L’existence est si cruelle et injustement méchante que j’ai souvent l’impression que les événements du jour ne cherchent qu’à me contrarier. Je suis d’un tempérament pessimiste, j’appartiens au crew des assoiffés qui n’ont rien bu depuis longtemps à force de voir leurs verres totalement vides.
C’est peut être pour cela que j’ai mis en place divers arrangements cognitifs qui me permettent de reprendre espoir face au quotidien revanchard et violent.
Les pensées magiques
Souvent j’utilise la parade des pensées magiques pour me permettre de prendre des décisions, j’accorde ma volonté avec l’imprévu des situations. « Si le feu passe au vert lorsque j’atteins le lampadaire je vais au cinéma ce soir« , me disais-je par exemple lorsque je n’arrivais pas à faire un choix (du plus futile au plus important).
Dans une rue au sol pavé, j’essaie de ne marcher que sur l’intérieur des carrés sans jamais en toucher les bords ; si j’y arrive sur une certaine distance, je me convainc alors que tout se passera bien pour moi dans la journée.
Les aphorismes rassurants
Il y a des phrases toutes simples qui nous réconfortent dans les moments difficiles, les moments où on sent la panique nous gagner et où la seule arme qui nous reste réside dans notre capacité à canaliser notre angoisse (ou à simuler une crise d’épilepsie afin d’éviter une situation désagréable).
J’ai déjà feint une crise d’asthme pour éviter un examen et je n’ai pas trouvé cette tactique réellement salutaire. Depuis ce jour, dans les moments pénibles, je me répète la phrase suivante : « L’instant présent est déjà dépassé » – au moment où je vis quelque chose de déplaisant et où je prends conscience de cet évènement, c’est qu’il est forcément déjà un peu plus proche de sa fin.
Cet aphorisme est celui qui me rassure le plus parmi tous, il me rappelle que rien n’est éternel et qu’il me suffit d’aller de l’avant pour ne pas stagner en Enfer.
Les manies positives
Comme la plupart des buveurs de café convaincus que leur journée se passera extrêmement mal s’ils n’ont pas le temps de boire leur dosette Senséo bien corsée au petit déjeuner, j’ai aussi des habitudes tenaces qui déterminent mon moral.
Par exemple j’aime prendre le métro avant 6h21 le matin, lorsque je pose ma carte Pastel sur la borne et qu’elle affiche un triste 6h24 je sais que je viens de rater ma rame habituelle et je me sens excessivement contrariée. Il en va de même si je n’ai plus de bananes à déguster au petit déjeuner. Ces menus désagréments peuvent transformer tout le reste de la journée en lutte perpétuelle contre l’adversité.
Avec la synchronicité je positive
Depuis quelque temps, j’ai pris l’habitude de chercher des signes dans les actions les plus banales et de donner très volontairement du sens à ce qui ne semble pas en posséder. J’ai aussi un sacré stock d’idées automatiques construites de toutes pièces pour me rassurer.
Car un jour, j’en ai eu assez de croire au charlatanisme intellectuel des autres et j’ai décidé de chercher mes propres explications (ir)rationnelles aux phénomènes extérieurs. J’ai longtemps été convaincue d’une seule chose dans l’existence, c’est que la vie est intrinsèquement absurde, dépourvue de raison, de sens et de calcul. Tout est simple, assez inepte quand on y pense, et le seul pouvoir que nous possédons réellement sur le cours des choses, c’est notre volonté et notre capacité à leur donner du relief, du fond et de la forme.
Carl Jung a d’ailleurs beaucoup travaillé sur ce sujet; à travers le concept de synchronicité il explique qu’à force d’observation, certains phénomènes que l’on attribue généralement au hasard peuvent faire sens et être davantage que des coïncidences. Il s’agit par exemple de ce moment étrange où l’on pense à quelqu’un, pour une raison ou pour une autre, et où au même moment cette personne nous envoie un e-mail : alors qu’en surface les deux événements n’ont aucune accointance, ils semblent pourtant liés. C’est cela, la synchronicité.
Alors désormais je sur-interprète les événements du jour comme s’ils étaient les conséquences d’un plan donné, ce genre d’idées et d’habitudes m’ont poussée à observer les détails de mon quotidien et à essayer de déceler leur signification. En refusant de considérer que la vie n’est faite que d’accidents isolés et sans rapport les uns avec les autres, j’ai réalisé combien toutes ces petites aventures courantes sont reliées entre elles et à quel point j’interfère avec ce qui m’entoure.
Pourtant je ne suis pas superstitieuse, je ne joue pas à la loterie les vendredi 13, j’ai caressé de beaux chats noirs et suis passée sous maintes échelles sans qu’il ne m’arrive plus de drames qu’à l’ordinaire.
Je ne suis pas une illuminée qui brandit des totems mystiques et qui évoque la théorie du complot tous les quatre matins, et je ne téléphone pas à Chantal, voyante et astrologue d’exception en lien direct avec le cosmos, pour occuper mes samedis soirs dépressifs. Je crois seulement que l’on peut expliquer et provoquer certains hasards ; je suis persuadée que la rencontre de quelques événements qui n’ont pourtant aucun rapport direct entre eux peut avoir du sens et découler d’une logique.
Un peu de la même façon que j’interprète mes rêves (enfin, lorsque j’arrive à m’endormir, puis lorsqu’il m’arrive de rêver et, encore plus rarement, lorsque je suis capable de m’en souvenir au réveil), j’interprète désormais les vicissitudes de mon quotidien.
Mais j’ai un peu laissé tomber les pensées magiques, et mon désespoir est moins profond lorsque je manque le premier métro, car en me disant que j’ai un pouvoir sur tout ce qui m’entoure je gère un peu mieux mes angoisses.
À ce train-là, un jour, dans cent ans, j’en finirai peut être avec l’intranquillité.
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