L’annonce a été confirmée par les médias officiels de l’Etat : Aung San Suu Kyi, opposante emblématique au régime birman, vient d’être élue députée pour la première fois. Son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), a remporté une victoire écrasante, avec au moins 40 des 44 sièges qu’il briguait. Les résultats de cinq autres circonscriptions sont encore attendus.
Pourquoi la victoire de Aung San Suu Kyi est-elle historique ?
Pour la lauréate du Prix Nobel de la paix en 1991, cette victoire fait office de reconnaissance. Rappel : en 1990, quand Aung San Suu Kyi remporte les élections, la junte refuse de reconnaître les résultats et annule sa victoire. La secrétaire générale de la LND est alors placée en résidence surveillée. Bien qu’elle ait bénéficié d’un large soutien international, Aung San Suu Kyi, opposée à la dictature en place, reste longtemps muselée et dans l’incapacité d’exercer son activité politique. Le 13 novembre 2010, elle est enfin libérée.
Aux dernières législatives, Aung San Suu Kyi était encore en résidence surveillée. La LND avait alors refusé de participer à ce que beaucoup ont qualifié de « mascarade ». Les législatives d’hier sont donc une grande première pour la fille du héros de l’indépendance, le général Aung San : incarnant depuis 20 ans la résistance birmane, Aung San Suu Kyi, pour la première fois depuis qu’elle a commencé à militer, vient d’être reconnue par les pouvoirs en place.
Le discours de victoire
À travers la victoire de Aung San Suu Kyi, c’est « le peuple qui triomphe » : c’est en tout cas l’analyse que fait l’opposante birmane elle-même des résultats de l’élection. Au siège du parti, le discours a été bref et solennel, Aung San Suu Kyi tablant surtout ses déclarations sur « la gouvernance du peuple » :
« Nous espérons que cela va être le début d’une nouvelle ère, dans laquelle le rôle du peuple dans la politique au quotidien sera accentué », a-t-elle lancé aux quelques centaines de partisans qui l’attendaient avec des fleurs.
« Ce n’est pas tant notre triomphe que le triomphe de ceux qui ont décidé qu’ils devaient participer au processus politique de ce pays »
« Ce qui importe n’est pas le nombre de sièges remportés, bien que nous soyons bien sûr extrêmement satisfaits d’en avoir gagné autant, [mais] le fait que les gens montrent autant d’enthousiasme dans leur participation au processus démocratique »
Puis, celle qui s’est longtemps dite inspirée par la non-violence de Gandhi appelle au calme dans la joie, exigeant ainsi que « la victoire du peuple soit une victoire digne » : « Des propos, comportements et activités qui pourraient faire du tort aux autres organisations et personnes doivent être bannis ».
Défi pour l’avenir
Le Parti de la Solidarité et du Développement de l’Union (USDP), créé par l’ancienne junte, avait revendiqué près de 80% des sièges en 2010. Aujourd’hui, Suu Kyi aimerait pouvoir influencer les décisions de l’intérieur, en tout cas d’ici les législatives de 2015 qui pourraient voir l’opposition devenir majorité.
Pour Nyan Win, directeur de campagne de la LND, la « priorité numéro un » d’Aung San Suu Kyi en tant que députée sera d’oeuvrer à une modification de la Constitution, adoptée à la suite d’un référendum en 2008 jugé par l’opposition fortement truqué. En l’état, la Constitution permet au chef de l’État de transmettre ses pouvoirs au chef des forces armées dans des situations exceptionnelles (lesquelles semblent mal définies).
Rappelons néanmoins que tout n’est évidemment pas gagné. Selon les analystes, l’ancienne junte avait de toute façon tout intérêt à ce que Suu Kyi triomphe : en effet, une telle victoire fait office de preuve, auprès de la communauté internationale, que le processus de transition (entre la dictature militaire et le pouvoir civil) se passe bien. Quel sera le véritable pouvoir de décision de Aung San Suu Kyi ? Lui laissera t-on vraiment le champ libre ou cette victoire n’est-elle qu’une façon pour l’ex-junte de « montrer patte blanche » aux yeux du monde ?
Par ailleurs, les sièges remportés par la LND sont à relativiser. Lors de sa conférence de presse de vendredi, l’opposante reconnaissait elle-même : « Nous savons que ces 44 sièges ne pèsent pas lourd » avant d’ajouter que « l’autre objectif de ces élections était d’éveiller la conscience politique des gens ».
Ce qui est, à n’en pas douter, déjà un début de victoire, à en voir les effusions de joie qui agitent une Birmanie chantante depuis hier soir.
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