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Une femme souffrant de crampes menstruelles se masse le bas-ventre.
Travail

Avec celles qui tentent le congé menstruel en France, et le démocratiseront peut-être un jour

Elles se comptent sur le bout des doigts, mais quelques entreprises françaises expérimentent le congé menstruel. À quoi ressemble ce temps de repos accordé aux personnes souffrant de leurs règles ?

Il faut se faufiler dans une ruelle, derrière la Poste, pour trouver les locaux de radio Micheline. Cette antenne associative basée à Montélimar, qui diffuse sur tout le sud-Drôme et Ardèche, propose depuis mai 2021 un jour de congé menstruel par mois à ses salariées (l’équipe compte trois femmes et un homme).

Sophie Diaquin, directrice de la radio est arrivée dans l’association après avoir vécu à Lyon, elle s’occupe du développement de l’antenne. En écoutant France Inter un matin de 2021, elle apprend que la Scop montpelliéraine la Collective vient de mettre en place un congé menstruel pour les salariées de l’entreprise. Ce fut un déclic, comme elle le confie à Madmoizelle :

« Je me suis dit : pourquoi nous ne le mettrions pas en place à radio Micheline ? Je souhaitais que l’on montre l’exemple. »

C’est aujourd’hui chose faite pour l’équipe. Ses trois salariées peuvent, sans jamais se justifier, prendre un jour de congé lorsqu’elles souffrent de leurs règles. Une décision qui demande quelques ajustements sur le calendrier de la radio, mais une source de fierté pour Sophie Diaquin. 

Sophie Diaquin dans son bureau de Radio Micheline.
Sophie Diaquin est directrice de radio Micheline, basée dans la Drôme. Depuis mai 2021, la radio propose à ses salariées un jour de congé menstruel par mois.

Le congé menstruel, ce si long débat 

Si l’initiative semble novatrice, dans les milieux féministes, la question divise.

Plusieurs femmes craignent une discrimination à l’emploi si un congé dédié aux règles est mis en place — un peu comme pour le congé maternité qui peut déjà être un facteur d’inégalité professionnelle en amont et en aval de la période non travaillée.

C’est l’un des arguments que l’on retrouve dans le mémoire d’Aline Boeuf Vivre son cycle menstruel dans le monde professionnel : expériences multiples et préoccupations communes, publié en 2020. L’étudiante en master de sociologie à l’université de Genève y a mené des entretiens avec dix femmes entre 26 et 46 ans. L’une d’entre elles évoque cette peur de se voir « à nouveau discriminée » :

« Je pense qu’on est déjà assez pénalisées avec le fait qu’on ait ou non des enfants, si en plus on avait ça, ça nous porterait plus préjudice que service. (…) Disons qu’on serait encore plus discriminées à l’emploi. Ceux qui engagent pourraient se dire “bon bah deux jours par mois elle ne va pas venir, parce qu’elle a ses règles”. »

Chez radio Micheline, le débat a aussi été posé par les membres du conseil d’administration qui s’inquiétaient surtout de « l’équité professionnelle » entre les femmes et les hommes salariés. La question était de savoir ce qu’on donne aux hommes, si on accorde un jour de congé menstruel aux femmes. La directrice explique à Madmoizelle :

« Finalement on s’est dit que si un homme prenait un congé paternité par exemple, il serait plus long que ce qui est proposé en France. »

Pour Aline Boeuf, le congé menstruel permettrait surtout une mixité au travail qui serait alors atteinte « à l’étage le plus haut ». Il rendrait possible « une mixité adaptée, vivable, dans un respect réciproque, dépassant de loin la simple coprésence des deux sexes », et serait une question de « sécurité de l’emploi » et de « préservation de la santé des personnes menstruées ».

Les conditions du congé menstruel

À radio Micheline, les employées peuvent prendre leur congé en avertissant simplement Sophie Diaquin : « Elles m’envoient un texto ou un mail et n’ont pas besoin de se justifier ». Le dispositif est totalement pris en charge par l’association — « à nos frais », comme le précise la directrice de la radio.

Car pour l’instant, le gouvernement n’a pas inscrit le concept de congé menstruel dans le droit du travail et il n’apparaît pas, par exemple, dans la convention collective de la radio. Malgré tout, 68% des Françaises y seraient favorables, selon un sondage IFOP. Pourtant, seules deux entreprises de l’Hexagone y ont actuellement recours (en tout cas selon nos recherches liées à l’écriture de cet article) : radio Micheline et la Collective. 

Est-ce un hasard qu’il s’agisse respectivement d’une radio associative et d’une Scop ? Sophie Diaquin réfléchit :

« Nous sommes une petite équipe donc nous nous connaissons bien. Cela doit être plus compliqué dans une grosse entreprise, mais il ne faut pas hésiter, car il ne faut pas que les règles et les douleurs qui y sont liées soient tabou. »

« Le congé menstruel permet de ne pas normaliser la douleur, c’est expliquer aux femmes qu’il faut consulter, se faire aider, être accompagnée. »

Sophie Diaquin

Dans le mémoire d’Aline Boeuf, on retrouve cet « effet positif » du congé menstruel qui permet « une sensibilisation autour des menstruations [afin] de diminuer le tabou qui les entoure, donnant plus de visibilité aux règles et permettant plus de discussion à ce sujet ». Mais les femmes interviewées par la chercheuse souhaitent avant tout ce congé pour celles qui souffrent le plus.

En fond sonore de ces constatations, on pense évidemment aux maladies qui peuvent être handicapantes professionnellement comme l’endométriose et qui nécessiteraient un aménagement du temps de travail — pour rappel, cette affliction touche une personne menstruée sur dix. Sophie Diaquin analyse pour Madmoizelle :

« Le congé menstruel permet de ne pas normaliser la douleur, c’est expliquer aux femmes qu’il faut consulter, se faire aider, être accompagnée. »

Depuis la mise en place du dispositif en mai 2021, la directrice de la radio drômoise note que cela ne change rien au bon fonctionnement de son équipe, et cela ne demande pas un gros effort d’adaptation. Au contraire, après avoir usé de ce congé, elle s’est sentie plus sereine dans sa vie professionnelle. Car, comme elle l’explique très simplement :

« C’est mieux que de venir au travail et de souffrir. »

Le congé menstruel autour du monde

1947 au Japon, 1948 en Indonésie, 2001 en Corée du Sud…le congé menstruel est déjà bien instauré dans plusieurs pays d’Asie. Mais son utilisation régresse et les conditions de son obtention peuvent être plus complexes qu’auparavant.

Au Japon, précurseur dans le mouvement, ce sont les ouvrières qui ont revendiqué ce droit, actuellement inscrit dans le code du travail. Mais les femmes sont de moins en moins nombreuses à l’utiliser, notamment parce que ce jour n’est plus payé, comme l’explique Noriko Shibano dans son mémoire Transformation d’un tabou : la menstruation dans la société japonaise, publié en 2016 à l’université du Québec à Montréal :

« Lorsque les femmes âgées de plus de 60 ans travaillaient, le congé menstruel était payé : quand les femmes prenaient ce congé, elles recevaient quand même leur salaire pour les journées où elles n’avaient pas travaillé. Aujourd’hui, le congé existe toujours, mais il n’est plus payé ; l’employée doit soustraire un jour de son solde annuel, sans quoi elle ne reçoit pas de salaire. »

La plus grande difficulté réside dans le tabou lié aux menstruations. Une question prise à bras-le-corps par Deepinder Goyal, gérant de Zomato (un immense service indien de livraison de plats à domicile).

Sur le blog de cette multinationale, présente dans 24 pays et employant plus de 5000 personnes à travers le monde, il détaillait en août 2020 la mise en place d’un congé menstruel pour les personnes ayant leurs règles :

« À Zomato, nous voulons développer une culture de confiance, de vérité et d’acceptation. A partir d’aujourd’hui, toutes les femmes, (incluant les personnes trans) travaillant à Zomato bénéficient de dix jours de congé menstruel par an. »

En Europe, il faut noter que mise à part un projet de loi en Italie en 2017, qui n’a pas abouti, le congé menstruel n’est pas installé, même dans le débat. Des initiatives comme celles de la Collective ou de radio Micheline restent pour l’instant à la marge.  

Mais qui sait, à force d’en parler, peut-être vont-elles se démocratiser ?

À lire aussi : Le débat féministe du moment : faut-il allonger le congé maternité ?

Crédit photo de Une : Sora Shimazaki / Pexels


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