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"Crédit photo : Ekaterina Bolovtsova / Pexels"
Amours

Aurons-nous encore des amis à la fin de la pandémie ?

De toutes les choses qui ont été bouleversées par l’année 2020, nos relations amicales sont probablement celles qui ont changé le plus brutalement. Quatre lectrices nous racontent ce que la pandémie a fait à leurs amitiés.

En 2020, on a beaucoup entendu parler du couple : de celles et ceux qui avaient été séparés par le confinement, ou qui, à l’inverse, étaient enfermés ensemble et en souffraient. De celles et ceux qui, comme moi, accusaient le chat d’avoir mangé le dernier Kinder Pingui pour éviter les crises en ces temps incertains.

Mais la vie amoureuse seule ne peut représenter toute notre vie affective. Il y a un autre aspect de notre quotidien qui a été touché par tous ces changements : notre vie amicale.

Entre les distances qui se sont allongées d’un coup (qui aurait pensé qu’il y avait si peu de potes dans un rayon d’1km ?) et le temps raccourci par les couvre-feux, nos amitiés souffrent et doivent s’adapter. Quatre lecteurs et lectrices nous racontent comment ça se passe pour elles.

« C’est assez flippant de voir son cercle d’amis se réduire à vue d’œil »

Avant le premier confinement, Paul, 29 ans, avait l’impression que sa vie amicale était déjà en train de changer à l’approche de la trentaine.

Les grandes tablées en terrasse pendant l’happy hour étaient remplacées de plus en plus souvent par des moments privilégiés en plus petit comité, avec les personnes dont il se sentait proche. L’arrivée de la pandémie, avec la fermeture des bars et des restaurants, a accéléré ce mouvement au point de le déposséder de ses relations d’amitié.

« Le premier confinement a été tellement inattendu et brutal que je ne me suis pas posé de questions. De manière assez naturelle, les gens avec qui je passais le plus de temps en tête à tête sont devenus mes interlocuteurs d’ « apéros-zoom » privilégiés. Avec les autres, que j’avais pourtant l’habitude de voir plusieurs fois par semaine, on a arrêté les échanges, d’un coup.

Le confinement a accéléré ce qui était déjà en cours : le fait de faire le tri dans mon cercle amical. Ca n’a pas été une démarche volontaire, plutôt un tri soudain et subi qui me laisse dans l’incertitude. Les choses vont un peu trop vite, et c’est assez flippant de voir son cercle social se réduire à vue d’œil. » 

Pendant le confinement : un repli sur le couple au détriment des amitiés

Pour Paul, ces changements sont aussi le résultat de sa manière de créer du lien avec les autres. Pendant le premier confinement, la nouveauté et le choc de l’événement l’ont poussé à voir du monde de manière très intense, et à enchaîner les apéros en ligne tous les soirs. Ce n’a pas duré : une fois le choc passé, il n’est plus resté que la fatigue.

« Je ne sais pas faire vivre et entretenir des relations sans interactions physiques. J’ai besoin de proximité géographique, de contact. J’ai du mal à prendre des nouvelles en envoyant des messages ou en appelant.

Ce lien créé virtuellement dans le premier confinement qui remplaçait la proximité réelle, ce n’est plus un effort que je peux faire, j’ai juste envie d’attendre que toute cette situation passe, de dormir jusqu’à ce qu’on en sorte. »

Cette frustration l’ayant mené à réduire drastiquement ses contacts amicaux, Paul s’est replié sur l’aspect le plus tangible de sa vie affective : sa vie de couple.

« Ma vie affective sous confinement a été presque exclusivement une vie de couple : des apéros en visio aux pauses pendant le télétravail, on a tout fait à deux, tout le temps. Dès que nous en sommes sortis, j’ai eu besoin de me reconstruire une vie affective qui m’appartenait, de me recréer une sphère de vie personnelle. »

Après la surcharge numérique, l’introspection

En réduisant brutalement et drastiquement nos interactions physiques avec les autres, la pandémie a aussi changé la manière dont certaines d’entre nous pouvaient se définir. C’est le cas de Mélina, pour qui la pandémie a été l’occasion d’une introspection approfondie.

« Aussi loin que je me souvienne, mon bonheur a toujours été rattaché à celui des autres. Si mes amis n’étaient pas heureux, je ne pouvais pas l’être non plus. Mais par extension, j’ai inconsciemment pris l’habitude de faire passer leurs besoins avant les miens : rendre service, me déplacer, sortir… Ne refuser aucune interaction sociale, en somme. 

Peu importe l’heure et le moment, quoiqu’il advienne, si quelqu’un me demandait quelque chose, il fallait que je réponde présente. Nos amis anglophones appellent ça être un « people pleaser », celui ou celle qui doit faire plaisir aux gens et qui se sent mal le cas contraire.

Mais comment avoir un rapport sain à soi si on est sans cesse dans la recherche – quand bien même inconsciente- de la validation des autres ? »

En matière d’amitiés, privilégier la qualité à la quantité

Avec la pandémie, la jeune femme a complètement revu ce mode de fonctionnement.

« Au début du premier confinement, il y a eu cette frénésie de la nouveauté : on ne savait pas vraiment où on mettait les pieds, on savait juste qu’on avait interdiction de voir quiconque.

Je n’ai jamais autant pris et donné de nouvelles qu’à ce moment là : Sport en live, Houseparty, Zoom, tout y passait… Au bout d’un moment, je ne pouvais plus supporter les écrans : j’ai véritablement vécu une surcharge numérique.

Quand chacun est chez soi, les téléphones sont forcément tout près. Ne pas répondre rapidement, c’est prendre le risque de créer des tensions. Après tout, quelle excuse peut-on avoir ?

J’ai rapidement désactivé toutes mes notifications, même pendant la journée. En fait, 2020 a pour moi été l’année où j’ai réalisé que pour être heureuse, il fallait que je mette ma personne au premier plan, aussi difficile que ça puisse être, que je fasse preuve de tolérance envers moi-même, lâche du lest et m’autorise à être ce que je suis.

À chaque moment de doute, où j’étais tiraillée entre le fait de faire plaisir à quelqu’un ou à moi-même, je dressais un tableau pour / contre. »

En se faisant passer au premier plan, Mélina a  vu son cercle amical se transformer, pour privilégier la qualité à la quantité.

« J’ai volontairement coupé les ponts avec certaines personnes, pour ne m’entourer que de celles qui « méritent » mon amour inconditionnel. Cela m’aurait semblé impensable il y a quelques mois : j’avais peur d’abandonner, de décevoir… J’ai moins vu mes amis mais partagé des moments plus intenses. 

Je n’ai jamais été aussi bien dans mes baskets et ca se ressent dans mes relations avec les autres. J’ose davantage, car je n’ai plus peur. D’une certaine manière, je suis reconnaissante à l’année 2020 de m’avoir imposé ce temps libre pour réfléchir, faire le tri, et me sentir de mieux en mieux dans ma peau ! »

Selon le psychologue Bernard Bey, la surcharge après des interactions en ligne intenses comme celles que racontent Paul et Mélina n’a rien d’étonnant. D’après lui, les écrans, même s’ils permettent de se voir, ne proposent qu’une version aseptisée du réel. Voir et entendre quelqu’un à travers un ordinateur ou un smartphone ne permet pas à l’humain de se sentir en présence de l’autre. Au contraire, pour la psyché qui digère l’information, cela met plutôt en avant les stimuli sensoriels manquants et renforce la frustration, ce qui peut provoquer une sensation d’isolement exacerbée.

Pour les professionnelles de la santé, le bilan peut-être très difficile

La pandémie n’a pas seulement atteint la vie sociale de Lola, 26 ans. Elle a aussi transformé son travail : en tant qu’infirmière, elle était en première ligne de la lutte contre l’épidémie. L’épuisement professionnel généré a été très difficile à vivre pour elle, et l’a poussée à se renfermer sur elle-même.

« En septembre, j’ai commencé une année de formation spécialisée. Mais dès le confinement de fin octobre, nous avons dû la mettre en pause pour aller aider nos collègues infirmières.

N’étant pas sur un poste fixe, les conditions de travail étaient très contraignantes, en plus du stress généré par la situation globale. On m’appelait parfois du jour au lendemain, plusieurs nuits de suite…

Ce rythme m’a fatiguée et déprimée. Je me suis renfermée sur moi-même, n’envoyant de message à personne. Pour pouvoir récupérer un peu de ces horaires de nuit, je passais mes journées à dormir ou à chercher des distractions en regardant des séries ou en jouant à des jeux vidéo. 

Je me suis coupée vraiment de tout le monde, famille compris. 

Moi qui suis d’un naturel sociable et qui adore recevoir, j’ai soudain eu l’impression d’être seule, même entourée. Je parlais moins à mes proches j’avais l’impression de ne plus être une bonne amie. J’ai lâché des amitiés qui me semblaient essentielles pour moi, et me suis mise à broyer du noir. »

Des amitiés malmenées par la fatigue psychologique créée par la pandémie

Il va falloir encore du temps à la vingtenaire pour récupérer après cette période compliquée.

« Pendant les fêtes de fin d’année j’ai pu retrouver ma famille, ce qui m’a fait du bien. Maintenant que j’ai repris les cours, tout va un petit peu mieux. J’ai pu voir trois amies proches, et je sens la situation s’améliorer progressivement.

Mais je me sens toujours « en dissociation » avec ma vie. Je n’ai pas pris le temps de me poser, de reprendre des nouvelles des personnes à qui je n’ai pas parlé depuis quelques semaines, de faires des choses qui me donnent vraiment envie…

Je suis encore si fatiguée que je n’ai plus beaucoup d’énergie à mettre nulle part, c’est comme si même mes amitiés n’avaient pas encore récupéré de cette période. »

Selon Bernard Bey, en plus de la fatigue générée par la charge de travail hors norme que les soignants ont dû gérer pendant la pandémie, les circonstances épidémique ont eu un impact conséquent sur la manière dont nous percevons le monde.

 

Les interdits extérieurs auxquels nous avons été confrontées ont des conséquences immédiates sur la manière dont nous organisons nos rapports sociaux et affectifs. Face à la contrainte, nous sommes poussées dans nos retranchements psychologiques. Mais selon notre histoire et notre vécu, ces retranchements peuvent être plus ou moins confortables, et porter plus ou moins de traumatismes. 

 

« La solitude forcée par la situation a pu faire remonter des traumatismes qui parasitent les rapports aux autres, notamment dans nos manières de les comprendre et d’interpréter leurs intentions. Tout cela va générer une fatigue qu’on appelle neurasthénique : le cerveau n’est plus aussi réactif que d’habitude, parce qu‘il dépense énormément d’énergie à essayer de comprendre la situation dans laquelle il se trouve, tant seul que dans ses rapports aux autres. Cela peut générer une forme d’apathie. »

Pas besoin de couvre-feu quand on a un bébé qui ne fait pas encore ses nuits !

Pour Béatrice, 30 ans, la pandémie est presque bien tombée. Jeune maman, le confinement a permis à son conjoint d’être présent au quotidien grâce au télétravail, et leur a évité un lot de frustrations conséquent : puisque tout le monde était chez soi, il n’avaient rien à regretter de l’extérieur pendant les premiers mois de leur fille !

« J’ai eu la bonne idée d’accoucher d’un enfant à la fin de l’année 2019. Autant vous dire qu’à de nombreux égards, j’ai mis très longtemps avant de me rendre compte qu’une pandémie était passée par là. Pas besoin de couvre-feu quand on est couchés à 20h tous les soirs, avec un bébé qui ne fait pas encore ses nuits !

Il y a quelques mois encore, j’aurais eu tendance à dire que la situation sanitaire avait eu bien moins d’influence que l’arrivée d’un nourrisson sur ma vie sociale. Mais depuis peu, je commence à réaliser les impacts, positifs comme négatifs, que la situation a générés. 

D’un point de vue très pratique, le fait de ne pas pouvoir se retrouver nombreux m’a permis d’apprendre à passer du temps de meilleure qualité avec mes proches. Le fait de se voir peu, notamment, nous pousse aussi à aborder très vite les sujets qui nous semblent important, sans passer trop de temps en discussions de surface.

Cela m’a aussi permis d’identifier très rapidement qui me manquait, et à quel point. Jusqu’ici, je crois que j’avais du mal à prioriser mes relations avec mes proches. Dans de telles circonstances, savoir qui vous fait vous sentir mieux en rentrant chez vous le soir ou après avoir raccroché devient très clair ! 

Le problème, c’est que je reste toujours sur ma faim. Chaque visite, chaque coup de fil interrompu par un couvre-feu, une attestation dépassée ou une autre obligation (dur de faire rentrer tout le monde dans un week-end…) me laisse un sentiment de frustration difficile à gérer.

Il reste toujours quelque chose à raconter ou à entendre, qui tombera dans l’oubli d’ici la prochaine fois. Même dans la même ville, j’ai l’impression d’être en relation longue distance avec mes proches : chaque changement dans nos vies devient synonyme d’une contrainte qui s’accentue, et qui rend nos relations plus compliquées. Ca vaut le coup de faire des efforts… Mais qu’est ce que ça me fatigue ! »

Pour la psychologue Marie Lafond, il n’y a rien d’anormal à ressentir une forme d’épuisement dans nos relations amicales.

 

« On n’a pas l’habitude que les relations sociales soient un effort. Le fait que ça devienne compliqué nous offre moins de lâcher prise. Ces nouvelles contraintes se créent dans un espace qui était jusqu’ici très libre : pour les jeunes parents, par exemple, les amis sont une bouffée d’air frais. Avec ces restrictions, une journée entre amies qui s’annule devient une journée « pour soi » qui disparaît, et n’est pas remplacée. »

 

Pour aborder cette période et ses relations amicales avec sérénité, elle souligne l’importance de plusieurs pratiques :

 

« En premier lieu, il est important de se rappeler qu’on a le droit de prendre du temps pour être seul, et penser à soi. Ce ressenti, il peut être utile de l’exprimer à ses amis.

 

De la même façon qu’on a le droit de les appeler à l’aide quand on a besoin de les sentir présents, il est plus que jamais nécessaire de parler de ce qu’on ressent. Quand on voit ses amis souvent, beaucoup de choses se comprennent sans avoir besoin d’être dites. En ce moment, il est plus difficile de se comprendre, de trouver sa place. On peut donc dire clairement : « j’ai besoin de sentir qu’on s’inquiète pour moi », ou « j’ai besoin d’être seul », pour être sûre que nos comportements ne soient pas mal interprétés.

 

Par ailleurs, moins on se voit et plus on a besoin de partager des choses pour être satisfaits de nos moments ensemble : plus on communique, mieux on se sent ! »

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