On a vu Asteroid City et il nous a déçu. Rien de très grave jusqu’ici… Le problème, c’est que le film a aussi fait naître en nous une inquiétude concernant la direction que prend la filmographie de Wes Anderson.
Et si, après 11 long-métrages, le réalisateur était devenu prisonnier de sa propre esthétique ? S’il s’éloignait désormais des personnages simples, drôles et touchants au profit d’œuvres sur-intellectualisées où des centaines de stars multiplient les cameos ? Et si Wes Anderson n’était plus un cinéaste accessible et populaire ?
Asteroid City rime avec ennui
Asteroid City se situe dans une ville américaine fictive en plein désert. En 1955, la bourgade organise une cérémonie de remise de prix aussi qui rassemble étudiants et parents de tout le pays pour des compétitions savantes…
Pour autant, cette réunion de petits génies dont les inventions sont toutes plus révolutionnaires les unes que les autres ne change rien : l’ennui règne à Asteroïd City.
Même l’arrivée soudaine d’un extra-terrestre ne suffira pas à briser la torpeur, la mélancolie qui règne dans la ville. Impossible de ne pas voir un écho entre ce territoire où la terre poussiéreuse, aride, s’étend à perte de vue sans qu’aucun horizon ne se distingue et la vie de ces personnages qui tournent en rond, le cœur sec. Malgré leur diversité, ces derniers semblent incapables d’éprouver quoi que ce soit, si ce n’est une impossibilité à s’amuser, à communiquer, à sortir du malaise qui règne et contamine tout le monde.
Asteroid City avait tout pour être un chef-d’œuvre
Asteroid City avait tout pour être un film magnifique.
Au-delà de ses acteurs géniaux et de son image somptueuse, Wes Anderson aurait pu signer une œuvre bouleversante sur l’ennui, sur le deuil, sur la difficulté de trouver du sens à l’existence dans notre univers infini, insondable, et facilement terrifiant.
Parmi les jeunes génies participant à la compétition scientifique, l’un ne cesse de se donner des défis à lui-même, comme lorsqu’il saute d’un toit ou tente d’escalader un cactus. Quand on lui demande pourquoi est-ce qu’il se donne ces défis aussi absurdes que dangereux, le jeune homme répond les larmes aux yeux et le souffle court que c’est un moyen pour lui d’être actif, de laisser une trace et de se démarquer dans cette existence à laquelle il est difficile de trouver du sens. Asteroid City a beau être le point de rassemblement des génies, des érudits, de ceux qui sont les plus susceptibles de comprendre les secrets de l’univers, l’angoisse ne les épargne pas.
Dans le film, on aperçoit régulièrement des champignons d’essais atomiques, tandis que le personnage de Jason Schwartzman a une cicatrice laissée par un obus derrière le crâne. En outre, pendant tout le film, ce dernier cherche comment annoncer à ses enfants que leur mère est morte. Véritables poupées de cire, les personnages se mouvent et s’expriment de manière incroyablement neutre et rigide. Ils incarnent une sorte d’état d’anesthésie généralisé. C’est comme si cette froideur était le seul moyen de vivre au milieu d’un monde complètement insondable, où règnent l’omniprésence de la violence et de la mort.
Wes Anderson : un cinéaste en manque de confiance ?
Ainsi, Wes Anderson avait trouvé dans ce territoire aussi désertique que décalé, aussi anxiogène qu’amusant un territoire de cinéma parfait pour évoquer cette crise existentielle collective. Malheureusement, tout porte à croire que le réalisateur n’a pas eu suffisamment confiance en son film. Au lieu de se concentrer sur cette matière dramatique et filmique riche, le réalisateur la noie au milieu d’une cacophonie d’éléments formels sur-intellectualisants, et franchement difficiles à suivre.
Ainsi, le film est construit en montage alterné entre les scènes dans la ville et des séquences en noir et blanc, où une pièce de théâtre est en train de s’écrire. On y aperçoit des acteurs majeurs comme Edward Norton, Bryan Cranston, Adrian Brody ou encore Willem Dafoe. Mais leurs personnages n’ont ni le temps ni l’espace pour exister, si bien que leurs scènes se limitent presque à de simples cameos. Le film est aussi découpé en actes. Or, il est difficile de se laisser immerger dans l’histoire de personnages quand des cartons viennent nous rappeler tous les quarts d’heure que tout ceci n’est un simulacre… Comme si l’on ne le savait pas déjà.
De fait : ce parallèle avec le théâtre et cette obsession pour les mises en abyme étaient-elles vraiment nécessaires ? L’esthétique de Wes Anderson, son goût pour le décalé, qui fait que l’on ne sait jamais vraiment si l’on se trouve devant des vrais acteurs ou des poupées filmées en stop-motion sur une maquette induisait déjà un sentiment d’artificialité devant le spectacle qui se joue sous nos yeux… Ce qui le rendait d’autant plus percutant, tragique et touchant.
Mais en diluant l’histoire d’Asteroid City dans cette structure narrative compliquée, le réalisateur semble verser dans le goût pour les métaphores très « cinéma d’auteur méta et incompréhensible ». On ne peut qu’en être désolé. Car, au-delà de son esthétique extraordinaire, la force de Wes Anderson réside surtout dans sa capacité à voir, imaginer et aimer des personnages de marginaux, qui aussi bizarres et décalés puissent-ils être, nous marquent toujours par leur manière bien à eux d’être drôles, sincères et touchants. Et ça, Wes Anderson n’a pas à en rougir. On l’adore comme il est.
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