La question d’une écriture plus inclusive fait souvent l’objet de controverses. Les débats induisent ainsi l’idée selon laquelle l’usage des mots est politique. Mais comment expliquer cette dimension idéologique ?
« Autrice » : histoire d’un mot controversé
Dans Histoire d’Autrice, de l’époque latine à nos jours, Aurore Evain retrace l’histoire de ce nom en s’appuyant sur un corpus de plus de 150 occurrences, montrant son lien avec l’accès des femmes à la vie publique.
En latin, le mot «autrix» a de nombreuses occurrences dès les premiers siècles du christianisme, pour désigner les figures féminines bibliques.
Mais, au IXème siècle, le débat naît car les grammairiens latins légifèrent la langue et inscrivent les premières règles qui évincent le féminin. Le masculin « auctor » est alors préféré, mais l’usage commun privilégie « autrix » pour les écrivaines. Entre le X et le XIIe siècle, le mot continue à apparaître. À la Renaissance, le féminin « autrice » se répand et se diffuse sous la plume de nombreuses femmes et écrivaines.
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Le Grand siècle : cœur du débat autour du féminin
Durant le Grand siècle, l’opposition au féminin se concrétise. Alors que le statut d’écrivain s’institutionnalise, l’Académie française proscrit ce terme après une querelle entre Marie de Gournay et Guez de Balzac.
Au cours du XVIIIesiècle les occurrences d’autrice s’amenuisent. Mais, après la révolution, le débat s’est intensifié et se trouve politisé. En effet, pour les féministes, le mot autrice représente une avancée sociale.
Le XIXème et le XXème voient l’avènement de la légitimé d’autrice
Le XIXeet le XXe voient de nouveau l’apparition du mot dans l’usage courant. Des écrivaines revendiquent la pratique de ce terme comme image de la visibilité des femmes artistes.
En 1891, suite à une demande de Marie-Louise Gagneur, les Académiciens affirment qu’autrice fait partie des « féminins qui déchirent les oreilles ».
Néanmoins, l’usage populaire du mot autrice s’intensifie entre le XIXe et le milieu du XXe siècle. Les féministes reposent cette question, puis la ministre Yvette Roudy organise la commission sur la féminisation des métiers et opte finalement pour « une auteur ». En 1998, une seconde commission mise en place par Lionel Jospin propose « auteure », un néologisme québécois.
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Aujourd’hui, le mot autrice est utilisé… mais reste controversé
Actuellement, le terme a été réhabilité, bien que son utilisation reste désapprouvée par certaines institutions. En ce sens, une entrée a été consacrée au mot dans l’édition 2003 du petit Robert puis du dictionnaire Hachette.
Toujours est-il que l’histoire du mot autrice est marquée par l’action des femmes. Aussi, l’Académie Française a délibérément choisi de s’opposer à la féminisation des noms à la fin du XXe. C’est seulement dans son rapport de 2019 qu’elle reconnaît son usage, mais préfère le néologisme « auteure » qui serait en tête des occurrences.
La langue est politique, et peut transformer la réalité
L’histoire du mot autrice montre que le langage est politique. Ainsi, le sociologue Pierre Bourdieu a insisté sur l’effet social de la langue et sur leurs rapports de force. Le langage aurait donc un pouvoir qui catégoriserait les rapports sociaux par sa « violence symbolique ».
Selon la linguiste Cécile Canut, la langue peut réinventer la réalité, en usant de mots qui modifient sa symbolique. Pour changer le monde, il faut passer par une modification de la langue, et pour transformer les représentations du réel liées aux mots, il faut changer la société.
Démasculiniser la langue davantage que la féminiser
Dans la lutte féministe, il peut être nécessaire de démasculiniser la langue. En effet, il s’agit de renouer avec le français et sa logique, puisque ce sont les grammairiens qui ont désigné le genre masculin comme le plus « noble » et qui ont masculinisé les noms de métiers. Eliane Viennot écrit ainsi dans Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin que « le ‘’sexisme de la langue française’’ ne relève pas de la langue elle-même, mais des interventions effectuées sur elle depuis le XVIIe siècle par des intellectuels et des institutions qui s’opposaient à l’égalité des sexes ». Cette question du langage semble donc essentielle dans le combat féministe.
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