Le 8 janvier 2016
Difficile de savoir ce qui m’a motivée à écrire cet article. Il est possible que le film Le Goût des Merveilles, sorti le 16 décembre 2015, et son incompréhension flagrante de l’autisme et des personnes autistes m’ait incitée à sortir du placard afin de vous inviter à comprendre une part inhérente de mon identité : mon autisme.
L’autisme : les premiers signes
Petite, j’étais une enfant un peu différente des autres. J’étais souvent dans mon coin, à jouer avec mes poupées, à m’inventer des histoires et à observer ce qui se passait autour de moi, qu’il s’agisse du chemin emprunté par des insectes, du vol d’un oiseau ou de la forme des nuages, haut dans le ciel. Il m’arrivait de prendre part aux parties de football organisées par les garçons dans la cour de récré, mais généralement, je restais plutôt à l’écart.
Plus jeune encore, ma mère m’a raconté qu’il m’arrivait de crier sans véritable raison apparente, toujours les mêmes syllabes, en boucle : « TA TA TA ». Encore et encore. Quand je n’étais pas simplement plongée dans le silence. À cette époque, on a attribué mon comportement au divorce douloureux de mes parents, mais je me demande aujourd’hui s’il ne s’agissait pas tout simplement des signes avant-coureurs de mon autisme…
Arrivée au CP, j’ai appris à lire en l’espace d’un mois. Les albums de contes et autres ouvrages disponibles dans la classe me fascinaient et j’étais terriblement frustrée à l’idée de ne pas pouvoir les comprendre. En quelques temps, j’avais acquis un niveau de lecture semblable à celui d’une collégienne. Tout ce qui relevait du domaine purement intellectuel paraissait alors à ma portée. J’apprenais avec aisance et rapidité.
Le problème, c’était tout ce qui concernait les tâches un tant soit peu manuelles. Écrire, découper, tracer avec un compas… Mes mains refusaient de m’obéir correctement. Je savais ce que je devais faire, je savais comment je voulais le faire, mais impossible d’exécuter les gestes correctement. Aujourd’hui encore, je suis loin d’être une manuelle débrouillarde.
Pour vous donner un exemple plus concret, j’ai dû attendre mes huit ou neuf ans, voire dix ans, avant de parvenir à faire mes lacets sans trop de difficultés. De même, j’ai été incapable de tracer une rosace avec un compas avant d’arriver en troisième. Difficile de déterminer si j’étais « intelligente » ou « stupide » avec de telles disparités entre mes capacités…
La lecture m’a énormément aidée dans l’apprentissage des rapports sociaux et des codes du langage. Comme d’autres autistes, je n’ai pas une incompréhension totale du langage littéral et ce n’est pas toujours évident de saisir le sens d’une expression telle que « avoir un chat dans la gorge » ou « avoir le coeur sur la main ».
Petite, on m’avait demandé de « sourire à pleines dents ». Des années durant, mes sourires furent donc semblables à une consultation dentaire : lèvres retroussées, dents collées les unes contre les autres et bouche grande ouverte. Il m’a fallu un certain temps pour saisir ce que cette expression signifiait réellement et corriger mon attitude.
L’autisme et le harcèlement scolaire, une dure adolescence
J’ai toujours eu des difficultés à établir des liens avec les autres et, plus encore, à les maintenir. J’étais généralement la tête de turc de la classe, voire de l’établissement scolaire, et j’ai été victime de nombreuses brimades, aussi bien de la part de mes camarades que de mes professeurs. On me disait de faire « semblant de rien », de « changer mon comportement », d’être plus « avenante »…
Je me suis toujours sentie coupable des brimades que j’ai subies. Personne n’a été là pour me persuader du contraire. Si le diagnostic avait été posé à cette époque, je pense que j’aurais reçu plus d’aide et de soutien. Mais ce n’était pas le cas.
Probablement parce que j’étais une fille et qu’il est encore peu répandu dans l’esprit des gens que l’autisme ne se résume pas à Rain Man ou à Code Mercury, deux films mettant en scène un homme ou un petit garçon présentant des troubles autistiques (je n’aborderai pas l’aspect réaliste ou non de ces œuvres, je risque d’y consacrer trop de temps et nous ne sommes pas là pour ça, après tout).
« L’autisme fait partie des troubles envahissants du développement (TED), un groupe hétérogène de pathologies, caractérisées par des altérations qualitatives des interactions sociales, des problèmes de communication (langage et communication non verbale), ainsi que par des troubles du comportement correspondant à un répertoire d’intérêts et d’activités restreint, stéréotypé et répétitif. Le handicap associé est variable, allant de léger à sévère. Il est presque toujours associé à des difficultés d’apprentissage.
L’autisme apparaît dans la petite enfance, avant l’âge de trois ans, puis persiste tout au long de la vie. […]
On estime qu’environ 100 000 jeunes de moins de 20 ans sont atteints d’un TED en France. L’autisme infantile concernerait environ 30 000 d’entre eux. »
Être autiste au quotidien : un combat contre le regard des autres
Beaucoup d’entre vous se demandent probablement ce que cela fait d’être autiste. Je vous retourne la question : qu’est-ce que cela fait de ne pas être autiste ? Jusqu’à il y a peu de temps, j’étais persuadée que mon ressenti des choses, ma perception du monde et ma façon d’être étaient tout à fait typiques ! Que tout le monde expérimentait les mêmes sentiments que moi, les mêmes difficultés, les mêmes douleurs mais aussi les mêmes joies. Ce n’est pas le cas.
M’organiser est une épreuve titanesque. Mon esprit saute d’une pensée à l’autre à une vitesse fulgurante, au gré de mes intérêts et des événements extérieurs. Je peux entreprendre de ranger ma chambre, mais il est fort possible que, au bout de quelques minutes, je me retrouve focalisée sur un livre ou une idée d’histoire, et j’oublie totalement que j’étais supposée faire du rangement.
De même, j’ai certaines difficultés avec les instructions orales et il n’est pas rare que j’efface à la seconde suivante une demande que l’on m’a faite. Oh, j’ai bien quelques astuces pour pallier cela : installer une alarme dans mon téléphone, noter sur un post-it, ce genre de choses… Mais il faut que je pense à prendre mon téléphone, que je me rappelle de regarder le post-it, que j’écrive très clairement la consigne afin de me rappeler dans les détails de ce que je suis supposée faire à un instant précis et, surtout, que je ne me dise pas, une fois l’alarme sonnée : « Oh, je peux bien faire ceci ou cela d’abord ! » — sinon, je suis assurée d’oublier la tâche que j’étais supposée effectuer.
Paradoxalement, j’ai une routine plutôt ancrée. Je passe un certain temps sur mon ordinateur, je mange souvent les mêmes choses, je regarde les mêmes films, je lis les mêmes livres. À mon réveil, je prends mon petit-déjeuner, je geeke, je file au travail, je mange et geeke à la pause déjeuner, je retourne au travail, je rentre à la maison, je geeke (ou je m’efforce de socialiser avec mes parents), je regarde le film du soir et je vais geeker encore un peu avant de me coucher. Mes journées se distinguent assez peu les unes des autres.
Je peux gérer un changement, tant que j’ai été prévenue à l’avance. Je peux tolérer un imprévu, bien que cela me procure un sentiment de malaise et d’inconfort et qu’il est fort probable que je sois peu réceptive à ce qui se passe autour de moi. Mais plusieurs imprévus, les uns à la suite des autres, me feront vraisemblablement craquer.
Mes crises de nerfs sont violentes, mais elles se manifestent dans la solitude. J’ai appris à les dissimuler parce que j’ai très vite compris, plus jeune, que personne ne saurait ou ne pourrait me supporter dans ces moments. Face à mes pleurs, face à mes cris, les gens me disent de « me calmer », d’arrêter de « faire mon bébé », de ne pas être « aussi sensible ». Pour moi, cela a toujours été le comble de l’absurde. Cela reviendrait à demander à un boiteux de courir ou à un aveugle de regarder droit devant lui…
« Les personnes atteintes d’autisme semblent difficilement accessibles aux autres. Elles n’établissent pas les contacts nécessaires à la construction d’une relation interpersonnelle, en particulier les contacts visuels. Elles paraissent même les éviter. Le plus souvent, elles ne répondent pas lorsqu’on les appelle. Elles sourient très rarement et semblent ne pas comprendre les sentiments et les émotions des autres.
Les troubles de la communication associés à l’autisme touchent à la fois le langage et la communication non verbale. La majorité des autistes ne parlent pas. Ceux qui acquièrent un langage parlé parlent de manière étrange. Ils inversent les pronoms (“tu” à la place de “je”), répètent tout le temps la même phrase, modulent bizarrement leur voix, ont un débit et un rythme particulier… Ils sont généralement incapables d’utiliser des termes abstraits. Ils ont par ailleurs beaucoup de mal à comprendre une conversation et à entrer dans un dialogue.
Par ailleurs, ils ne comprennent et n’utilisent pas les éléments de communication non verbale, tels que les gestes, les expressions du visage ou le ton de la voix. »
Et comme Lerena l’évoque,
« Les personnes atteintes d’autisme ont souvent des comportements bizarres et répétitifs (balancements du corps, battements des mains, tournoiements…), auto-agressifs (se mordre les mains, se cogner la tête…) ou inappropriés (pleurer ou rire sans raison apparente…) . Elles s’attachent souvent à des objets qu’elles utilisent de manière détournée, par exemple en les alignant ou en les faisant tourner inlassablement. Elles semblent souvent indifférentes aux bruits extérieurs mais, de manière paradoxale, elles peuvent y être extrêmement sensibles. »
L’institut National de la santé et de la recherche médicale souligne que :
« La lumière, le contact physique ou certaines odeurs peuvent également déclencher chez elles des réactions de rejet très fortes. Enfin, les autistes ont souvent des peurs inhabituelles et une intolérance aux changements (de lieux, d’emplois du temps, de vêtements…). Une situation imprévisible qui les dérange peut provoquer une réaction d’angoisse ou de panique, de colère ou d’agressivité. »
Par ailleurs,
« L’autisme et les autres TED s’accompagnent souvent de troubles du sommeil, de troubles psychiatriques (dépression, anxiété, déficit d’attention-hyperactivité). L’épilepsie est aussi parfois associée aux TED. Un retard mental est observé dans environ un tiers des cas. »
Tant bien que mal, j’ai petit à petit su « enfermer » mes colères, mes craintes, mes larmes. Elles s’accumulaient dans ma tête, elles me tordaient les boyaux, mais personne ne les voyait et je me contentais de sourire, de jouer à être « normale ». Le problème, c’était que ce masque était trop efficace en quelque sorte. Quand je finissais par craquer, on me disait :
« Pourquoi tu ne peux pas être comme d’habitude ? On te préfère ainsi. »
Tout ce que j’entendais, moi, c’est que personne n’aimerait jamais l’être que j’étais réellement. J’étais vouée à jouer un rôle toute ma vie.
Ce rôle, je le jouais, tous les jours. J’allais aux fêtes, je faisais semblant de m’intéresser aux potins sur les stars, je délaissais mes passions pour des trucs plus « tendance ». J’essayais d’être quelqu’un d’autre. Mais même cette personne-là, certains parvenaient à déterminer qu’elle n’était pas tout à fait comme les autres, qu’elle méritait d’être moquée, mise à l’écart, ignorée…
Quand j’étais seule ou en compagnie de certains amis et amies, je me permettais d’être moi-même, de parler joyeusement de jeux vidéo, de chanter à tue-tête, de faire sans cesse des jeux de mots stupides, de ne pas réfléchir douloureusement à ce que je pouvais dire ou faire par crainte d’être rejeté en cas « d’erreur ».
Aujourd’hui, je suis fière de dire que j’ai laissé ce masque derrière moi.
Ma vie de personne autiste au travail
Je me suis auto-diagnostiquée à l’âge de 18 ans, soit il y a quatre ans, et il y a quelques temps j’ai demandé un rendez-vous avec un psy afin d’obtenir un diagnostic officiel, qui a plus de poids auprès des parents et des spécialistes à qui j’aimerais m’adresser. Il m’a confirmé que je présentais des troubles autistiques et m’a affirmé qu’il était prêt à me soutenir, notamment si je demandais des accommodations dans le cadre de mon travail.
J’ai récemment passé les concours de la fonction publique car les entretiens d’embauche tendent à être un obstacle pour moi, malgré mes efforts constants, et je suis bibliothécaire en CDD. Je pense être appréciée de mes collègues, bien que je ne prenne pas toujours part aux activités sociales ordinaires (la pause café, par exemple). Il y a de temps en temps des petits malentendus car j’ai besoin d’avoir des instructions très claires sur ce que je dois accomplir, étape par étape (sinon je vais le faire à ma manière et ça ne correspond que rarement à ce que l’on attendait de moi), mais j’ai généralement été louée pour ma rapidité de travail et mes idées fulgurantes.
J’ignore quels types d’accommodation peuvent concrètement s’appliquer, malheureusement (ce genre de choses existe généralement pour les enfants autistes, mais les adultes sont trop souvent oubliés ou placés en instituts psychiatriques), mais en soi, il suffirait d’éviter d’accumuler les imprévus, que les tâches à accomplir soient explicites et que l’ambiance sensorielle soit adoucie (des lumières moins éblouissantes, la possibilité de porter des bouchons d’oreille pour diminuer le bruit sans recevoir de remarques…) pour rendre le travail un peu plus facile pour les autistes.
Le CRAIF (Centre de Ressources Autisme Île-de-France) propose une section dédiée à l’autisme dans le cadre professionnel, comportant à la fois des conseils pour les personnes autistes, des ressources et des recommandations aux entreprises pour mieux accueillir et accompagner les membres de leurs équipes ayant besoin d’aménagements spécifiques.
L’autisme, différent selon les personnes qu’il concerne
Il ne faut pas oublier que je suis une autiste parmi les autistes.
On a tous et toutes notre manière de percevoir le monde, de nous débrouiller dans notre quotidien… Si vous vous adressiez à une autre personne autiste, peut-être que celle-ci n’aura pas de travail mais sera, en revanche, capable de participer à des fêtes très bruyantes ou d’assister à des feux d’artifice sans se boucher les oreilles et grimacer (ce qui n’est pas mon cas).
On a des points communs par-ci par-là, des champs sur lesquels on se retrouve, mais au final, si vous rencontrez une personne autiste, vous rencontrez une personne autiste. J’ajoute qu’il faudrait en rencontrer d’autres parce qu’on est plutôt cool !
Je ne veux pas « vaincre l’autisme »
Je n’ai pas encore parlé de mon diagnostic « officiel » à mes parents. Je cherche le bon moment pour aborder le sujet, et les bons mots, car ils n’ont pas une bonne image des psy et désapprouvent le fait d’en consulter un. En revanche, ils savent que je soupçonne être autiste depuis des années, et m’ont confirmé qu’ils avaient la même impression à mon sujet.
Pour le moment j’en ai parlé à une collègue, qui n’a pas réagi ouvertement mais s’est montrée plus explicite et très attentionnée. J’en ai aussi parlé à une amie, qui était très curieuse d’en apprendre plus sur le sujet et qui était contente que j’ai enfin une réponse claire à mes questions concernant mon décalage vis-à-vis des autres.
« Il est désormais bien établi que l’autisme et les autres TED sont des maladies dont l’origine est multifactorielle, avec une forte implication de facteurs génétiques.
Être un garçon et présenter des antécédents familiaux sont deux facteurs de risque reconnus. Les TED sont en effet quatre fois plus fréquents chez les garçons que chez les filles. Et dans une fratrie où il existe déjà un enfant atteint, on estime que le risque de développer un autisme pour un nouvel enfant serait de 4% si l’enfant déjà atteint est un garçon, de 7% si c’est une fille. »
En ce qui concerne le diagnostic, de nombreuses associations comme l’Association pour la Recherche sur l’Autisme et la Prévention des Inadaptations ont fait le constat qu’« en France il existe encore une réelle difficulté pour obtenir d’une part, un diagnostic fiable et précoce et d’autre part, un bilan médical spécialisé. »
Le Centre de Ressource Autisme d’Alsace précise cependant que :
« Des efforts importants sont faits actuellement pour améliorer le dépistage, afin de diagnostiquer et prendre en charge le plus rapidement possible l’enfant atteint d’autisme, car on a montré que plus on intervient tôt, plus on a de chances d’améliorer l’évolution.
Différentes méthodes sont actuellement préconisées : certaines sont plus à type de rééducation ou d’éducation spéciale, d’autres plutôt à type de psychothérapies. Récemment ont commencé à se développer dans notre pays, dans quelques institutions ou écoles, dans le cadre d’associations, ou à partir d’initiatives privées, des approches comportementales intensives (“méthode ABA”). »
Cependant, j’entends souvent dire qu’il faut « vaincre l’autisme », qu’il faut, par tous les moyens possibles et imaginables, sortir les autistes de leur bulle, de leur « monde intérieur ». Je ne cherche pas à « vaincre mon autisme ». Je veux vivre en harmonie avec lui !
C’est ce que j’ai appris à faire, une fois mon diagnostic posé.
Je m’en fiche désormais de paraître bizarre quand je bats des mains ou que je tourne sur moi-même parce que je suis excitée. Je n’ai plus honte d’être aussi passionnée par Harry Potter et de passer le plus clair de mon temps à lire et écrire des fanfictions, à élaborer des théories sur le monde magique ou à jouer les « petits profs » sur le sujet auprès de qui voulait bien m’écouter.
J’ai même demandé à ma mère un jouet anti-stress pour pouvoir occuper mes mains aux tendances volatiles et j’envisage d’acheter un collier à mâchouiller (il y en a de très jolis sur le site StimTastic).
Les idées reçues désastreuses sur l’autisme
La France a un énorme retard sur l’autisme. J’ai entendu des idées reçues terribles. Énormément de gens pensent encore que les autistes ne perçoivent pas le monde qui les entoure, sont incapables d’émotions, dénués et dénuées de toute empathie… On rapporte souvent les autistes à des faits violents, des tueries d’école, des meurtres de masse.
Il y a un mythe à balayer : les autistes perçoivent le monde qui les entoure. Nous entendons et comprenons ce que vous voulez nous dire. Nous sommes capables de communiquer, même ceux d’entre nous qui sont non-verbaux. Le problème, c’est qu’on ne nous laisse pas communiquer à notre manière.
Certains peuvent penser qu’un enfant autiste n’entend pas ou ne comprend pas que son père ou sa mère est en train de dire à quelqu’un d’autre qu’il est une charge, que cela serait moins difficile pour ses parents sans l’autisme de leur enfant. Ce n’est pas parce qu’il ne semble pas réagir qu’il n’absorbe pas ce qu’il se passe autour de lui.
Tout est à l’intérieur. Tout est entendu, retenu, médité. Et tous ces mots destructeurs ont un impact sur le développement de l’enfant et son estime de lui-même.
Beaucoup se disent qu’un enfant autiste ne peut pas communiquer. Qu’il rit sans raison, qu’il se contente de répéter bêtement des dialogues de films ou de dessins animés, qu’il joue les perroquets, quand il n’est pas tout simplement silencieux, « dans sa bulle ». Une autre erreur.
L’écholalie (« tendance spontanée à répéter systématiquement tout ou une partie des phrases, habituellement de l’interlocuteur, en guise de réponse verbale » d’après Wikipédia) est une forme de communication.
Souvent, il m’arrive de lancer des répliques de film, des phrases utilisées par des youtubeurs ou des dialogues de jeux vidéo. Cela a du sens pour moi dans le contexte : c’est une manière d’appuyer les propos de mon interlocuteur, de relancer la conversation ou, simplement, de partager quelque chose que j’aime, de chercher à voir si l’autre comprend la référence. Ce n’est pas toujours fait volontairement, mais ça n’est jamais une « bête répétition » !
Il m’arrive aussi régulièrement de rire ou de sourire sans raison apparente. Ma mémoire particulière attache en permanence les situations du quotidien à d’autres situations vécues ou visualisées sur écran, lues dans des livres, etc. Et certaines situations sont drôles à mes yeux ou me rappellent un très bon souvenir… je ris !
Par exemple, il peut m’arriver de rire quand quelqu’un mentionne Les Misérables parce que, tout ce que j’ai en tête à ce moment-là, c’est Russell Crowe qui entonne un « AND I’M JAVERT » à un Hugh Jackman échevelé !
Le réflexe d’expliquer pourquoi je ris ne me vient pas naturellement, mais même lorsqu’on me questionne à ce sujet et que j’offre une réponse, les gens tendent à trouver cette situation bizarre.
Pourquoi il est essentiel d’écouter la voix des personnes autistes
Beaucoup de gens veulent faire disparaître l’autisme. Certains parents disent qu’ils « aiment leur enfant, mais détestent son autisme ». L’image est forte, mais pour moi c’est comme un parent disant de son enfant gay : « j’aime mon fils, mais je déteste son homosexualité »… Ce n’est pas normal qu’un parent puisse détester une part entière de l’identité de son enfant, qu’il puisse vouloir faire de lui une toute autre personne, une personne conforme à la société.
Mon autisme, c’est aussi qui je suis, mon identité. Je ne suis pas une victime malade dénuée de sens et de personnalité : on ne peut pas m’enlever ainsi une part de moi.
Aux États-Unis, certains ont fait boire de la javel à des autistes pour les « guérir ». L’association la plus éminente sur l’autisme, Autism Speaks, était à l’origine dédiée à faire disparaître toute trace de « féminité » chez des garçons « aux tendances homosexuelles » ; elle s’adresse maintenant aux « parents d’enfants atteints d’autisme » et semble vouloir faire taire toute voix autiste et débarrasser le monde de l’autisme, comme s’il s’agissait du cancer ou du SIDA.
Pourtant, dans ce même pays, des voix autistes s’élèvent, des associations se forment, des autistes parlent. Amy Sequenza, une autiste non-verbale, se mobilise par exemple pour que soit reconnu le droit aux autistes d’être qui ils veulent être et non pas ce que la société veut qu’ils soient. L’association Autistic Self Advocacy Network se bat pour que le monde s’adapte aux autistes et que les autistes n’aient plus à s’adapter au monde.
Et en France ? Il n’y a à ma connaissance que des associations de parents, de « spécialistes » sur le sujet, qui prônent la nécessité de la recherche d’un traitement. Où sommes-nous ? Pourquoi tiennent-ils absolument à nous faire taire ? J’ai tenté de contacter certaines de ces associations, mais je n’ai pas obtenu la moindre réponse sur pourquoi elles ne donnaient pas la parole aux autistes.
Je suis ignorée. Nous sommes ignorés et ignorées.
Enfin, je comprends pourquoi j’écris cet article : pour éveiller des consciences. Pour me faire entendre. Je crois en vous pour voir au-delà de ce que la société essaie de vous faire percevoir. Pour nous inclure dans la lutte pour le féminisme. Pour nous soutenir dans notre propre combat, qui rejoint le vôtre.
Nous voulons une société égalitaire. Nous voulons être reconnues comme des personnes pensantes. Nous voulons pouvoir être nous-mêmes sans craindre d’être perçues comme « folles », « attardées » ou suffisamment « vulnérables » pour constituer des cibles privilégiées d’abus de toutes sortes, qu’ils soient moraux, physiques ou sexuels.
Cet article ne peut pas être exhaustif sur le sujet, néanmoins je suis tout à fait ouverte aux questions. Nous voulons être entendus et entendues. Nous méritons d’être entendus et entendues.
Nous sommes des personnes autistes, mais pas inférieures.
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