Vous venez de rêver que votre chien vous collait parce que votre prof de maths avait mangé votre devoir ? Et puis Tarzan était là aussi, mais il riait avec le président de Guatemala au fond de la salle de gym, mais vous ne savez pas trop ce que vous y foutiez, dans cette salle de gym ? Cela est tout à fait fou, lectorat, et vous vous devez de partager votre songe avec le reste de l’humanité.
Le problème est que le reste du l’humanité part du principe qu’écouter quelqu’un raconter son rêve, c’est aussi distrayant que de regarder un électrocardiogramme : monotone et décousu à la fois. Il va donc falloir vendre votre histoire, et apprendre à vous imposer. Heureusement, il existe plusieurs techniques pour raconter un rêve (nul).
Et ça commence toujours par « Eh didonc, cette nuit, j’ai fait un rêve »…
L’enthousiaste
Formule la plus couramment employée, elle propose le méga combo rêve nul + mal réveillé-e + enthousiasme mal calibré au préalable. Nous n’allons pas nous leurrer : c’est la technique vers laquelle la plupart d’entre nous tend à se diriger spontanément, pour la simple et bonne raison que nous ne sommes pas tout à fait nous-mêmes au réveil, et que la nullité du rêve que nous venons de faire ne nous apparaît pas tant que les brumes du sommeil ne se sont pas dissipées.
Étant spontanée, la technique de l’enthousiaste vise un public immédiat : les premières personnes que vous allez croiser (et avec qui vous avez un minimum d’affinité, sinon c’est bizarre) au saut du lit. Il s’agit donc de faire de votre rêve l’évènement du petit-déjeuner ou de la première pause café de la journée.
Ce n’est certes pas sans risque, mais assez facile à mettre en oeuvre, surtout si on part du principe que moins votre cerveau est réveillé au moment du récit, mieux c’est. Vous garderez ainsi intacte la pureté de votre mirifique songe.
Vous étiez le roi ou la reine d’un château sous-marin, sauf que c’était pas sous l’eau mais vos sujets étaient des poissons quand même, et vous étiez un sushi ? N’essayez même pas de vous demander pourquoi la reine de Saba, qui était en fait votre grand-mère, dansait la macarena sur un barbecue : racontez. Et n’oubliez surtout pas de préciser qu’à un moment, c’est vous qui dansiez (mais que vous regardiez aussi alors c’est bizarre).
Ça n’a pas le moindre sens, mais on s’en fout. L’important est que vous ayez coincé votre public dans un coin par la seule passion farouche de votre interminable soliloque digne de Ionesco. Tant que votre cervelet n’essaie pas de prendre un peu de recul sur ce que vous racontez, vous pouvez tenir le monde en haleine avec des histoires de chaussettes-garou qui mangent des bananes dans votre lit en compagnie du Pape.
L’organisée
La technique organisée s’adresse à celles et ceux qui n’ont pas assez de motivation pour ce type d’agitation matinale, même en mode pilote automatique, et qui cherchent à avoir un réel impact sur leur public. Mise en situation : vous venez de faire un rêve bizarre, mais drôle, ou pertinent d’une quelconque manière, et il est important pour vous de parvenir à le restituer avec efficacité.
Pour cela, votre pire ennemi est l’oubli. Vous devez donc vous assurer que votre rêve est encore bien en place dans votre éminence grise lorsque les brumes se dissipent sous la douche que vous ne manquerez pas de prendre au saut du lit. Cette concentration difficile, car matinale, va vous demander de remplir un certain nombre de conditions pour aboutir à un récit convenable :
- Être seul-e. Ou alors parler très peu.
- Être du matin. Qualité indispensable pour remplir la condition précédente.
- Avoir un esprit rigoureux. On n’en est pas encore à thèse, antithèse, synthèse, mais presque.
- Préparer votre intervention orale. Pour parvenir à placer votre première accroche au moment le plus opportun, et de toucher un maximum d’interlocuteurs, il faut connaître sur le bout des doigts les flux et habitudes du lieu mondain où vous vous rendez.
- Ne pas gâcher votre conclusion. Le récit est important, mais s’il finit en eau de boudin, vous allez faire un flop. Ajoutez un peu de piquant à votre soufflé (quitte à improviser un peu, mais chut).
Et voilà. Tel le troubadour des temps modernes, vous êtes prêt-e à aller conter vos épopées oniriques à qui voudra bien entendre, euh… la Chanson du Navet Géant de l’Apocalypse, par exemple.
Notez cependant que malgré tous vos efforts de narration, vous passerez quand même pour un individu bizarre.
La freudienne
Vous aimez vous prendre la tête, mais votre truc à vous, ce n’est pas tout à fait la fibre littéraire ? Pas de panique,
il y a une technique toute faite pour votre esprit critique, curieux de tout et un peu lourd, qui est obligé de s’interroger sur la signification du moindre pet de papillon : la pseudo analyse psychanalytique. À condition que vos connaissances sur le sujet se réduisent au mieux à la lecture « d’un bouquin de Freud, une fois, je crois ».
Pas de pression, c’est facile.
Cette technique part du principe que tout rêve a une signification, et c’est pourquoi vous devez croire en la force de votre subconscient pour partager votre interprétation et compréhension de votre personne. « Analyse psychanalytique » peut sonner un peu pompeux, un peu trop érudit, mais il est connu depuis les cours de philo de terminale que tout le monde aime les histoires où on voit du cul partout.
Après, il ne faut pas croire, c’est également un travail de réflexion et de construction du récit. Si vous avez rêvé, ou pensez vaguement avoir rêvé de courges, de concombres, d’abricots, de bananes, ou même de parapluies qui s’ouvrent et se referment, c’est facile, je ne vous fais pas un dessin.
En revanche, si vous avez rêvé que vous lisiez du Proust sous un arbre, il va falloir pousser un peu la réflexion pour parvenir à la conclusion d’une frustration sexuelle latente. (Tu parles d’un rêve nul, aussi.)
Mais c’est possible, et on acquiert un certain nombre d’automatismes et de ficelles analytiques avec l’expérience. Très vite, vous serez capable de subjuguer votre public en leur expliquant que ce rêve récurrent dans lequel vous nagez gaiement au milieu de dauphins ne traduit non pas une envie de nager au milieu de dauphins, mais bien une curiosité homosexuelle.
Et ça, c’est la classe.
La mystique
Cette technique est une cousine un peu éloignée de la Freudienne, dans le sens où elle consiste à chercher une signification au moindre rêve nul… mais en tapant un peu plus loin encore dans le domaine de l’interprétation.
Probablement la technique la plus haut niveau, si on considère qu’il faut être capable d’inquiéter suffisamment son public pour l’attirer, mais pas assez pour le faire fuir.
La technique mystique vous pousse à raconter vos rêves en les percevant comme des messages. Quelqu’un ou quelque chose cherche à vous faire passer un message, et pour le comprendre, vous devez interpréter les signes de votre rêve. Oui, même si vous rêvez de bananes confites. On n’a jamais dit que c’était facile.
« Ouii, cette nuit j’ai encore rêvé de féculents, je pense qu’on essaie de me faire comprendre que c’est la source de mes problèmes de constipation actuels. »
Le succès est proche.
Bonus : la « beuh j’me souviens pu »
Cette ultime technique qui n’en est pas vraiment une s’adresse à tous ces abandonnés du royaume onirique qui ne se souviennent jamais de leurs rêves, ou alors sous la forme de vagues relents émotionnels. Ils se lèvent d’une humeur de chien, mais sans se douter que c’est parce que leur esprit s’est raconté pendant la nuit des histoires de bébés qui pleurent.
Vous, population silencieuse qui préfère dormir profondément, en se foutant pas mal du regard oblique des rêveurs honnêtes… Si vous devez payer votre mémoire de crevette amnésique en venant grossir les rangs du public de ceux qui racontent leurs rêves nuls, ainsi soit-il.
Il faut bien quelqu’un pour écouter avec une attention approximative les délires nocturnes de vos congénères, après tout. C’est le cycle de la vie.
Vous aimez nos articles ? Vous adorerez nos podcasts. Toutes nos séries, à écouter d’urgence ici.
Les Commentaires