« Vous n’êtes plus seul·es, on vous croit ». Dans la grande salle du Palais des femmes, à Paris, sept écrans arborent ce message de soutien. Sobre mais salvateur, pour la centaine d’auditeur·ices qui assistent, ce jeudi 21 septembre, à ce qui pourrait bien être la dernière réunion publique de la Commission Indépendante sur l’inceste.
« J’avais peur que nous ne rentrions pas tous, mais c’est bon ! » plaisante le co-président de la CIIVISE, Edouard Durand. La date de ce rendez-vous n’est pas anodine. Deux ans plus tôt, jour pour jour, la CIIVISE a ouvert son appel à témoignages. Depuis, ce sont près de 27 000 personnes qui sont venues se confier au sujet de l’inceste ou des violences sexuelles qu’elles ont subies enfant.
« La CIIVISE répond à un besoin vital. La société doit entendre cette parole qu’elle a fait semblant de ne pas entendre, et que vous avez pourtant la générosité de lui donner », poursuit le magistrat, qui dédie cette session à Serge Garde, assis parmi les premiers rangs, réalisateur d’Outreau, l’autre vérité. Un documentaire tristement confidentiel, qui a pourtant « marqué l’histoire de la lutte contre les violences sexuelles faites aux enfants ».
Pourquoi cette réunion publique serait-elle la dernière ? Car sauf avis contraire du gouvernement, la CIIVISE sera amenée à disparaître fin décembre, après un ultime rapport. Mais tout n’est pas joué : le 20 novembre, la commission, qui demande à être reconduite, doit être fixée sur son sort.
« Les parents protecteurs doivent bénéficier de la présomption d’innocence »
Ce soir, il n’est pas question de revenir sur le rapport publié le matin même par la CIIVISE. Au contraire, cette réunion publique, qui est la « 26 ou 27e » du genre, selon la co-présidente Nathalie Mathieu, veut continuer d’ouvrir un espace d’échange et d’écoute pour les victimes. Tour à tour, des personnes tous âges, parcours et horizons se succèdent au micro, racontent leur histoire, disent leur colère, partagent leur désespoir ou leur chemin vers la guérison.
La première à prendre la parole est une mère, qui, après avoir porté la parole de son enfant dénonçant des faits d’inceste, a vu la justice se retourner contre elle. Elle qui subissait déjà des violences conjugales aurait reçu comme seule réponse d’un juge : « Un homme violent peut être un bon père ». Elle raconte avoir ensuite perdu la garde de son fils. Son histoire, c’est aussi celle de nombreuses mères, présentes ce soir.
Sophie Abida est l’une d’entre elles. Sa fille Iris, 2 ans, lui a été arrachée à peine 48h plus tôt. Ses aînés étaient déjà placés chez leur géniteur, que tous trois accusent. Elle prend à son tour la parole : « Il n’y a pas de conflit parental, il n’y a que de la violence ! Le silence est déjà brisé, mais les enfants ne sont pas écoutés. Nous sommes broyés par les institutions. Si le mis en cause bénéficie de la présomption d’innocence, les parents protecteurs doivent en bénéficier aussi ! ».
« Arracher un enfant à sa figure de sécurité, c’est comme le nier » répond Edouard Durand, rappelant, avec ses confrères, que les mères en lutte doivent être mieux protégées. « Vous restez le point fixe qui empêche vos enfants de sombrer, ne l’oubliez pas. Car eux ne l’oublieront jamais ».
Un peu plus tard, c’est une jeune femme qui prend à son tour la parole et remercie ces mères protectrices : « Si ma mère m’avait protégée, les choses auraient été bien différentes. Dès que vos enfants pourront, ils reviendront. Vous pouvez en être sûres ».
« Ce n’était pas des jeux d’enfants »
Les enfants s’expriment, les adultes aussi. Pourquoi alors ne sont-ils pas écoutés ? Cette question revient en boucle, dans ce qu’elle a d’invraisemblable et de révoltant. Ce soir, beaucoup ont écrit des textes, qu’ils lisent devant une audience émue et attentive. D’autres racontent comment ils ont réussi à parler autrement que par les mots : « J’arrive mieux à dessiner le silence et la violence que de l’écrire » avoue Annie, 60 ans, qui se dit très en colère contre l’incompétence des médecins. « Je commence tout juste à réintégrer mon corps. J’étais complètement dissociée, et pourtant les psychiatres ne m’ont pas crue ».
Certain•es raconteront le rejet familial que leur parole a suscité : « L’interdit, c’est pas l’inceste, c’est le fait d’en parler », abonde Annie. Océane, 22 ans, ajoute :
« Quand j’ai parlé, on m’a dit ‘je te crois, mais tu as tort. Tu confonds avec des jeux d’enfants’. Mon cousin, de 5 ans mon aîné, m’a violée. Ce n’était pas des jeux d’enfants. Nous étions tous les deux mineurs, et c’est un angle mort de la loi de 2021. Mais ce n’était pas des jeux d’enfants, c’est de l’inceste.
Océane, 22 ans
Quelques instants plus tôt, une femme de 52 ans avait d’ailleurs interpelé les membres de la CIIVISE à ce propos : « J’ai été déçue de voir qu’il n’y avait rien sur l’inceste entre mineurs. Il faut en parler. C’est ce que j’ai vécu, et j’ai des spasmes dans le corps tous les jours depuis ». Pourquoi les violences sexuelles entre mineurs ne sont-elles pas prises au sérieux ?, s’interroge cette femme.
Océane renchérit :
Aujourd’hui, c’est la galère financière pour suivre une thérapie, c’est la galère dans mon corps, c’est la galère dans ma tête, c’est la galère juridique… J’ai porté plainte en 2018, j’avais été bien accueillie par la police, puis plus rien. La semaine dernière, j’ai eu un appel. Mon dossier va enfin être instruit. J’ai pleuré de soulagement. Mais en fait, je ne sais pas si je dois me réjouir. Cinq ans pour qu’on me rappelle, c’est trop long. Et puis la prescription, parlons-en. Qui a inventé un truc pareil ?! »
Océane, 22 ans
Tonnerre d’applaudissement. Son cri du cœur fait l’unanimité.
« Nous sommes un village »
Cela fait du bien de se sentir soutenu·e et écouté.e, répètent celles et ceux qui partagent leur histoire à l’assemblée. Car dans tous ces témoignages, la question de la solitude est celle qui revient le plus. Solitude du rejet, solitude du mal-être, solitude forcée ou choisie… « On isole, on fait peur, on assure l’impunité des agresseurs. Cette société ne doit pas détourner le regard du huis clos des salles d’audiences ! » assène une mère désenfantée.
Arthur, la petite trentaine, raconte à son tour les violences subies en camp scout quand il était jeune adolescent. Cela fait plusieurs fois qu’il assiste aux réunions publiques de la CIIVISE, mais n’a jusqu’à présent jamais eu la force de prendre la parole : « Je me sens si seul. Dès que je fume une cigarette à la fenêtre, je pense à sauter. Dès que j’attends un métro, je me demande, qu’est-ce qu’il se passerait si je tombais sous les rames ? ». Une jeune femme, bouleversée par son témoignage, prend le micro : « Je ne voulais pas témoigner ce soir. Mais t’entendre m’ébranle de toutes parts. Je veux te dire que tu es courageux, car il faut tout un village pour empêcher un suicide ».
Pour le juge Durand, c’est justement là, aussi, que réside la force de la CIIVISE. « La CIIVISE, c’est vous. Nous sommes un village. »
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