Le procès de six militant·es aura lieu ces jeudi 14 et vendredi 15 mars 2024 devant le tribunal judiciaire de Paris. Iels sont attaqué·es en justice par Christophe Girard, élu à la Ville de Paris et ex-adjoint à la culture d’Anne Hidalgo. En toile de fond, l’affaire Gabriel Matzneff, ex-écrivain star de Gallimard accusé de pédocriminalité par Vanessa Springora dans son livre Le consentement (éd. Grasset, 2020).
Suite à la sortie de ce livre, Gabriel Matzneff a fait l’objet d’une enquête pour « viols commis sur mineurs » et Christophe Girard a été entendu comme témoin. Des enquêtes du New York Times et de Mediapart ont montré la proximité entre les deux hommes et le soutien matériel que Christophe Girard a apporté à l’écrivain. Six féministes ont dénoncé ces liens lors d’une manifestation et dans des tweets, et ont demandé que les pouvoirs politiques parisiens prennent leurs responsabilités. Ces actions leur ont valu une plainte de Christophe Girard pour « diffamation » et « injure publique », déposée en 2020.
La même année, Christophe Girard a fait l’objet d’une enquête pour « viol par personne ayant autorité » sur un adolescent de 16 ans, classée sans suite en raison de la prescription des faits.
La Tribune de Coline Clavaud-Mégevand
« Aujourd’hui, je souhaite évoquer ce que j’ai ressenti le 28 juin 2020, quand j’ai reçu la plainte de Christophe Girard. J’ai eu le sentiment que le ciel s’abattait sur ma tête en lisant que j’étais accusée de diffamation pour avoir rappelé des faits écrits noirs sur blanc dans des enquêtes du New York Time et de Mediapart, et manifesté publiquement mon soutien à Alice Coffin, une élue et militante féministe reconnue.
Pendant plusieurs mois, le sentiment de solitude a été immense car j’ignorais que d’autres féministes étaient également visé·es. Il m’a aussi fallu trouver un avocat, l’argent pour le payer, envisager que peut-être, je serais condamnée pour avoir exercé ma liberté d’expression et mes convictions militantes. À l’époque, j’étais en arrêt maladie de longue durée suite à des mois de harcèlement au travail et en plein parcours PMA.
Entre le jour où j’ai reçu la plainte de Christophe Girard et aujourd’hui, presque quatre ans se sont écoulés, durant lesquels j’ai vécu la vie d’une d’une femme, d’une journaliste et d’une féministe.
C’est la troisième de mes amies à me confier le récit de viols subis enfant, un récit que j’ai écouté car c’est une tâche qui nous incombe, à nous, les femmes engagées : recueillir la parole de nos sœurs violées, parfois à l’âge adulte, parfois alors qu’elles n’étaient que des filles — Vanessa Springora avait 14 ans quand Gabriel Matzneff, 50 ans, l’attendait à la sortie de l’école pour la ramener à son hôtel, payé par la Maison Saint Laurent dont Christophe Girard était le secrétaire général.
J’ai aussi écrit des enquêtes sur les violences sexistes et sexuelles dans le monde de la culture. Plus de soixante femmes m’ont raconté des agressions allant du baiser forcé au viol brutal, en passant par des humiliations et des violences que jamais je ne pourrai oublier.
Et puis j’ai enfin eu un bébé, cette enfant qui était dans mon ventre quand j’ai reçu l’annonce de ma mise en examen, parce que j’ai dénoncé publiquement une injustice affreuse, une blessure infecte qui empoisonne notre société toute entière : le soutien moral et matériel accordés à des violeurs de petites filles.
La mienne a aujourd’hui 17 mois. Cette procédure m’a pris du temps, de l’argent, de l’énergie et de la sérénité. Autant de ressources que je n’ai pas pu consacrer à mon enfant et que personne ne me rendra. Les soirs où j’ai dû travailler sur ce procès et que je n’ai donc pas pu être avec ma fille, je lui ai expliqué que sa maman était une militante pour les droits des femmes et des enfants, et qu’aujourd’hui encore, cela à un coût.
Ma fille choisira ou pas d’être militante à son tour, mais il y a un choix qu’elle n’aura pas : elle est aujourd’hui une enfant, elle sera demain une femme, dans une société qui a trop longtemps accepté que des hommes nous agressent, nous violent et en fasse des livres édités chez Gallimard, et que d’autres hommes tentent de nous réduire au silence quand nous dénonçons haut et fort que non, nous ne voulons plus de ce monde. »
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Les Commentaires
Édit : j'ai pu lire le texte est il est vraiment percutant! Je ne sais pas s'il est possible juridiquement pour les personnes accusées manifestement à tort de diffamation d'obtenir non seulement d'être innocentées mais aussi un dédommagement pour compenser ?
En tout cas respect à vous femmes courageuses, attaquées pour vos convictions !