Marie de France, Marguerite de Navarre, Christine de Pizan, Madeleine de Scudéry, Marie de Sévigné… Ces noms ne vous disent rien ? Et pour cause ! Ces autrices, dont certaines furent pourtant célèbres à leur époque, connaissant des succès critiques ou populaires, ont tout bonnement été éclipsées de notre histoire littéraire. Avec Autrices, ces grandes effacées qui ont fait la littérature, les éditions Hors d’atteinte entreprennent de les sortir de l’ombre grâce à une anthologie, orchestrée par Daphné Ticrizenis. Le premier tome – allant du Moyen Âge au XVIIIᵉ siècle – vient de paraître. Porté par cette brillante maison d’édition féministe, à qui l’on doit notamment l’essentiel Notre corps, nous-mêmes, ce projet ambitieux permet de partir à la découverte de notre matrimoine littéraire. Et de se départir, au passage, de quelques idées reçues.
Le mythe d’une littérature exclusivement masculine
Car, comme le rappelle Titiou Lecoq qui préface l’ouvrage, l’imaginaire collectif nous a maintenu dans l’idée que les femmes n’écrivaient pas à des périodes aussi reculées que le Moyen Âge. Ni même d’ailleurs, à quelques rares exceptions près, telle Georges Sand, plus tard, puisqu’elles étaient empêchées par leur condition féminine corsetée par la société patriarcale. Et que leur arrivée sur la scène littéraire s’était faite bien plus tard, de manière linéaire, au gré des vagues d’émancipation des femmes. Cette idée que la littérature est une affaire d’hommes s’est profondément ancrée en nous dès l’école avec une longue liste de grands auteurs de référence – de La Fontaine à Zola, en passant par Victor Hugo, Molière, Voltaire ou Rabelais – presque exclusivement masculine.
Pourtant, les femmes ont toujours écrit, envers et contre tout. La première œuvre écrite de l’humanité dont on a gardé la trace vient d’ailleurs d’une femme poétesse, Enheduanna, qui aurait vécu 2300 ans avant notre ère. Mais, comme le décrypte Julien Marsay dans une mordante enquête qu’on vous conseille de lire – La revanche des autrices (Payot) -, les femmes de plume ont été victimes au fil des siècles d’un « rapt institutionnalisé » de leurs écrits. Grâce aux travaux d’historiens et d’historiennes, sur lesquels s’appuie cette anthologie, on assiste depuis le XXe siècle à un début de réhabilitation de notre matrimoine littéraire.
Des textes étonnement actuels
Dès les premières pages de cet ouvrage aux allures de beau livre, avec ses fines illustrations de Marie Fré Dhal, les lecteurs sont saisis. Par la diversité des œuvres proposées – poésies, essais, contes, théâtre, romans… – qui démontre l’apport des autrices aux différents genres littéraires, qu’elles ont parfois même inventés. Mais aussi par l’étonnante actualité de certains d’entre eux. On pense notamment à l’essai de Marie de Gournay, Égalité des hommes et des femmes (1622) ou Les misères de la femme mariée de Nicole Estienne (1587).
Il y a quelque chose d’émouvant à se balader au milieu de cette cinquantaine de textes, ici libérés de l’ombre qu’on leur avait réservée. D’autant qu’au-delà des coups de cœur esthétiques pour certaines de ces œuvres, on est aussi sacrément chamboulé par la destinée, le courage et la pugnacité de leurs autrices dont ce livre raconte les trajectoires. Nombre d’entre elles ont été rabaissées, moquées, méprisées, voire menacées tant leur liberté et leur talent inquiétaient des hommes ou une Église bien décidés à les contrôler. En juin 1310 à Paris, Marguerite Porete fut ainsi brûlée vive avec son livre Le miroir des âmes simples et anéanties. Alors qu’elle était déjà considérée comme hérétique, elle avait tenu à continuer à diffuser son ouvrage, accusé « d’inviter les lecteurs et lectrices à vivre leur foi en dehors de l’Église ».
Cette anthologie vient combler, avec talent, un vide réel. Loin d’être rébarbative, elle a été conçue pour être le plus accessible possible, mêlant extraits de textes, illustrations, encadrés, petites biographies. Un ouvrage nécessaire à lire, offrir et partager le plus largement possible pour que vive notre matrimoine littéraire.
Autrices, ces grandes effacées qui ont fait la littérature, orchestré par Daphné Ticrizenis et préfacé par Titiou Lecoq, éditions Hors d’atteinte, 303 pages, 26 €.
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