelles nouvellement nées, l’accompagnement d’Eva-Luna a permis une prise en charge qui prenait en compte la dynamique de leur couple dans sa globalité sans sacraliser la mère enceinte. Elles détaillent :
« L’approche d’Eva-Luna en tant que doula queer nous a tout de suite plu. Pour le coup, elle prenait vraiment en compte notre couple et pas seulement celle qui était enceinte. On était sûres de ne pas avoir de jugement, d’être comprises. »
Afin de garantir un accompagnement dégenré et inclusif, ces doulas font preuve de créativité. Ainsi, si les outils inclusifs n’existent pas, elles innovent pour les inventer et les proposer à leur clientèles, comme Barbara :
« J’ai créé un plan de naissance complètement inclusif. Il est écrit en écriture inclusive et toutes les options dedans prennent en compte les différentes possibilités de famille : ne pas utiliser les mots comme maman/papa pour celleux qui ne le souhaitent pas, j’emploie également le terme “personne enfantante” et je cherche à savoir s’il faut genrer les bébés ou non. »
La créativité de ces doulas n’a d’égale que l’importance de la tâche qu’elles ont à accomplir. En France, malgré l’ouverture de la PMA pour les femmes seules et les couples de femmes, les processus pour pouvoir enfanter sont encore très longs.
D’après le journal La Croix, les délais pour obtenir un don de gamètes s’élèvent à six à douze mois d’attente. Ajoutons à cela une loi encore particulièrement inégalitaire — vis-à-vis notamment des personnes transgenres — pour se rendre compte que les familles LGBT+ et leurs doulas ne sont pas au bout de leurs peines…
À lire aussi : Elles ont fait une PMA toutes seules, voici leurs conseils
© Pexels/SHVETS production
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires
Il n'y a pas encore de commentaire sur cet article.