Vous souvenez du succès fracassant du film Les Choristes (2004), puis du groupe Vox Angeli (de 2008 à 2010, puisque les garçons du groupe ont mué et n’ont pu continuer…) ? Depuis, les enfants de choeur ne font plus vraiment recette dans l’Hexagone.
Pourtant, loin de se résumer à une activité parascolaire pour petites têtes blondes, les chorales peuvent aussi intéresser les adultes ! C’est le cas de Maré Mananga, une nouvelle chorale afroféministe francilienne, née à l’aube de la pandémie.
En préambule et à l’issue d’une table-ronde autour de l’artiste, cinéaste et autrice Amandine Gay au lieu culturel parisien qu’est La Flèche d’Or le 4 décembre 2021, j’ai pu écouter pour la première fois les membres de Maré Mananga. Ça m’a fait un bien fou de les voir — et surtout les entendre.
Alors j’ai voulu en savoir plus, et peut-être vous donner à vous aussi l’envie de rejoindre une chorale près de chez vous.
J’ai donc posé quelques questions à deux membres de la chorale Maré Mananga : Douce Dibondo, ancienne journaliste et co-fondatrice du podcast natif indépendant Extimité (dont je fais également partie), et Adama Anotho, photographe et directrice artistique.
Interview de membres de la chorale afro-féministe Maré Mananga
Madmoizelle : Quand et comment a été créée Maré Mananga ?
Douce : Maré Mananga a été créée en mars 2020 par deux femmes, Maliga et Nancy, anciennes membres d’une chorale féministe à majorité blanche. Maliga et Nancy ont ressenti le besoin de rassembler des voix noires pour faire communauté car leur expérience avec cette chorale devenait de plus en plus péjorative (choix des morceaux, pédagogie quant à la portée raciste et la signification de certains chants, etc).
Adama : Elles voulaient donc créer quelque chose qui leur ressemblait davantage politiquement. Elles ont travaillé avec une première cheffe de chœur, puis avec une deuxième, Sophye Soliveau. Celle-ci nous apprend différentes techniques vocales et des percussions pour qu’on puisse s’accompagner sans forcément avoir des instrumentistes avec nous sur scène.
Douce : Sophye Soliveau est génialissime. C’est une professionnelle de la musique qui a plusieurs flèche à son arc : chanteuse et multi-instrumentiste avec une prédilection pour la harpe. Nous formons aujourd’hui un collectif d’une quinzaine d’amateurs et d’amatrices qu’elle accompagne.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de rejoindre cette chorale ?
Douce : J’ai toujours aimé chanter parce que j’ai grandi au Congo, dans un pays où le chant et la danse sont imprégnés partout. Là-bas il n’était pas question d’avoir une expertise pour oser faire tuner sa voix, chanter c’était partager un bout de soi ! En France ça me manquait, alors quand j’ai su que le projet se concrétisait j’ai sauté sur l’occasion.
Ce qui m’a donné envie de rejoindre la chorale, c’est l’envie de se rassembler et de faire communauté en dehors des outils connus de résistance, que le temps de lutte nous impose : les manifestations, l’indignation réactionnaire. J’avais envie d’inscrire ma voix dans une approche artistique, afin de créer et rejoindre un espace-temps me permettant de souffler, déposer les armes et créer des choses bien plus grandes que moi.
Adama : J’ai adhéré cet été, après avoir assisté à une répétition ouverte qui m’avait fait beaucoup de bien et permis de rencontrer plusieurs membres afin de savoir si je m’entendrais bien avec. J’avais déjà fait du chant dans mon enfance, donc ça m’a apporté beaucoup de réconfort d’en refaire aujourd’hui.
J’aime beaucoup le positionnement du projet qui consiste à occuper l’espace, se rendre visible et audible, revendiquer notre afroféminisme. Et ce avec autre chose que des slogans. On porte une lutte autrement qu’en faisant des discours explicites. Le chant incarne différemment nos identités de femmes noires.
C’est aussi une façon d’apporter un peu d’art dans des lieux parfois privés d’accès à l’art. C’est également une manière de nous faire du bien de façon communautaire, de raconter nos luttes, nos histoires, nos amours, de célébrer nos identités, à travers le chant et la musique.
J’ai été agréablement surprise de voir que des gens qui n’avaient jamais fait de musique pouvaient rejoindre cette chorale. On n’a pas vocation à faire de l’argent. C’est vraiment un groupe, au fonctionnement horizontal. Chaque membre à sa place, son importance, et c’est précisément cette organisation horizontale qui permet à l’ensemble de fonctionner en bonne harmonie, que ce soit dans le chant mais aussi d’un point de vue organisationnel (communication, trésorerie, développement de projets).
À quelle fréquence répétez-vous ?
Douce : Pour l’instant nous répétons une fois par semaine, tous les lundis soirs. Et une fois par mois nous avons des ateliers ouverts pour les personnes qui veulent nous rejoindre mais qui souhaiteraient tâter le terrain, ou tout simplement pour celles curieuses de vivre un moment de chant en atelier.
Adama : Ces répétitions ouvertes se font à prix libre. Même pour adhérer à la chorale, nos cotisations sont à prix libre, car on ne veut pas que l’argent puisse être un frein. On était moins de dix quand j’ai rejoint la chorale en septembre 2021, et voilà qu’on frôle maintenant la vingtaine grâce à ces répétitions ouvertes. On a fait notre première représentation sur scène en novembre 2021, puis la deuxième en décembre, et d’autres viendront.
Comment se traduit l’engagement afro-féministe de la chorale Maré Mananga ?
Douce : Le but est de mettre en avant les voix noires déjà en constituant une chorale afroféministe donc (où nous accueillons toutes les personnes minorisées de genre — donc pas les mecs cisgenres hétéros, qu’on s’entende), puis à travers le choix de morceaux des diasporas noires, portées généralement par des femmes noires, mais pas obligatoirement.
Ces chants nous racontent et nous inscrivent autant dans nos traditions que dans des expériences plus contemporaines. On souhaite que nos voix se diffusent dans l’espace public, que nos chants d’amour, de révolte et de lutte imprègnent des lieux insolites, dans Paris et en banlieue. On veut toucher un public large et surtout celles et ceux à qui la Culture ne s’adresse pas toujours instinctivement.
Adama : Je pense que dans les diasporas noires, la musique accompagne particulièrement nos vies, nos révoltes, nos libérations. Cela se retrouve dans notre répertoire : on chante dans différents créoles comme l’haïtien, le réunionnais, etc. On a aussi des chansons plus connus du grand public tout en étant explicitement engagées, comme Talkin’ Bout a Revolution de Tracy Chapman, par exemple.
On choisit donc des chansons qui parlent de nos histoires, de faits sociaux, de la construction de ces diasporas noires, de la traite négrière et des vagues migratoires. La découverte des unes et des autres membres de la chorale représentent aussi un enrichissement personnel, créatif et artistique.
Ressentez-vous des bienfaits personnels depuis votre engagement dans cette chorale ?
Douce : Le chant permet à ma voix d’être plus claire, avec plus de résonance. Quand j’ai un événement où je dois prendre la parole, je chante avant. Je prépare tout mon corps à s’engager et à travailler le son. Je sais aussi qu’après chaque séance, je ressors en meilleure forme physique et mentale.
Le fait de sortir du son, c’est sortir quelque chose de soi et quand ce son est porté par une émotion, c’est mon corps qui devient plus léger. je sens aussi que je m’inscris dans le moment présent lors des répétitions.
À côté de ça, je joue du ukulélé et je chante aussi par dessus ce qui me permet d’améliorer mon souffle et ma respiration.
Et je parle en connaissance de cause : il y a un an, grâce à ma pratique du yoga et des exercices de respiration j’ai compris que j’avais eu le nerf vague bloqué depuis très longtemps — je ne ressentais plus mes émotions, je les vivais de manière très mentale. Du coup, je ressens beaucoup de choses, le stress aussi, mais de manière plutôt saine. C’est une forte adrénaline qui me donne un booster d’énergie ! La chorale ne fait que renforcer cet ancrage de mon corps à moi-même.
Adama : J’avais déjà fait du chant en chœur par le passé, mais je n’avais pas pratiqué depuis une bonne dizaine d’années. J’ai donc de vieux réflexes qui reviennent. La chorale, c’est vraiment un moment de respiration dans la folie de mes semaines. Même quand ma santé mentale vacille, la chorale m’offre une forme de libération.
Cela me permet aussi de découvrir de nouvelles personnes, aux parcours parfois très différents du mien. Après près de deux ans de pandémie et l’isolement qu’elle a provoqué, ça me fait beaucoup de bien. Des amitiés se développent, et des collaborations se mettent en place au-delà de la chorale aussi.
Cela me permet également de sortir de moi-même, de travailler ma confiance en moi, de réapprendre à chanter et faire de la musique pour d’autres personnes que moi-même. Cela fait émerger beaucoup d’émotions enfouies. Ça contribue aussi à guérir certaines blessures de mon enfance.
Je dois encore travailler ma peur de monter sur scène. Dans notre répertoire actuel, je fais partie des solistes sur une chanson, notamment, Solo de Lous and the Yakuza. Et c’est un sacré défi que de surmonter mon trac, moi qui aurais pu avoir tendance à me cacher dans le groupe. Pour la grande anxieuse que je suis, c’est un très bon exercice. J’ai hâte de solidifier ma pratique et renforcer ma confiance en moi.
Recommanderiez-vous à d’autres personnes de rejoindre une chorale près de chez elles ? Si oui, pourquoi ?
Douce : Oui, absolument ! Nous faisons tous et toutes partie d’un processus de création ; la chorale permet non seulement de créer quelque chose en groupe, de mettre en commun des synergies, ça permet aussi de se socialiser. Les représentations sont des moments intenses aussi qui permettent non seulement de voir ce qui fonctionne en groupe et surtout comment on fonctionne soi-même face au stress, au doute, à la peur, etc. Ce n’est que bénéfique à mon sens.
Adama : Même si on n’a jamais chanté, même si on chante faux sous la douche, ça peut être une expérience extrêmement positive. L’avantage d’une chorale, c’est aussi les progrès collectifs. Chez Maré Maranga, par exemple, on ne laisse personne sur le côté, il n’y a pas de jugement. Des personnes qui nous avaient rejointes sans envisager de participer aux représentations publiques ont finalement changé d’avis tant elles se sentent soutenues.
Que diriez-vous à une personne qui a envie de rejoindre une chorale mais hésite ?
Douce : Il faut juste oser. Chanter juste n’est pas le critère principal, au contraire il faut surtout savoir écouter, aiguiser son oreille et savoir observer sa cheffe de de cœur. De la synergie opère d’elle-même, on pousse sa zone de confort, on joue avec ses limites, on prend confiance et notre voix devient un véritable outil.
Retrouvez Maré Mananga sur Instagram (actus & infos pratiques)
À lire aussi : Hommage à bell hooks, figure inestimable de la pensée queer et afroféministe
Crédit photo de Une : Vanille.
Les Commentaires