Article publié initialement le 10 mai 2012
Tout le monde connaît Haruki Murakami, le célèbre auteur de Kafka sur le rivage, Les amants du Spoutnik ou 1Q84. Mais le Japon nous offre un autre Murakami talentueux, sans aucun lien de parenté : Ryû Murakami, romancier, scénariste et réalisateur, qui dépeint depuis quarante ans les zones les plus sombres de la société japonaise.
Crédits photo : Hi Seoul
Une lucidité pessimiste, tranchante et onirique
Ryû Murakami a 24 ans lorsqu’il publie son premier roman, Bleu presque transparent, en 1976. Il y conte la vie d’adolescents tokyoïtes qui se prostituent auprès des militaires américains, se droguent avec des produits coupés et frelatés, écoutent les Rolling Stones et Jimi Hendrix et vivent au jour le jour. Mais là où on pourrait craindre du mépris, du nihilisme ou de la pitié, Ryû Murakami parvient à transmettre une certaine idée de pureté, à nous faire accepter et apprécier ces marginaux privés d’espoir, cette génération égarée entre les solides traditions des aînés et la toute nouvelle influence occidentale qui s’étend sur le Japon d’après-guerre. Les disputes, les orgies, les bad trips dûs aux mauvaises drogues sont traités avec distance et délicatesse, faisant naître un sentiment ambigu de malaise et de fascination, sans jamais tomber dans le voyeurisme.
Avec ce premier roman au succès retentissant (il a notamment valu à son auteur le prix Akutagawa, équivalent japonais du Goncourt), Ryû Murakami a posé les bases d’un style qu’il peaufinera tout au long de sa carrière : les portraits des aspects les plus sombres (et souvent méconnus de nous autres Occidentaux) de la société nippone
, auréolés d’une grâce et d’une beauté qui transforment ses personnages égarés en êtres vibrants et lumineux.
Tokyo Decadence, un film de Ryû Murakami
Ryû Murakami et les mille visages de la détresse
Tous les personnages imaginés par Ryû Murakami ont pour point commun leur détresse, le caractère marginal, souvent dangereux, de leur mode de vie et leur incapacité à s’intégrer dans une société japonaise dans laquelle ils ne trouvent pas leur place. Mais le décor, l’enrobage de ces caractères a des formes et des implications différentes.
Dans son second roman (lui aussi un succès), Les Bébés de la consigne automatique, l’auteur nous plonge dans la vie déchirée de deux frères « de coeur », des orphelins abandonnés, encore bébés, dans une consigne de gare, perdus dans une métropole hostile. S’ils ne peuvent compter que l’un sur l’autre au départ, leurs chemins finiront par s’éloigner, l’un devenant une rock-star célèbre, l’autre s’éprenant d’une drôle de jeune fille qui a pour compagnon un crocodile domestique. Mais les deux frères resteront liés par leur nihilisme, leur peur de l’inconnu et leur penchant prononcé pour la destruction de soi et des autres.
Dans sa trilogie Ecstasy, Melancholia et Thanatos, écrite entre 1993 et 2005, Ryû Murakami conte, par les voix des trois personnages (la soumise, la dominatrice et le dominateur), la lente déliquescence d’un trio sadomasochiste qui a fini par détruire ses membres, leur laissant d’éternelles séquelles. Comme souvent dans son oeuvre, l’auteur décrit subtilement la façon dont l’addiction à une ou plusieurs pratiques dangereuses se mue en souffrance, parfois fatale, et où la douleur du manque dépasse en intensité le plaisir d’y céder.
De l’obscurité naît la lumière
Contrairement à ce que prétend le chapeau de cet article, je dois admettre que cet auteur ne mettra pas vraiment du soleil dans vos cœurs, c’est pas trop les Bisounours. C’est sûr que pour certain(e)s, ces histoires très sombres et violentes seront désagréables, voire insoutenables. Mais je ne peux que vous conseiller d’essayer, au moins : jamais la détresse n’aura eu plus beau visage que sous la plume de Ryû Murakami.
Et toi, connais-tu Ryû Murakami ? As-tu déjà lu l’un de ses livres ?
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires
Je pense que ses bouquins sont pas mal écrits mais que ce côté trashouille non stop est fatigant et parfois injustifié... Comme pas mal d'entre vous j'ai adoré Les bébés de la consignes automatiques, très bien écrit et sortant un peu de cette énumération de scènes trash qu'on retrouve hélas dans d'autres... (je me souviens en particuliers de Lignes que je m'étais forcée à finir mais qui m'avait soulée), et Kyoko.