On m’a toujours dit que l’autodérision, c’était vachement bien. Que ça permettait de montrer qu’on se prend pas au sérieux — parce que ne pas se prendre au sérieux, à ce qu’on dit, c’est cool. C’est vrai que c’est une façon facile et pratique de faire de l’humour, et/ou d’atténuer une situation gênante !
Le truc, c’est qu’il y a une nuance que j’avais oublié de faire : ne pas se prendre au sérieux, c’est super, mais dans une certaine mesure. Je crois que, parfois, j’ai tendance à confondre « ne pas se prendre au sérieux » et « se dévaloriser »…. Et à voir à quel point, dans la vie courante, nous sommes nombreux et nombreuses à montrer des signes extérieures de manque de confiance en soi, je ne pense pas être la seule à tout mélanger.
Je crois que, parfois, j’ai tendance à confondre « ne pas se prendre au sérieux » et « se dévaloriser ».
Tout est une question d’intention, de « pourquoi faire la blague ». Dans mon cas, la plupart du temps, je fais une blague qui me dégrade aux yeux de mes interlocuteurs parce que je ne sais pas quoi dire et que ça me met davantage mal à l’aise de ne rien dire que de dire n’importe quoi. Ce n’est pas des plus agréables. Alors que, quand je fais la blague dans le seul but de faire marrer tout le monde, les autres ET moi, tout se passe beaucoup mieux.
Exemple parmi tant d’autres : dans la vidéo de la plongée à l’UCPA, à un moment, Marion dit « j’ai un gabarit d’avant-centre au rugby », ce qui est drôle. Moi, au lieu de fermer ma mouille, ou de trouver un vrai bon mot, j’ai eu envie de renchérir et j’ai dit « moi j’ai un corps à manger trop de frites devant la télé », ce qui n’est gentil ni pour moi, ni pour mon corps. C’est dévalorisant pour moi-même, et c’est pas cool : je fais attention à tout, je pèse mes mots dans chacune de mes blagues pour ne blesser personne, et je voilà que je juge mon poids toute seule.
Je mange même pas beaucoup de frites devant la télé. Je mange même pas beaucoup de frites, en fait, maintenant que j’y pense. Cette blague est donc doublement problématique pour moi-même : elle donne l’impression que je me rabaisse, et en plus, c’est un mensonge. C’est du coup même pas de l’autodérision. Ici, je ne ris pas de moi, d’un truc qui me concerne. Je fais une blague pour combler un vide, et éventuellement pour anticiper quelques commentaires éventuels de personnes me trouvant peut-être trop grosse.
Ça fait beaucoup d’incertitudes : preuve que j’aurais pu me passer de faire cette vanne.
Le truc, c’est que je me suis souvent servie de l’autodérision comme d’un bouclier. À la pré-adolescence et à l’adolescence, c’était presque devenu indispensable pour moi : j’étais complexée, je trouvais que mes traits étaient ingrats, et j’avais de l’acné. Ce n’est rien de dramatique : c’est simplement l’adolescence. C’est comme ça pour plein de gens aux hormones rendues dingues par cette période de la vie ; on a beau, dans ces cas-là, savoir que ça passera, on essaie quand même de trouver des stratégies pour ne pas trop morfler. La mienne, donc, c’était l’autodérision.
À cet âge là, les moqueries font bien plus de dégâts que quand on a grandi un peu, et comme j’avais l’air tellement complexée, c’était bien plus drôle pour les gens qui aiment s’en prendre aux faibles de m’insulter moi. C’est plus rigolo de voir quelqu’un rougir quand on lui dit qu’il a un gros cul que de se prendre un coup bien mérité dans l’estime de soi grâce à une réplique bien sentie.
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Alors j’ai pris le réflexe d’anticiper en pratiquant l’autodérision : avant qu’on ne me fasse remarquer ce nouveau bouton en plein milieu de ma face, je le pointais du doigt en faisant un jeu de mots sur le pus. Quand je sentais qu’un bourrelet dépassait de mon jean taille basse, j’attirais l’attention dessus avant que quelqu’un d’autre ne le fasse. Je sais pas si je le faisais pour gâcher le plaisir des méchants en faisant une meilleure blague qu’eux, ou si c’était une façon de me préparer aux insultes mais eh, ça avait l’air de pas mal marcher.
Ce à quoi je pensais que je ressemblais quand je faisais une vanne sur moi avant les autres.
Mais si les boucliers anti-insultes en tous genres ne sont pas du luxe à l’adolescence, au bout d’un moment, ils deviennent aussi obsolètes que l’achat d’un minitel en 2015, tu vois. Une fois sorti•e de l’âge où on se vanne avec agressivité (je parle pas des blagues entre gens avec qui on passe le pacte de la vannerie faussement méchante, entendons-nous), on n’a plus à prendre les devants des plaisanteries méchantes parce qu’elles deviennent, heureusement, rares.
Du coup, maintenant, au lieu d’empêcher les gens de faire une blague insultante sur moi en la faisant à leur place, je mets tout le monde aussi mal à l’aise que si je retirais mon slip au milieu d’une conversation pour pisser sous l’abribus.
C’est gênant pour les autres, c’est dégradant pour soi, c’est partir d’un a priori négatif sur les personnes qui t’entourent… Mais j’y vois en plus des inconvénients supplémentaires :
- on met en scène nos faiblesses, parfois si bien qu’à voir les autres se marrer, on préfère continuer plutôt que faire l’effort de s’aimer un peu plus (alors qu’avec un peu d’entraînement, on peut carrément faire les deux)
- les gens de notre entourage peuvent, du coup, prendre l’habitude de nous vanner assez sévèrement sur des sujets qui nous complexent (et qui pourrait les blâmer, vu qu’on le fait tout le temps ?)… même quand on n’est vraiment pas d’humeur. Imagine un peu leur incompréhension si tu t’énerves ou te mets à pleurer un jour !
Je pense que, si tu es dans mon cas de figure, il y a un moyen tout bête de faire des progrès sur la différenciation entre l’autodérision et le rire malveillant sur soi : tu sais, depuis qu’on est petit•e•s, on entend régulièrement la phrase comme quoi il ne faut pas que tu fasses à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse à toi ? Bah garde cette phrase (c’est une bonne base pour la vie en société), mais je crois qu’il vaut mieux que tu en rajoutes une autre à ta base de données interne (aka ton cerveau) : ne te fais pas à toi-même ce que tu as appris à ne pas faire aux autres.
Ça ne veut pas dire que tu dois arrêter l’autodérision, loin de là ! Ça veut dire qu’il faut que tu apprennes à le différencier de l’humour qui fait qu’on s’auto-pique la gorge.
Ce à quoi je ressemblais quand je faisais une vanne sur moi avant les vanneurs (Oui : c’est Shia LaBeouf).
Tu ne te moques pas avec cruauté des autres ? Ne te moque pas avec cruauté de toi. La différence entre rire AVEC quelqu’un et rire DE lui est à mes yeux la même que rire avec toi et rire de toi.
En riant de soi, avec de la vraie méchanceté et pas assez de respect pour soi-même, je crois qu’on travaille un peu à oublier la valeur qu’on a.
Et ça, c’est drôlement dommage si tu veux mon avis.
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