En 2018, l’éclatement de l’affaire Weinstein aux États-Unis a déclenché une libération de la parole internationale sur une série d’accusations d’agressions physiques et de violences sexuelles dans le milieu du 7e art.
Mais le Japon, discret sur le sujet, avait jusqu’ici conservé le silence. Cinq ans plus tard, après quelques turbulences, le cinéma japonais semble enfin dire #MeToo.
Plusieurs réalisateurs japonais accusés d’agressions sexuelles par leurs actrices
Tout commence en mars 2021 lorsque l’hebdomadaire Shukan Bunshun dévoile que l’acteur et réalisateur Hideo Sakaki auraient contraint quatre actrices à avoir des rapports sexuels avec lui.
Ce dernier assure que les relations étaient consenties alors que son épouse, la chanteuse Izumi Sakaki s’est excusée via un communiqué auprès des actrices agressées et a déclaré mettre fin à son mariage. Dans la foulée, la sortie de Confessions, le nouveau film où Hideo Sakaki s’amuse à évoquer le trauma d’une jeune femme abusée par son beau beau-père, a été annulée.
Et ce n’est que le début de l’effet boule de neige… Peu de temps après, un proche de Sakaki, l’acteur Houka Kinoshita a annoncé mettre sa carrière « en pause pour un temps indéfini » après que trois autres actrices l’ont accusé de viol.
Le 4 avril dernier, c’est au tour de Sion Sono, populaire créateur de films, connu pour ses films Love Exposure et Cold Fish (2010) d’être accusé par plusieurs actrices d’avoir exigé des rapports sexuelles en échange de rôles dans ses créations, comme l’a relayé le magazine Shukan Josei.
L’industrie du cinéma japonais n’échappe pas à son #MeToo
A la mi-avril, l’une des actrices japonaises les plus en vogue ces derniers temps dans l’archipel, Kiko Mizuhara, à l’affiche notamment de La Ballade de l’impossible (2011) ou encore des Aristocrats sorti en France le 30 mars dernier, s’est exprimée dans une tribune sur le site Shukan Bunshun :
« D’innombrables fois, j’ai été victime de harcèlement sexuel verbal de la part de réalisateurs masculins, et j’ai vécu des expériences désagréables sur un tournage. »
Enfin, le 4 mai, une enquête du Chunichi Shimbun, quotidien régional publié à Aichi dans le centre du pays, fait des révélations fracassantes sur l’industrie du cinéma japonais. Sans surprises, les cas de violences physiques sont omniprésents dans le secteur, comme le confirme un réalisateur nippon qui a préféré témoigner sous couvert d’anonymat :
« Un jour, un confrère célèbre m’a demandé mon avis sur un film. Je lui ai donc donné ma réponse. Enragé par celle-ci, il m’a cogné au visage, jugeant que je n’y comprenais rien ! »
Une omerta générale dans le milieu cinématographique nippon
Au Japon, la plupart des personnes travaille dans le cinéma en tant que freelance : une aubaine pour les réalisateurs qui se retrouvent en position de force. Et cela favoriserait des violences structurelles, observe Saori, responsable d’une association oeuvrant à protéger les femmes dans le secteur, auprès du quotidien Chunichi Shimbun :
« Le problème ne se limite pas aux réalisateurs. Il n’est pas rare que des régisseurs lumière ou des accessoiristes se rendent coupables de harcèlement moral ou d’agressions sexuelles contre des personnes qui leur sont subordonnées. »
Alors que l’omerta dans le milieu se fissure, six réalisateurs japonais, dont Hirokazu Koreeda, lauréat de la Palme d’or pour Une affaire de famille au Festival de Cannes, ont décidé, par le biais d’un communiqué, de plaider pour un changement radical de culture du milieu :
« Nous avons la responsabilité d’éradiquer les mauvaises mœurs sur lesquelles nous fermions les yeux et de faire en sorte que tous les acteurs et tout le personnel puissent travailler en toute sécurité. Nous allons réfléchir sur les actions nécessaires pour atteindre ce but ! »
Rendre obligatoire la présence de coordinateurs de scènes intimes
Pour l’actrice Kiko Mizuhara, le premier changement à instaurer, le plus urgent, serait de recourir systématiquement à des coordinateurs de scènes intimes. Ces derniers doivent veiller à la mise en place d’un environnement de travail sécurisé pour les acteurs lors de tournage de scènes d’amour ou encore de sexe.
Depuis le mouvement #MeToo, les coordinateurs d’intimé sont de plus en plus présents sur les tournages en Europe et en Amérique du Nord. Mais, ils demeurent encore rares au Japon, comme le rappelle Kiko Mizuhara dans sa tribune relayée par Shukan Bunshun.
« Il est temps que l’on comprenne la réalité de notre secteur et que l’on mène les changements nécessaires. »
Dans les colonnes du journal Mainichi Shimbun, Momoko Nishiyama et Tomoho Asada, premières coordinatrices d’intimité du pays, formées aux États-Unis, appellent à ce que leur présences sur les plateaux « devienne une banalité ».
A l’heure où l’industrie internationale du cinéma sort à peine la tête de l’eau après la pandémie de Covid-19, ces cas d’agressions et de violences sexuelles viennent bousculer le secteur du cinéma japonais. « Il est grand temps de crever l’abcès », revendique Atsushi Tsuboi, responsable d’une salle de cinéma, auprès du média Chunichi Shimbun.
La route vers le changement sera certainement longue et laborieuse… Rappelons qu’au classement de l’égalité des sexes établi par le Forum économique mondial en février 2022, le Japon figure 120e sur 153 pays.
Et loin du monde des paillettes, les victimes sont encore moins nombreuses à oser faire entendre leur voix. Dans un sondage publié en 2021 dans le quotidien économique Nikkei, 42,5% des femmes interrogées ont été victimes de harcèlement sexuel au travail, et près de 65% d’entre elles disent ne pas l’avoir signalé par craintes de représailles.
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Image en Une : Karen Zhao – Unsplash
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