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Société

« Attaquer les enfants trans, c’est attaquer les droits des personnes LGBTI+ » : pourquoi le projet de loi LR est loin de protéger les enfants

Les sénateurs LR examinent ce mardi 28 mai un projet de loi pour interdire toute « transition hormonale ou chirurgicale avant 18 ans », au nom de la protection de l’enfance. Un argument qui ne tient pas, selon les associations spécialisées comme OUTrans. Interview.

Mardi 19 mars, la sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio, qui s’était opposée au début du mois à l’inscription de l’IVG dans la constitution, s’est livrée au Figaro au sujet d’une proposition de loi. Celle-ci vise à interdire toute « transition hormonale ou chirurgicale avant 18 ans ». Le texte, débattu ce 28 mai au Sénat, s’appuie sur les conclusions d’un groupe de travail lancé en mai dernier par les sénateurs LR, sur le sujet de la « transidentification des mineurs ».

Reflet d’une obsession de la droite pour les questions d’identité de genre, les déclarations de la sénatrice révèlent aussi une méconnaissance criante du sujet sur fond de transphobie, appuient les associations spécialisées. Éclairage avec OUTrans, association féministe d’autosupport trans.

Trois questions à Anaïs Perrin-Prevelle, Directrice de l’association OUTrans.

Madmoizelle. Quel est le but de ce projet de loi ?

AP-P. Il s’agit en réalité de la transposition française des campagnes anti-transidentités (et anti-genre) que l’on voit dans les États trumpistes aux États-Unis, dans la Russie de Poutine ou par des mouvements conservateurs en Europe. À chaque fois, la science est détournée pour des raisons idéologiques. Et on le voit dans le rapport qui soutient la proposition de loi et donne une tribune aux opposants à la science. Les médecins qui prennent en charge des personnes trans considèrent unanimement que la transidentité n’est ni un problème, ni un trouble mental. Mais leur parole est ignorée.

Ce projet de loi vise aussi à contourner la loi interdisant les thérapies de conversion liées à l’identité de genre chez les jeunes trans. La sénatrice avait milité — et voté — contre cette interdiction. Elle se faisait alors le porte-voix des groupes qui s’opposent à la prise en charge des personnes trans mineures comme l’Observatoire de la Petite Sirène. 

Et, à travers l’attaque contre les enfants trans, ce sont les droits des personnes LGBTI+ qui sont attaqués (d’ailleurs des têtes de la Manif pour tous ont toute leur place dans ce mouvement), et les droits des femmes en contestant les études de genre (la sénatrice a voté contre l’IVG dans la Constitution).

À lire aussi : Ne vous laissez pas avoir par les débats transphobes de certaines « féministes » autour des thérapies de conversion

Les déclarations de la sénatrice traduisent-elles une méconnaissance absolue du sujet ?

AP-P. Il y a une approche théorique de la transidentité, finalement très idéologique. La sénatrice n’a jamais caché qu’elle était opposée à l’identité de genre. Dans les débats sur la loi interdisant les thérapies de conversion, elle a d’ailleurs proposé des amendements pour supprimer l’identité de genre du droit parce qu’elle ne sait pas ce que c’est. 

Elle surfe sur des peurs, donnant l’impression que tous les enfants trans sont automatiquement mis sous bloqueurs ou hormones dès qu’il y a une interrogation sur le genre. Elle entretient le flou sur les opérations. En réalité, aucune opération génitale n’est faite en France sur des personnes mineures trans. Le nombre d’enfants trans sous bloqueurs — comme d’ailleurs c’est noté dans le rapport — est extrêmement faible. Par exemple, à la Pitié Salpêtrière à Paris, qui rassemble des personnes qui viennent souvent en dehors de la région parisienne, seulement 239 enfants ont été suivis en 10 ans et seuls 11% ont eu des bloqueurs… sur 16 millions de personnes mineures en France !

Profondément, les autrices de ce rapport, c’est-à-dire l’Observatoire de la Petite Sirène qui a participé à toutes les auditions, tout comme la sénatrice, ont peur de la transidentité. Et avoir peur des personnes trans, c’est étymologiquement être transphobe.

Les partisans de ce projet de loi font valoir qu’il s’agit avant tout de « protéger les enfants ». Pourquoi cet argument ne tient-il pas ?

AP-P. Le rapport, dans son introduction, dans son état de lieux, et dans ses conclusions, de même que la proposition de loi, ne parlent pas une seule fois des taux de suicide chez les personnes trans, et en particulier les jeunes. Et pourtant ils sont extrêmement élevés. Toutes les études vont dans le même sens : entre 30 et 50 % des personnes trans ont déjà fait une tentative de suicide (un passage à l’acte), quand dans la population globale on est plutôt autour de 5 %.

Ce n’est pas être trans qui pousse au suicide. C’est une société qui considère encore trop souvent qu’être trans, ce n’est pas bien, c’est grave, c’est un délire… Les études – et notre expérience — remarquent que plus on fait attendre avant de prendre en compte l’identité de genre d’une personne, plus les risques sont élevés pour la santé mentale. Et au contraire, l’immense majorité des personnes faisant une transition considèrent mieux vivre après (on parle de 98 % par exemple chez les personnes ayant pris des hormones selon le US Trans Survey 2022).

La proposition de loi veut interdire de parler de transidentité dans les écoles, de reconnaître l’identité de genre des enfants, et va même jusqu’à vouloir « protéger les espaces de non-mixité », c’est-à-dire interdire les toilettes de leur genre aux personnes trans ! Il s’agit bien de rajouter des discriminations, pour le coup légales, à celles que nous subissons déjà.

Elle veut aussi interdire les transitions médicales chez les personnes mineures trans, sous prétexte de protéger les enfants, et éviter un éventuel regret. Là encore c’est un fantasme. D’abord parce que prendre des hormones est parfaitement réversible. Tout comme les opérations mammaires. Ensuite, parce que les détransitions agitées par les mouvements anti-transidentité ne sont pas démontrées. Au contraire. Chez les personnes sous hormones, on serait à moins de 1 %. Moins de 1 % de risque de regretter mais avec un retour en arrière possible contre 30 à 50 % de risque suicidaire. Dans ce dernier cas, il n’y a pas de retour en arrière possible.


Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.

Les Commentaires

4
Avatar de Manuella.
27 mars 2024 à 01h03
Manuella.
Pour infos :
https://www.vie-publique.fr/files/rapport/pdf/284386.pdf
Il y a environ 3000 personnes adultes prises en charge sous ALD.
C'est important de le redire, en France on n'opère pas les mineurs et d'ailleurs c'est déjà très difficile pour les adultes d'être opérés et pris en charge. On est obligé de se tourner vers le privé vu le nombre ridicule des opérations effectuées dans le public.
En tant que femme trans opérée je suis contre des interventions génitales sur des enfants ou de jeunes adultes pas encore matures sur leur sexualité, cela serait irresponsable vu les complications et les problèmes liés à ce type d'opérations, il faut un suivi de qualité, ce qui n'est pas toujours évident vu l'état déplorable du système de santé en France et le faible nombre de spécialistes.
J'ai fait le parcours en IDF et je n'ai eu aucun véritable suivi, sauf celui des phases post opératoires qui sont assurées par le chirurgien, en fait on choisit son chirurgien en fonction de la qualité de son suivi et malheureusement on va dans le privé depuis le covid, les bons chirurgiens sont partis du public ne pouvant plus opérer dans de bonnes conditions ou alors la liste d'attente est sur cinq six ans et aléatoire.
En plus quelle hypocrisie vis à vis des mineurs intersexes opérés ou mis d'office sous traitement hormonaux pendant des décennies sans que cela ne choque personne.
https://www.dalloz-actualite.fr/flash/loi-bioethique-encadre-situation-des-enfants-intersexes
https://www.amnesty.fr/chronique/intersexe-genre-operation-discrimination
Je connais des personnes intersexes à qui on a donné d'office un genre qui ne leur correspond pas et qui finalement se retrouvent avec les même problématiques que nous, l'enfer, quelle horreur cette volonté de conformer les corps à la norme à tout prix.
Pourquoi j'interviens souvent dans ce genre de sujet, c'est que la désinformation transphobe fonctionne très bien.
Récement en discutant avec une femme pas spécialement transphobe, eh bien elle m'a dit froidement que cela n'était pas normal que l'on opère les enfants en France, donc oui on est obligé de répéter sans cesse la triste réalité de notre prise en charge, que l'on n'opère pas les enfants trans en France, que l'on ne fait aucune pression sur les opérations génitales vu le caractère intime de celles-ci sauf pour les bloqueurs qui évitent justement certaines opérations et un stress post puberté très difficile à gérer.
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