Imaginons. Vous êtes dans l’un des pays où, à mon humble avis, on mange le mieux sur cette planète : dans le cadre magnifique des Pouilles, au Sud de l’Italie. Amatrice de bonne table, vous décidez de tester un restaurant étoilé au guide Michelin, que vous choisissez avec attention puisqu’il vous en coûtera environ 200€ par personne.
Et c’est le drame : on vous sert des mixtures mauvaises, dans des récipients incroyablement malaisants, et vous repartez un ballon à la main, et la faim au ventre.
C’est ce que la journaliste Geraldine DeRuiter raconte avoir vécu, dans le restaurant le plus pointu de la ville de Lecce. Un établissement au nom de Bros’, tiré du diminutif anglophone de Brothers (frères), et duquel elle dresse sur son blog un portrait au vitriol devenu viral.
27 plats, très peu de choses comestibles
Dans un article intitulé « Nous avons mangé dans le pire restaurant étoilé par Michelin de tous les temps », elle y décrit le long moment de gêne qu’a été la soirée.
« Pour préserver ma santé mentale, j’ai fini par considérer cette soirée comme une expérience de dîner théâtre.
Le dîner a joué un rôle dans cette farce, oui… de la même manière que Godot a joué un rôle dans la pièce éponyme de Beckett. Toute la soirée a tourné autour de lui et, devinez quoi ? IL N’EST JAMAIS ARRIVÉ. »
Geraldine DeRuiter sur son blog everywhereist
Après avoir demandé une carte qui n’existait pas (on a proposé aux invités un QR code qui les renvoyait vers une vidéo du chef en train de parler de tout, sauf de nourriture), c’est un service de 27 plats auquel a eu droit la tablée de convives.
Le tout, sans que quoi que ce soit de consistant n’arrive sur la table. Pire encore : certaines des expériences culinaires s’avèrent désastreuses. La journaliste cite ainsi des shots de vinaigre, des morceaux de papier comestible, une minuscule cuillerée de crabe par personne, ou encore de l’air gelé… qui ne peut pas être mangé. Les dystopies ont encore de beaux jours devant elles.
L’assiette la plus consistante se résume à exactement six pâtes, laissant la journaliste et ses proches affamés.
« C’est le problème, avec les menus dégustation. Avec autant de plats, on s’imagine toujours que les choses vont s’améliorer, que le prochain plat sera celui de la rédemption.
MAIS NON. Quand notre amie Lisa a essayé de commander une autre bouteille de vin, le serveur a demandé “Préférez-vous du rouge ou du blanc ?”. Elle a répondu en l’interrogeant : “Quel sera le plat principal ?”
Il pâlit.
“Le plat principal, madame ? Nous sommes sur le point de passer au dessert.” »
Un moulage tout droit venu des enfers
Le clou de ce terrible spectacle intervient quand on leur sert une mousse aux agrumes servie sans couverts dans un récipient en plâtre. Qui est en réalité une reproduction de la bouche du chef.
Le staff leur indique qu’ils doivent lécher la mousse dans le moulage.
Les convives seront ensuite conduits dans une annexe, où un chef leur découpera des morceaux de fromage microscopique devant des écrans diffusant des vidéos de sports extrêmes.
À une cuisine expérimentale s’ajoutent des désagréments plus problématiques, notamment quand les convives ayant des allergies se voient tout simplement privés de certains plats sans qu’on leur offre de remplacement.
Ils ne sont pas les plus mal lotis : d’autres se verront servir des ingrédients qui les mettent en danger à plusieurs reprises, bien qu’ils aient prévenu le staff de leurs intolérances alimentaires.
Une critique culinaire devenue virale
L’histoire aurait pu s’arrêter ici et être déjà très drôle. Twitter aidant, la critique s’est propagée très rapidement sur Internet et a amené son lot de blagues supplémentaires, mais aussi d’approfondissements, notamment sur les recherches que Geraldine DeRuiter avait effectuées en amont sur le restaurant.
La journaliste étant américaine, on lui a aussi reproché de ne pas comprendre les tailles de portions européennes, ce à quoi elle a rétorqué que la moitié des convives étaient européens et tout aussi affamés — et déçus — qu’elle à la fin du repas.
Elle a aussi dû préciser à plusieurs reprises qu’elle était habituée de grandes tables, tout comme de cuisine expérimentale, et que la dureté de sa critique était loin d’être due à une incompréhension du concept.
Mais heureusement pour nous, l’absurdité de cette histoire est sans fin. Interrogé par des journalistes sur la question, le chef de Bros‘ a pris le parti de répondre à la critique par des arguments pour le moins… Surprenants.
C’est là que le dessin de cheval entre en jeu
C’est le média Today qui, pour partager cette histoire virale, a décidé d’offrir un droit de réponse au chef. Bien en mal de devoir résumer ces trois pages, en voici les captures d’écran et une traduction aussi succincte que possible.
« Chef Floriano aimerait répondre comme suit, en commençant par un dessin.
Être capable de dessiner un homme sur un cheval ne fait pas de vous un artiste. Le résultat peut être agréable à regarder, mais ce n’est pas de l’art. Dessiner un homme sur un cheval, c’est la même chose que faire de la bonne cuisine. Votre grand-mère pourrait le faire. Ma femme le fait très bien. […] Faire de la cuisine que les gens aiment, c’est pareil. Ce n’est pas si difficile, mais la plupart des gens vous admireront. »
Non content de saupoudrer une pointe de misogynie — était-il vraiment indispensable de citer sa grand-mère et sa femme pour comparer leur cuisine à la sienne, dans un secteur où 52% des élèves sont des femmes, mais 94% des chefs étoilés sont des hommes ? — sur cette soupe de mansplaining, il s’avère que sa femme est elle aussi chef dans ce même restaurant. On imagine qu’elle appréciera.
« J’admire la qualité de ce tableau. Mais il m’ennuie : le Louvre, le Prado, l’Hermitage sont pleins de ces choses. C’est impressionnant, mais superficiel. Les artistes contemporains, à l’inverse, sont à la recherche de l’inconnu, de remettre en question le concept d’art lui-même.
Qu’est-ce que l’art ? Qu’est-ce que la nourriture ? Qu’est-ce qu’un chef ? Qu’est-ce qu’un client ? Qu’est-ce que le bon goût ? Qu’est-ce qui est beau ?
Qu’est-ce qu’un homme sur un cheval ? »
« L’art contemporain ne vous fournit pas de réponse, mais vous offre de grandes questions. La cuisine contemporaine devrait faire la même chose. Un chef ne devrait pas offrir des réponses faciles, mais vous challenger avec des questions intéressantes. L’art contemporain n’est pas facile […]. C’est comme ça que naissent les révolutions. Chez Bros’, nous recherchons l’avant-garde.
Merci à Mme XXX – je ne me souviens pas de son nom – pour nous avoir amenés là où nous n’étions pas encore arrivés. »
Une envolée lyrique et philosophique peu convaincante pour le monde impitoyable de Twitter, qui l’a immédiatement transformée en meme.
Sur les devoirs de la cuisine contemporaine et sa manière d’interroger le monde, nous ne dirons rien de plus : ce n’est pas notre domaine d’expertise. Mais on a bien rigolé.
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Crédit photo : Capture d’écran du blog Everywhereist de Geraldine DeRuiger
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Les Commentaires
Je ne vois pas le rapport avec le fait que les américains veulent "éduquer" les autres pays. C'est juste une meuf qui critique un resto, je pense qu'elle doit parfaitement être au courant des portions. Juste que ce resto, c'est une vaste blague.