Qu’est-ce qui nous définit ? Chaque identité est complexe, chaque parcours est unique : c’est tout le sens du podcast na3na3 (littéralement « menthe », en arabe, souvent utilisé pour désigner le thé à la menthe) de Nadia Slimani. Alors, pour la présenter, ses mots à elle seront les plus appropriés — à défaut d’être exhaustifs.
« J’ai 29 ans, j’ai grandi à Avignon et je vis à Marseille. J’ai créé le podcast na3na3 il y a deux ans, initialement aux cotés de deux autres personnes. Depuis janvier, je m’en occupe seule.
Médiatrice culturelle de formation, j’ai toujours cherché à créer des liens, des ponts entre les personnes. Je crois que c’est parce que je suis la première de ma famille marocaine à être née en France. »
Trouver sa place dans le monde
Au cours de notre entretien, l’idée de créer des ponts entre les personnes et les cultures revient souvent, accompagnée d’un autre fil conducteur : trouver sa place. Pour Nadia Slimani, ce n’a pas été une chose simple. Très jeune, elle ressent un décalage entre elle et les autres, tant au sein de sa famille qu’à l’extérieur.
« Mon père, comme beaucoup d’hommes nord-africains est venu travailler seul en France, pendant que ma mère et leurs enfants vivaient encore au Maroc. Dans les années 1990, il a pu procéder au regroupement familial, et moi, je suis née en France en 1991, comme un symbole de ces retrouvailles.
Quand je suis rentrée à l’école, j’ai tout de suite senti une différence entre les autres et moi : la culture, la langue, la cuisine… J’ai ressenti une forme de choc culturel : je n’étais pas comme mes camarades de classe, mais je n’étais pas non plus comme mes frères et sœurs plus âgés, qui avaient vécu le déchirement du départ du Maroc. Personne ne m’a expliqué que je pouvais être qui je voulais, que la mixité de mes cultures et de mes références était une richesse. »
Elle n’en a pas le souvenir, mais sa famille lui a raconté que face à ce choc, elle avait refusé de s’exprimer pendant un moment. Si elle a fini par reprendre la parole, ce sentiment de ne pas être à sa place a continué à l’accompagner quelques temps.
« Ma scolarité a été compliquée, et je me suis beaucoup questionnée sur mon identité. Dans la ville où j’ai grandi, c’est comme s’il n’y avait qu’une seule manière d’être origine nord-africaine. Un seul style de musique, un seul style vestimentaire… À l’âge où tu te construit, c’est difficile d’être confrontée à ces représentations sans comprendre qu’on est légitime à être autre chose, si l’on en a envie.
Moi, je ne savais pas trop à qui je ressemblais, je me sentais en trop. Et j’ai longtemps cru que j’étais la seule à me sentir comme ça. »
Apprendre à célébrer ses identités
Sans modèle, le cheminement de Nadia Slimani sur la question de l’identité a été marqué par l’anxiété et la dépression.
« Ce déchirement de ne pas se trouver, de ne pas se sentir légitime à être qui l’on est peut créer des troubles. Cela a a été mon cas, comme celui de bien des personnes au parcours similaire. »
Mais aujourd’hui, la jeune femme voit ces troubles de manière heureuse : le temps passant, l’anxiété a quitté son rapport à son identité. Aujourd’hui, elle la célèbre plutôt, dans toute sa complexité et sa richesse. Dans cette évolution, la création du podcast na3na3 a largement joué.
« J’ai voulu être médiatrice culturelle sans réaliser que je voulais faire le pont entre deux pays, que tous les projets que je créais étaient pour les autres. Un jour, un ami m’a dit “Arrête de faire des choses pour les autres, fais un projet pour toi, et parle de toi”.
C’est là que l’idée de na3na3 est née, pendant une formation au journalisme. C’est le podcast que j’aurais voulu écouter quand j’étais plus jeune : je voulais me rassurer, me rappeler qu’il y avait plein de gens qui vivaient la même chose que moi. Je souhaitais créer un espace où se raconter nos histoires, sereinement, et célébrer toute la complexité de nos vécus. »
« On nous interdit la complexité »
Ici, l’idée même de célébration est politique. La podcasteuse le raconte : la représentation des personnes nord-africaines et leurs descendants, en France, a une texture particulière.
« Cette différence que je portais, on ne m’a pas vraiment appris à la valoriser. En tant que personnes nord-africaines, on nous interdit la complexité.
Souvent, quand on me posait des questions, je ne ressentais pas de curiosité sincère. Plutôt une injonction à expliquer ma culture à travers des clichés, auxquels on est souvent ramenés. Aussi bien dans les médias que dans les imaginaires collectifs, certains stéréotypes nous sont accolés.
On m’a souvent dit “Toi, t’es pas comme les autres” [ndlr : les autres personnes d’origine maghrébine] et moi, je me demandais “Mais c’est qui, les autres ? Les autres ne sont pas du tout comme tu les imaginais non plus !” »
Alors, Nadia Slimani a décidé de faire de son podcast un support de joie, un outil pour s’aimer et se valoriser. Un acte radical, tant cela peut être difficile dans un climat politique français où le racisme et l’islamophobie sont devenus fréquents.
Pour cela, elle donne la parole à toutes celles et ceux qui ont pu ressentir la même chose qu’elle. Un travail de réconciliation individuelle, et de célébration collective qui se joue dans l’intime : on y parle d’avoir le cul entre deux chaises, de s’aimer, de masculinités maghrébines, de colorisme…
Un podcast féministe
Pour raconter ces histoires, Nadia Slimani a choisi le format témoignage. Ces histoires à la première personne font partie intégrante de l’intention du podcast : créer des ponts entre les intimes, raconter des émotions qui nous rassemblent toutes et tous, quelles que soient nos expériences de vie. Donner la parole aux personnes d’origine nord-africaine en France, c’est aussi offrir aux non-concernés un moyen de comprendre leur vécu.
Pour la jeune femme, c’est une forme de militantisme assumée :
« Je ne peux pas dire que mon travail n’est pas militant. Je suis une femme précaire, qui parle des personnes d’origines nord-africaines dans un contexte qui peut être raciste, islamophobe.
Je milite avec de la pédagogie parce que j’aime cette manière de faire. J’ai l’impression que c’est en se comprenant et en se parlant que l’on peut faire bouger les choses. Le but de ce podcast, c’est d’effacer les idées reçues en humanisant celles et ceux à qui on ne donne pas toujours la parole. »
Ce militantisme est ancré dans un féminisme qui s’affirme intersectionnel : ce n’est pas pour rien que dans ce podcast, les femmes ont la parole en majorité. D’épisode en épisode, les oppressions croisées que vivent les participantes sont explorées, racontées, entendues.
Croiser les regards avec le podcast YESSS
Et parce que l’intersection entre le sexisme et le racisme vécue par les femmes d’origines maghrébine mérite d’être interrogée en profondeur, na3na3 s’est associé au podcast féministe YESSS le temps d’un épisode.
En effet, parmi celles qui ont inspiré Nadia Slimani à lancer ce projet, il y a Anaïs Bourdet, Margaïd et Elsa, créatrices et animatrices de YESSS. Celui-ci est produit à Marseille au sein du même label que na3na3 : PopKast.
À chaque épisode, on y célèbre les victoires des femmes face aux comportements sexistes de leurs quotidien. Pour se faire du bien, d’abord, parce qu’il est important de fêter nos succès, mais aussi pour donner de la force, des idées aux auditrices qui pourraient en avoir besoin. Margaïd explique :
« Ce n’est pas toujours facile — voire possible — de réagir face au sexisme. YESSS, c’est aussi un podcast qui permet de créer une communauté de femmes qui s’encouragent à oser, à essayer, à ne pas se laisser faire : ce sont des grandes victoires dans nos vies. »
Pour affirmer plus fort les perspectives intersectionnelles de ces deux projets féministes, l’idée d’un épisode cross-over entre les projets est venue comme une évidence. C’est ce que raconte Elsa :
« Na3na3, c’est un podcast important et de qualité. Croiser nos deux podcasts dans un crossover, c’était naturel : il y a une situation spécifique aux femmes d’origine maghrébine en France, et revendiquer un féminisme intersectionnel, c’est regarder en face et aborder ces spécificités, en laissant la parole aux concernées. »
Pour Nadia Slimani, faire cet épisode avec des femmes qui l’ont inspirée dans sa démarche, c’était aussi fêter la sororité à tous les niveaux, la communauté des femmes qui luttent.
« La phobie que j’avais d’être seule, d’être illégitime quand j’étais enfant s’efface doucement : je me suis rendu compte que je faisais partie d’une grande équipe de femmes qui luttent contre les mêmes choses que moi. Et on est nombreux et nombreuses à trouver de la joie dans le fait que ces luttes soient de plus en plus visibilisées ! »
Ainsi, dans l’épisode « Warriors Nord Africaines », les 4 femmes célèbrent ensemble les victoires de femmes d’origine maghrébine face au sexisme et au racisme dont elles sont victimes. On y parle aussi avec joie de la complexité de l’identité, on y dénonce l’essentialisation. Et le pari est tenu : ça fait un bien fou !
Crédit photo : Jules Roques
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