Le 28 mars, la sociologue féministe Soumaya Naamane Guessous a publié une lettre ouverte adressée au ministre de la Justice marocain sur le site d’information Le360. Elle y retrace l’histoire terrible de S., une petite fille vivant dans un douar près de Tiflet. « Son père a refusé de l’inscrire à l’école, à 6 km de la maison, derrière une forêt, de peur qu’elle se fasse violer » , explique la sociologue dans cette tribune, devenue virale.
Des viols à répétition
L’horreur débute en 2021. Seule chez elle, S. est assaillie et violée par trois hommes du voisinage. Pour l’obliger à garder le silence, ils la menacent de tuer sa famille. Ce viol est le premier d’une longue série. Trop jeune pour même imaginer qu’elle puisse être enceinte, c’est son ventre arrondi qui, à 8 mois de grossesse, alertera le village. Ses agresseurs sont alors interpelés. Âgée alors de 12 ans, S. se rend au tribunal de Rabat, son bébé dans les bras, et voit ses violeurs maigrement punis : le géniteur de l’enfant, identifié via des analyses ADN, n’écope que de 2 ans de prison et de 30 000 dirhams d’amende (environ 3 000 euros). Les deux autres hommes sont condamnés à 18 mois d’emprisonnement, dont 6 avec sursis, et à 20 000 dirhams d’amende.
Des peines dérisoires, loin de ce que prévoit pourtant la loi
« Les juges ont-ils considéré que ces viols répétitifs, en bande organisée, par 3 hommes majeurs sur une mineure de 11 ans, ont été consentis ? », s’indigne Soumaya Naamane Guessous dans sa tribune. Comme les 150 personnes réunies devant le tribunal ce mercredi 5 avril, la sociologue n’arrive pas à comprendre comment les juges ont pu opter pour un verdict aussi léger et attend du procès en appel que soient prononcées des condamnations plus lourdes. « Selon le Code pénal, si le viol a été commis sur une mineure de moins de 18 ans, la peine est la réclusion de 10 à 20 ans (art. 486). S’il y a eu défloration, la réclusion est de 20 à 30 ans (art. 488). On est bien loin des 2 ans prononcés par le tribunal. »
Laila Slassi, avocate en droit des affaires et militante du droit des femmes (cofondatrice du Mouvement Masaktach), interrogée par nos confrères de Libération, perçoit dans cette décision de justice le reflet d’une certaine méconnaissance systémique de ces sujets : « Il y a un manque de connaissance de ce qu’est une agression sexuelle dans la société marocaine en général, ce manque de connaissance se ressent au niveau des juges qui sous-estiment les conséquences de ces violences sur les femmes et en particulier les mineures. »
Vers une refonte du Code pénal concernant les violences sexuelles ?
Parmi les pancartes brandies devant le Tribunal, de nombreux manifestants appellent aussi à réformer le Code pénal sur le sujet des violences sexuelles, alors que le terme « agression sexuelle » ne figure pas dans la loi marocaine. Pourtant, comme le rappelle Libération, deux tiers des affaires de violences sexuelles commises dans le pays concernent des mineurs, selon une étude menée par le Mouvement Masaktach en 2020.
L’Institut national de solidarité avec les femmes en détresse (Insaf), qui a accompagné S. tout au long de la procédure judiciaire, appelle à créer un Code de l’enfant pour mieux protéger les mineurs et doter le pays d’outils juridiques adaptés. Les politiques restent néanmoins frileux à l’idée de lancer ce type de réformes, notamment en raison des puissantes résistances qui subsistent au sein du royaume. En 2000, plusieurs centaines de milliers de personnes étaient descendues dans les rues pour s’opposer à la modification du Code de la famille.
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