C’est une image qui avait marqué les esprits. Celle de Judith Godrèche, en pleurs à l’Assemblée nationale le 2 mai dernier, alors que les députés venaient d’acter la création d’une commission d’enquête sur les violences sexuelles dans le monde du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant et de la mode.
Mais en choisissant de dissoudre l’Assemblée nationale dimanche 9 juin, suite à l’écrasante victoire de la liste de Jordan Bardella (RN) aux élections européennes, Emmanuel Macron a mis un coup d’arrêt au combat de l’actrice, et de celui des personnes engagées pour la protection de l’enfance et contre les violences sexistes et sexuelles.
« Le président a tout balayé »
En attendant la tenue d’élections législatives, les 30 juin et 7 juillet prochains, les projets de loi et travaux parlementaires en cours sont stoppés net, sans que l’on sache s’ils reprendront par la suite.
Outre l’arrêt brutal de la commission d’enquête sur les violences dans le monde de la culture portée par Judith Godrèche, celle sur les dysfonctionnements de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) a aussi été stoppée dans son élan, tout comme la délégation aux droits des enfants qui se tenait à l’Assemblée nationale.
Pour les acteur·ices du secteur de la protection de l’enfance, c’est une catastrophe. Tous.tes font part de leur sentiment d’immense gâchis et de crainte pour l’avenir, alors même que le mouvement #MeToo semblait enfin obtenir en France la portée qu’il lui a manqué durant six ans.
« Il était une fois : une délégation aux droits des enfants, une commission d’enquête sur les violences dans le monde de la culture, une commission d’enquête sur l’ASE. Ce soir le Président a tout balayé », a déploré la comédienne et réalisatrice sur en story sur son compte Instagram.
Sur X, la rapporteure de la commission d’enquête relative aux violences dans le monde la culture n’a pas caché sa déception, voire sa colère face à la décision d’Emmanuel Macron, de mettre un coup d’arrêt aux travaux en cours.
« Je déplore fortement l’arrêt de cette commission d’enquête, victime collatérale de la décision dangereuse d’Emmanuel Macron, et remercie l’ensemble des personnes ayant contribué à nos travaux. (…) Je continuerai sans relâche la lutte contre les violences sexuelles, pour les droits des femmes et les droits des enfants. »
Francesca Pasquini, députée Les Écologistes
Le Collectif enfantiste partage ce sentiment désarroi et de colère face à une décision politique dont les conséquences immédiates n’ont visiblement pas été anticipés par le chef de l’État. Interrogé par Madmoizelle, Claire Bourdille, porte-parole de ce collectif d’activistes contre les violences faites aux enfants et aux adolescent·es déplore aussi le coup d’arrêt mis aux initiatives prises ces dernières semaines en faveur de la protection des enfants.
« C’est une catastrophe et un frein pour la protection des enfants. Il y a des enfants qui meurent et là, on est à l’arrêt sûrement jusqu’aux prochaines élections. C’est terrible pour nous, pour les associations, mais c’est encore plus terrible pour les victimes et les futures victimes. »
Claire Bourdille, Collectif enfantiste
Même son de cloche du côté de l’association MeTooMédia, qui rappelle sur Instagram que la dissolution de l’Assemblée nationale constitue une « perte d’un précieux temps pour les victimes aux griffes des agresseurs ».
« Nous perdons la continuité du travail engagé avec la Secrétaire d’Etat à l’égalité femmes-hommes : la 4e en 3 ans…
Ce poste sera-t-il maintenu dans le prochain gouvernement au lendemain du 2nd tour des législatives le 7 juillet 2024 ?
La lutte contre les violences sexuelles en prend encore un coup. »
MeTooMédia
Claire Bourdille regrette aussi le manque de prise en compte des droits des enfants, non seulement lors de la dissolution de l’Assemblée nationale mais, de manière générale, dans le débat politique, qui plus est en période d’élections. « La protection des enfants est quelque chose qui n’a pas du tout été pensé lors des élections européennes. Regardez les programmes et les prises de parole des politiques et des candidat·es, il n’y a jamais rien sur l’enfance, ou alors très peu, pour parler de délinquance. Mais on ne parle jamais des enfants qui sont agressés, violés, qui meurent chaque jour. »
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Un « anéantissement » des droits des enfants en cas de victoire du RN
Autre commission à être abruptement stoppée, celle sur les dysfonctionnements de l’ASE. Réclamée depuis des années, elle a entamé ses travaux le 30 avril dernier. Interrogé par Libération, Lyes Louffok, membre fondateur du comité de vigilance des enfants placé·es, qui a activement milité à la création de cette commission, rappelle qu’en quelques semaines à peine, elle avait mis en lumière de nombreuses défaillances.
« Les premières auditions ont permis d’entendre des magistrates faisant toutes le même constat : les cadences infernales qui ne permettent pas aux juges des enfants de remplir leurs missions dans de bonnes conditions. Les mesures de placement ordonnées par la justice qui ne sont parfois mises en place qu’au bout de deux ans. Des victimes d’inceste qui ne peuvent ainsi pas être protégées. »
Lyes Louffok à Libération
Or, pour Lyes Louffok, non seulement la fin de cette commission est catastrophique, mais l’éventuelle entrée du Rassemblement national au gouvernement en cas de victoire aux législatives pourrait mettre un coup d’arrêt définitif à toutes les avancées en matière de droits des enfants.
« Si le Rassemblement national devait arriver à Matignon, la politique de protection de l’enfance deviendrait basée sur la préférence nationale et ne prendrait plus en charge les enfants de nationalité étrangère. Cela serait catastrophique. Concrètement, en appliquant une telle politique, nous sortirions de la Convention internationale des droits de l’enfant, un traité international adopté à New York en 1989. (…)
L’arrivée du fascisme à la tête du pays signerait clairement l’anéantissement le plus total des droits des enfants en France. Je le dis avec gravité mais c’est clairement ce qui va se passer si on en arrive là. »
Lyes Louffok à Libération
Un avis que partage Claire Bourdille, du Collectif enfantiste, qui estime que « la montée de l’extrême droite est très inquiétante pour les droits des enfants. »
« Quelle va être la situation des mineur·es isolé·es, des enfants racisés ou issus de l’immigration ? Comment va-t-on les accueillir et les prendre en charge ? Les droits des enfants, c’est pour tous les enfants et ce quelle que soit leur situation ou leurs origines. Si on abandonne un enfant, on abandonne notre humanité. »
Claire Bourdille, Collectif enfantiste
Faire des droits des enfants un vrai sujet aux législatives
Alors, pour empêcher l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite et l’anéantissement des minces avancées réalisées en matière des droits de l’enfant, les militant·es s’organisent. Objectif : porter les droits des enfants dans le débat public et en faire un vrai enjeu électoral.
Le Collectif enfantiste a d’ores et déjà annoncé son intention de décortiquer les programmes des candidat·es aux législatives ainsi que leurs prises de parole afin de déterminer quel·les sont celles et ceux engagé·es pour les droits des enfants. Il prévoit aussi d’envoyer un courrier à tous·tes les candidat·es et aux partis politiques pour que les droits des enfants fassent partie intégrante de la campagne législative.
Lyes Louffok, lui, « ne ferme pas la porte à une candidature si une union de la gauche se forme ».
Alors que les partis de gauche (LFI, PS, Écologistes et PCF) viennent d’acter une nouvelle union pour les élections législatives des 30 juin et 7 juillet, il ne reste plus qu’à espérer que les droits des enfants, tous comme les droits des femmes, fassent partie intégrante des programmes de ce nouveau « Front populaire ».
Cet article est co-financé par le programme Erasmus+ de l’Union européenne.
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Ce projet fait d’autant plus sens dans le cadre des élections européennes qui se sont déroulées du 6 au 9 juin 2024 et qui nous concernent tous en tant que citoyen.
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