Esther est partie recueillir les témoignages des jeunes femmes de plusieurs pays, à travers le monde, avec une attention particulière portée aux droits sexuels et reproductifs : liberté sexuelle, contraception, avortement.
Elle a déjà rendu compte de ses rencontres avec des Sénégalaises, puis avec des Libanaises, elle a aussi suivi les débats sur l’avortement en Irlande et sa quatrième étape l’a menée en Argentine !
Tu peux suivre au jour le jour ses pérégrinations sur les comptes Instagram @madmoizelledotcom et @meunieresther, avant de les retrouver ici bientôt !
Explosion de joie. Je ne pense pas avoir déjà employé ces mots à si bon escient : c’est littéralement ce qui s’est passé à Buenos Aires, ce 14 juin, à 9h50 lorsque les résultats du vote sont tombés.
Les députés ont approuvé la loi qui doit légaliser l’avortement jusqu’à 14 semaines en Argentine.
Pour en savoir plus sur le contenu du projet de loi, file lire cet article !
Récit de plus de 20h de manifestation ininterrompue.
La loi pour la légalisation de l’avortement approuvée par les député·es argentin·es
La veille, le 13 juin, les militantes féministes avaient envahi la Plaza Congreso, qui s’est retrouvée noyée sous une marée de « pañuelos verdes » : les foulards verts devenus les symboles de la Campagne Nationale pour l’Avortement Légal, Sûr, et Gratuit.
C’était une manifestation de plus, après des semaines à réclamer le droit à disposer de son corps chaque mardi.
Les activistes pro-choix s’étaient en effet réunies lors des multiples audiences des défenseurs ou détracteurs du projet de loi à l’assemblée, comme lors de la plus grosse manifestation, le 4 juin dernier.
Et leur mobilisation a payé : alors que 30 député·es qui étaient encore annoncé·es indécis·es il y a quelques jours, la majorité a finalement penché en faveur de l’avortement légal, après qu’on leur ait demandé de manière répétée « de quel côté de l’Histoire » ils et elles voulaient être.
129 voix pour, 125 voix contre, et une abstention.
C’est le résultat final que les Argentines sont encore en train de célébrer dans les rues au moment où j’écris ces lignes, à 12h le 14 juin.
Des slogans par dizaines
De midi le 13 juin au 14 dans la matinée, de multiples slogans résonnaient sur la Plaza Congreso.
« Education sexuelle pour décider, contraception pour ne pas avorter, avortement pour ne pas mourir ! »
« L’avortement légal, à l’hôpital ! »
« Nous sommes les petites filles de toutes celles que vous n’avez pas pu brûler ! »
« L’avortement illégal assassine notre liberté ! »
« La droite serait pour l’avortement si cela s’appelait réduction du personnel ! »
« Vos rosaires hors de nos ovaires ! »
« L’Eglise, ordure, vous êtes la dictature ! »
« Le féminisme arrive et il vaincra ! »
« Que ça devienne une loi ! »
« La femme décide, la société respecte, l’État garanti, l’Eglise n’intervient pas ! »
« Pas des putes parce qu’on a baisé, pas des mères par obligation, pas des prisonnières pour avoir avorté, pas mortes pour avoir essayé ! »
Ici, les manifestations ressemblent à une grande fête. On chante, on danse. Finalement c’est davantage un festival pro-choix qu’un défilé.
De multiples interventions ont eu lieu, sur l’importance de la contraception, à propos du « faux débat sur l’IVG et l’adoption », ou encore concernant l’éducation sexuelle « intégrale et scientifique ».
Dans la soirée, Miss Bolivia, une chanteuse très engagée s’est produite sur scène. Elle est notamment à l’origine de ce qui est devenu l’hymne du mouvement « Ni Una Menos », qui lutte contre les violences machistes depuis 2015.
Un grand cordon policier devait diviser la Plaza Congreso en deux pour séparer les militant·es pro-choix des anti-choix. Mais dans la soirée, il s’était resserré autour d’un petit quart de la place réservé aux opposants à la légalisation, nettement moins nombreux.
« Donnez-nous les droits qu’on réclame ! »
Malgré l’ambiance bon-enfant qui régnait sur la majorité de la place, les militantes se décrivaient souvent comme anxieuses, tout au long de la journée du 13.
Nombreuses étaient celles qui avaient prévu de passer la nuit sur place : elles arrivaient avec leurs duvets, leurs thermos, leurs services à maté – un thé consommé à toutes heures ici.
Les applaudissements ou sifflements rythmaient les apparitions des député·es qui prenaient la parole à tour de rôle dans l’enceinte du parlement et dont les allocutions étaient diffusées sur un écran.
Ce matin, c’est l’intervention de Silvia Gabrielle Lospennato qui a marqué les esprits. Elle a justement rendu hommage à toutes celles qui sont restées éveillées et ont occupé la place plus de 20h durant.
« Ces milliers de femmes n’abandonneront pas les rues. […] Ce siècle est celui des droits des femmes, donnez-nous ce qu’on réclame ! »
Vote sur l’avortement en Argentine : une explosion de joie à l’annonce des résultats
Et quelques minutes après, en effet, la balance a penché en leur faveur.
Après une première annonce, les manifestants et manifestantes ont retenu leur souffle encore un peu alors que les votes étaient recomptés, car certain·es s’étaient visiblement trompé.
On a donc eu droit à
une deuxième explosion de joie lorsqu’il a été annoncé que ce recompte « ne changeait pas le résultat ».
J’ai rarement ressenti avec autant d’intensité une telle énergie positive, un tel cri du coeur qui émanait des milliers de personnes réunies ce matin devant le Congrès.
« Je suis tellement émue ! »
Au-delà d’entendre le mot « emocionada » partout, on pouvait constater sur des visages en larmes le soulagement et le bonheur qu’un tel vote a procuré, pour des femmes qui se battent parfois depuis des années pour la légalisation.
Après une nuit à faire le pied de grue, les militantes et militants se sont mis en marche, pour célébrer largement leur victoire en défilant.
L’avortement bientôt légal en Argentine ?
Même si l’heure est à la fête et que les célébrations vont bon train, les manifestantes gardent en tête la prochaine échéance : le passage de la loi devant le Sénat.
En effet, ce vote n’est que la première étape dans le processus législatif. Les parlementaires qui devront alors s’exprimer sur le texte sont réputés être davantage conservateurs que ceux qui se sont exprimés ce matin.
Le combat est donc loin d’être gagné, même si les deux chefs des groupes majoritaires au Sénat se sont dit ce matin « confiants » à l’idée que la loi puisse être approuvée au Sénat également.
« Le Sénat doit accéder aux demandes citoyennes et légiférer en fonction des réalités » a ainsi affirmé Luis Naidenoff.
Revenant sur les rumeurs concernant le moment du passage de la loi devant le Sénat, Miguel Ángel Pichetto a affirmé au journal argentin Clarín que « deux à trois semaines de débat devraient être suffisantes pour que la loi soit votée », ce qui pourrait permettre de le faire « avant la pause hivernale de juillet ».
Quoi qu’il en soit, les militantes pro-choix ne vont pas baisser les armes.
Surtout, dès hier, elles se réjouissaient à l’idée de la plus grande avancée réalisée ces dernières semaines à l’image de ce que me disait Lucilla Swarc :
« Nous avons provoqué un changement de mentalité sur lequel aucune loi ne pourra revenir, c’est le plus important : nous avons largement levé le stigma social concernant l’avortement. »
Si la loi est votée, l’Argentine suivra le chemin de l’Uruguay et rejoindra le club très fermé des pays ayant légalisé l’avortement en Amérique du Sud.
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
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