Article initialement publié le 9 février 2015
– Article écrit à quatre mains avec l’aide précieuse de Sophie Labelle. Merci à elle !
Sophie est québécoise, institutrice, et auteure d’une bande dessinée dont elle publie les planches sur son site web Assignée garçon, qui raconte le quotidien de Stéphie, une fille transgenre.
Une femme transgenre
On dit « transgenre » ou « trans » pour désigner les personnes dont le genre ne correspond pas à celui qui leur a été assigné à la naissance. Dans le cas de Stéphie, l’héroïne de la BD Assignée garçon, elle a été assignée au genre masculin à la naissance.
Mais en grandissant, Stéphie s’est rendue compte que son identité ne correspondait pas à celle qui lui avait été assignée : on lui avait donné un prénom masculin et on parlait d’elle au masculin, alors qu’en réalité, c’est une fille.
Le terme « trans », et le verbe « transitionner » ne signifient pas que la personne était un homme et devient une femme. Stéphie a toujours été une fille ! Ce sont ses parents, le corps médical, l’environnement social qui ont considéré qu’elle n’en était pas une. Et je crois qu’on sera tou•te•s d’accord ici pour dire que ce n’est pas aux autres de définir notre identité !
« Les médias dépeignent fréquemment l’expérience trans comme étant nécessairement négative. On se dépêche de sortir les violons. Mais ce que cette bande dessinée veut exprimer, c’est qu’être trans peut également être synonyme de positif et de fierté. »
Une femme cisgenre
Le terme « cisgenre » désigne à l’inverse les personnes qui sont en accord avec le genre qu’on leur a assigné à la naissance, sans que celui-ci n’ait été imposé de manière coercitive (dans le cas des enfants intersexes, par exemple).
On m’a donné un prénom féminin parce que je suis née avec un vagin, et il se trouve qu’effectivement, je m’identifie au genre féminin. Je suis une femme cisgenre.
Le fait d’utiliser le terme « cisgenre », et de ne pas considérer que « femme tout court » est son synonyme permet de ne pas nier l’existence des femmes trans, de ne pas les reléguer à une sous-catégorie de femmes.
On parle de « cissexisme » lorsqu’on instaure une hiérarchie de légitimité entre les personnes cisgenres et les personnes transgenres. Or les femmes trans par exemple ne sont pas moins légitimes, moins « femmes » que les femmes cisgenres. Réduire l’identité « femme » à la possession d’organes génitaux féminin est cissexiste : c’est nier qu’on peut tout à fait être une femme sans être née avec un vagin.
Sophie explique que les filles trans par exemple ne sont pas « nées dans un corps de garçon ». Nous ne sommes pas défini•e•s par nos organes génitaux : ne définissons pas les personnes trans par leurs organes génitaux non plus !
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On dit « AMAB » pour « Assigned Male At Birth » (Désigné•e mâle à la naissance), ou AFAB pour « Assigned Female At Birth » : on ne dit pas « né•e fille ou garçon ».
« On ne naît pas femme, on le devient ». Cette citation de Simone de Beauvoir est souvent utilisée pour expliquer les influences sociales et le poids de l’éducation sur la construction identitaire des filles. Mais elle est également pertinente pour comprendre le principe de l’assignation de genre.
Car qu’est-ce que « naître femme », au fond ? Naître avec des organes sexuels féminins ? Mais nous ne sommes pas défini•e•s, en tant qu’individus, par nos organes sexuels ! Et tout le monde ne naît pas avec des organes sexuels considérés typiques par le corps médical. C’est loin d’être un cas de figure négligeable !
Intersexe et non-conforme dans le genre
On estime qu’environ 8000 bébés naissent chaque année en France avec des organes génitaux considérés comme ambigus par le corps médical.
« On a souvent l’impression que le sexe biologique est binaire, alors que c’est une illusion : on a affaire davantage à un spectre, qui se décline tant sur l’axe chromosomal qu’anatomique ou hormonal. Certaines personnes naissent donc avec des caractéristiques sexuelles primaires qui ne correspondent pas à l’idée sociale ou médicale de ce à quoi devrait ressembler des organes génitaux.
Et lorsqu’on parle d’assignation de genre, il est assez rare qu’on parle de chromosomes dits «sexuels», puisqu’on est loin de vérifier systématiquement ceux-ci chez les enfants naissants, intersexes ou non. On se fie donc largement sur la seule apparence des organes génitaux externes (un regard subjectif et arbitraire, donc) afin de procéder à l’assignation de genre. »
Ces personnes sont intersexes. Le rapporteur spécial de l’ONU sur la torture et les autres traitements et punitions cruels, inhumains et dégradants (A/HRC/22/53), ainsi que le Conseil de l’Europe (résolution 1952) viennent récemment de condamner les chirurgies et l’hormonothérapie non-consensuelles pratiquées sur les enfants intersexes dans le but de «normaliser» l’apparence de leurs organes génitaux.
Selon la chercheure engagée intersexe Janik Bastien Charlebois, il s’agit là d’une prise de position qui devrait faire cas de figure dans la législation protégeant les droits humains des personnes intersexes au respect de leur intégrité physique ainsi qu’à l’autodétermination.
Même si une personne a des organes sexuels ne présentant aucune ambiguïté aux yeux des médecins, elle n’est pas pour autant tenue de s’identifier à l’un ou l’autre genre. Le genre est un spectre de possibiltés, ce n’est pas un choix binaire. Aussi, certaines personnes se retrouvent mieux « quelque part au milieu » du spectre plutôt que vers l’une ou l’autre des identités homme ou femme.
C’est le cas par exemple de Sandrx, un personnage présenté dans la BD de Sophie comme un enfant non-binaire dans le genre.
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On associe le sexe à l’expression du patrimoine génétique d’un individu, mais en quoi cette information est-elle déterminante pour sa construction identitaire ? Et surtout, pourquoi une information qu’on ne peut obtenir que par une analyse ADN devrait primer sur la capacité d’auto-identification d’une personne ?
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Dit autrement, qui sommes-nous, la société, le corps médical, pour « assigner » un genre, un sexe (par mutilation génitale et chimique sur le nourrisson !), envers et contre le ressenti, la conviction intime de l’individu ?
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Je n’ai pas eu besoin d’attendre d’être adulte pour savoir que j’étais une fille. Aussi loin que je m’en souvienne, j’étais blessée que les adultes me prennent pour un garçon. Avec ma coupe courte et mon comportement totalement indiscipliné, la méprise était facile. Mais je rétorquais systématiquement « je suis une fille ! » dès que j’ai su parler.
De la même façon, les enfants trans peuvent prendre conscience très tôt que le genre qu’on leur a assigné à la naissance ne correspond pas à leur ressenti.
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De la difficulté de ne pas rentrer dans les cases
En lisant la BD de Sophie, j’ai pris conscience que des expressions et termes que j’utilisais en pensant « vulgariser » les réalités trans et intersexes étaient en fait un vocabulaire à proscrire, parce qu’il contribuait à décrire le fait d’être trans ou intersexe comme une exception, une anomalie, une « anormalité ».
J’ai désormais plus de clés en main pour devenir un•e allié•e des personnes trans et intersexes !
« Les réflexions que provoquent les enjeux trans ne sont pas que spécifiques : tout le monde est touché par l’assignation de genre, tout comme chaque enfant souffre de l’anxiété provoquée par le souci de se conformer aux stéréotypes de genre.
La plupart des enfants trans que je côtoie sont très binaires dans leur expression de genre, et n’ont aucun problème à s’adapter aux stéréotypes de genre — en sont parfois des défenseurs, même, puisque la relation stéréotype-réalité renforce la validation de leur identité aux yeux de la société (par exemple, plus une fille trans est intelligible en tant que fille aux yeux de la société, plus elle sera validée dans son identité) et de ce point de vue, l’existence de codes sociaux rigides peut même s’avérer confortable pour certains enfants trans.
Certains, pas tous, évidemment, et on s’entend pour dire que la facilité d’être validée ne devrait pas aller de paire avec l’anxiété de genre que vivent la majorité des enfants scolarisés, anxiété qui provient de l’injonction sociale à se conformer aux stéréotypes de genre. Attardons-nous donc davantage à valider l’identité de ces enfants plutôt que les enfermer dans des stéréotypes étouffants ! »
Sophie Labelle aborde également ces problématiques tout au long de sa bande dessinée : comment la perception des autres, et notamment des adultes, a changé après sa transition, comment elle a vécu/ressenti la perte des privilèges masculins… Elle parle également des problèmes concrets du quotidien, comme l’accès aux vestiaires ou aux toilettes, qui peuvent paraître triviaux mais posent de réels dangers aux personnes trans, et participent à leur stigmatisation.
« On situe souvent la source des problèmes que vivent les personnes trans à l’intérieur de celles-ci : elles sont « malades », « dysphoriques », « nées dans le mauvais corps »… Alors que pourtant, c’est le regard qu’on pose sur elles, avec tout ce qu’il contient de présomptions et d’attentes, qui blesse. »
Sophie aborde également les réactions des parents, le regard de la société, des médias, les amalgames entre identité sexuelle et identité de genre… Le tout à travers l’oeil d’une gamine, qui avant d’être trans, semble surtout beaucoup trop intelligente pour son âge !
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Les Commentaires
Bon courage à elle et j'espère que cela sera vite résolu